7 idées fausses sur la réforme fiscale

La crise de l’euro et le début de la campagne présidentielle mettent à l’ordre du jour le problème de la réforme fiscale. La majorité envisage des mesures de rigueur qui incluent des augmentations d’impôts. L’opposition critique les mesures proposées, mais n’offre pas de solution de remplacement. Le débat se déroule dans la confusion mentale. Il serait temps de tenter de le clarifier.

Le gouvernement actuel est en train de lancer une nouvelle « réformette » qui est fondée essentiellement sur le relèvement d’un taux de la TVA de 5,5 à 7 %. Le produit attendu de l’ensemble de ces mesures est de 7 milliards en 2012 et de 11,6 milliards en 2013, alors que le déficit récemment annoncé est de 92 milliards. À cela s’ajoutent quelques mesures de diminution des « niches fiscales » qui devraient rapporter 2,6 Md€ en année pleine, une augmentation de 5 % de l’impôt sur les sociétés s’appliquant uniquement aux grands groupes et un gel des barèmes de l’impôt sur le revenu, de l’ISF, sur les donations et les successions. Tout cela est baptisé « plan de rigueur », et accompagné de discours sur la nécessité « d’efforts collectifs et prolongés et même de quelques sacrifices ». Le projet succède aux variations précédentes au sujet de l’impôt sur la fortune, du « bouclier fiscal », adopté puis annulé, et surtout à la réduction récente du taux de TVA sur les restaurants de 19,6 à 5,5 % (qui faisait perdre d’un coup 4,5 Md€ par an sur le produit de la TVA).

Cette politique de Gribouille, ou plutôt cette absence de politique, en présence de la gravité de la crise et de l’élévation irrésistible de la dette dont le montant total atteint 1 592 Md€ soit 82 % du Produit Intérieur Brut qui atteint 1 978 Md€ (dépassant ainsi largement le critère de Maastricht, qui est de 60 %) et une charge d’intérêts annuelle de 46,8 Md€, soit approximativement le montant de l’IRPP est vivement critiquée par l’opposition avec raison.

De qui se moque-t-on en effet ?

1. Il ne s’agit que de très petites corrections en présence de problèmes d’une tout autre ampleur
2.
3. Les mesures proposées sont profondément injustes, le poids des augmentations prévues concernant essentiellement les classes moyennes et les plus pauvres, et réduisant ainsi le pouvoir d’achat des catégories sociales qui sont à la limite du seuil de pauvreté.
4. Le tout produira sans aucun doute un effet déflationniste et ralentira plus encore une croissance déjà atone.
5.
Mais il ne suffit pas de critiquer, il faudrait encore proposer une véritable doctrine de sortie de la crise et de solution à long terme. Or nous vivons aujourd’hui avec des idées fausses qui sont soutenues par la droite, et qui ne sont pas suffisamment dénoncées par la gauche. Peut-on espérer que la dynamique de la campagne électorale contraindra ouvrir un débat sérieux ?

Les points essentiels sont les suivants :
La première idée fausse est que la lutte contre la fraude par paradis fiscaux interposés est impossible. Le problème ne pourrait être réglé que par un accord international, qui resterait utopique aujourd’hui. L’acceptation d’une « taxe Tobin » sur les transferts de capitaux ne serait pas pour demain. Or rien ne s’oppose à la prise, au niveau national et même européen, de mesures interdisant, notamment aux banques, l’ouverture de filiales dans les paradis fiscaux, ni d’une législation plus sévère contre la fraude. Il s’agit ici de plusieurs dizaines de milliards d‘euros. Qu’attend-on, surtout à gauche, pour proposer le renforcement des moyens accordés à la police et à la magistrature financière ?

La deuxième idée fausse est que l’on peut résoudre le problème de la justice en matière fiscale par une élévation des taux de l’Impôt sur le revenu des personnes physiques. La bataille qui a duré plus de trois quarts de siècle – entre 1848 et 1914 – pour l’institution de cet impôt a laissé des traces dans les esprits. La proposition Piketty actuelle de fusion entre l’IRPP et la Contribution sociale généralisée (CSG, retenue à la source), et baptisée par son auteur de « révolution fiscale » reflète cette illusion traditionnelle. Or le produit actuel de l’impôt sur le revenu est très faible, il faudrait accroître très considérablement les taux actuels pour l’augmenter quelque peu, et ce serait là le meilleur moyen de développer l’esprit antifiscal.

La troisième idée fausse, acceptée sans la moindre raison à gauche, est qu’il n’est pas possible de rendre progressifs, c.-à-d. plus justes, les impôts indirects. Or la manipulation des taux de TVA qui est proposée dans le projet gouvernemental actuel démontre bien qu’il est possible d’accroître la charge du principal impôt indirect pour telle ou telle catégorie sociale. L’instauration d’un taux de 33 % pour les produits de luxe, qui a existé dans un passé récent, serait la manière la plus simple et la plus efficace de rendre la fiscalité plus équitable et d’accroître considérablement le rendement d’un impôt qui représente déjà plus de la moitié des recettes du budget de l’État.

La quatrième idée fausse est le « tabou » qui interdit de taxer de façon réellement progressive les droits de succession. Les conditions dans lesquelles sont aujourd’hui taxés les héritages maintiennent et développent les inégalités de classes et garantissent la pérennité du règne de l’argent. La fiscalité française actuelle, après avoir prévu un abattement à la base par part de succession de 156 974 euros en ligne directe, applique (art 777 et 779 du code des impôts) à la part nette taxable des taux allant de 5 % pour des parts inférieures à 7 953 euros, à 40 % pour des parts de plus de 1 779 039 euros. Mais cette présentation est fallacieuse, car l’article 787 B institue une exemption de 75 % des droits à payer pour « les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, transmises par décès ou entre vifs, sous la condition d’un engagement collectif de conservation d‘une durée minimale de deux ans en cours du jour de la transmission. » Ceci signifie que les détenteurs de parts dans les entreprises de toute nature ne paient que le quart des droits qui résulteraient de l’application du barème défini par l’article 777. En d‘autres termes, les héritiers des détenteurs de grandes fortunes, généralement constituées par les participations dans des entreprises, ne paient pour la tranche supérieure de leur part que le quart de 40 %, soit 10 % (taux appliqué à des patrimoines de dimension modeste dont les parts sont comprises entre 7953 et 11 930 euros.) Ils ne paient 40 % que sur leurs biens privés, à supposer qu’ils n’aient pas trouvé de moyens de cacher cette propriété sous la forme d’une société. Il est temps que l’on prenne conscience, notamment à gauche, que le seul moyen d’en finir avec la dictature de l’argent est de s’attaquer au principe d’hérédité des grandes fortunes
La cinquième idée fausse, et l’une des plus dangereuses, est qu’en période de relative stabilité monétaire et de faible inflation, il est possible de tolérer des déficits importants et d’accroître la dette indéfiniment. Les intérêts des banquiers d’une part, l’absence de courage de la classe politique de l’autre, ont contribué à faire admettre la légitimité du recours à l’emprunt pour financer les dépenses publiques. Or si les recours exceptionnels sont tolérables, tel n’est pas le cas du recours régulier. En période de stabilité monétaire, les déficits s’accumulent, la dette publique s’accroît, et l’on arrive à des situations aberrantes dans lesquelles la seule charge des intérêts de la dette représente une part croissante et finalement insupportable du budget. Tel était devenu le cas en 1914, après plus d’un siècle de stabilité monétaire et d’accumulation d’emprunts aux taux avantageux pour les rentiers. L’entrée dans l’ère de la monnaie fondante (10 dévaluations entre 1926 et 1985 et réduction de plus de 200 fois de la valeur de la monnaie) a permis de réduire automatiquement la charge de la dette, et par conséquent d’encourager l’utilisation de déficits importants et réguliers. L’augmentation rapide du Produit intérieur brut pendant une grande partie de cette période a aussi facilité une politique laxiste en matière monétaire. Si la situation est aujourd’hui aberrante en matière de déficits et de leur accumulation, c’est que dans le cadre de la philosophie ultralibérale, on a en même temps décrété que la priorité absolue était la lutte contre l’inflation. Or pendant que la Banque centrale européenne dans la zone euro appliquait cette doctrine avec sévérité, les déficits s’accroissaient de manière régulière et exagérée, entraînant les pays les plus faibles, puis la zone euro tout entière dans la crise apparemment insoluble que nous connaissons. Une interprétation incroyablement déformée des idées keynésiennes sur l’utilisation de la monnaie comme instrument de relance en période de dépression a aussi contribué à faire admettre ces pratiques aberrantes de déficits permanents. La seule réponse rationnelle à cette situation ne peut être que l’augmentation des impôts dans le respect de la justice sociale et le retour à une inflation modérée mais néanmoins contrôlée.

La sixième idée fausse est que l’harmonisation des fiscalités des pays européens est une tâche extrêmement difficile sinon impossible et qui ne peut en aucun cas se limiter à une harmonisation fiscale avec la seule Allemagne. Il ne s’agit pourtant que de volonté politique et de conviction que sans cette harmonisation, il est simplement ridicule de parler d’Union monétaire. À cet égard l’idée d’un « serpent fiscal » avancée par les syndicats des personnels des administrations fiscales, est le type de réponse adéquate qu’il faudra bien prendre en considération.

La septième idée fausse enfin est qu’il reste utopique d’obtenir un consensus sur un droit international plus efficace que l’actuel, en particulier en ce qui concerne le contrôle du crédit. C’est pourquoi les réunions du G 20 ne soulèvent pas l’enthousiasme. Or la crise actuelle n’est pas seulement grecque, italienne, française, et européenne : elle est mondiale. Il n’est sans doute possible à aucun État de trouver une solution planétaire. Mais il est urgent en revanche de contribuer à l’établissement d’un agenda de coopération pour une réforme profonde des institutions de coopération à ce niveau. Cette entreprise doit être prise au sérieux.

Les remarques qui viennent d’être formulées prétendent fournir les principes qu’il serait nécessaire d’appliquer pour l’établissement d’un plan à moyen terme de réforme fiscale. Il s’agit de modifications profondes tendant à l’équilibre des budgets publics et à l’abandon des emprunts. Il s’agirait d’obtenir quelques 50 milliards d’une plus grande efficacité de la lutte contre la fraude, quelques dizaines de milliards de plus de la taxation à 30 % de la TVA sur les produits de luxe et de la réforme des taux des impôts sur les successions, et, en combinant le tout avec la suppression de quelques niches fiscales et la modernisation des prélèvements à la source de l’impôt sur le revenu, d‘obtenir les quelques 100 à 120 milliards nécessaires à l’obtention de l’équilibre budgétaire. Une véritable réforme fiscale est indispensable pour sortir de la crise de l’euro et assurer l’avenir. Il faudra peut-être que la crise s’aggrave pour que les mesures fondamentales soient enfin prises. Mais le respect du bon sens ira inévitablement dans le sens de TVA progressive, de la suppression des paradis fiscaux et de la pratique des déficits et s’orientera vraisemblablement parce qu’inévitable vers l’acceptation d’une inflation régulière, modérée et sous contrôle et d’une harmonisation des fiscalités dans la zone euro.

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