Deux extraits de la « Une » du Monde en date du samedi 5 avril 2014 – l’Editorial « Des réformes d’abord, des délais ensuite » et « France, Italie : l’offensive des mauvais élèves de l’Europe » – m’obligent à intervenir. Ces deux extraits stigmatisent le nouveau gouvernement avant même qu’il ait pu faire ses preuves et, au-delà, notre pays : la France.
Ce n’est pas un bon service à leur rendre et vous me permettrez d’ajouter que cela manifeste un travers, malheureusement en cours d’aggravation, de votre profession de journalistes : juger au lieu d’informer. Il me semble, en effet, que la déontologie voudrait que vous vous borniez à informer objectivement des faits vos concitoyens de façon à leur permettre de se faire un jugement en toute objectivité. Il est vrai que ceci ramènerait votre journal à la tâche plus ingrate d’un organe d’information et non à celle, beaucoup plus délectable, d’un organe d’opinion.
En l’occurrence, de quoi s’agit-il ? De la politique dite d’austérité, d’abord, et, aussi, des réformes dites « structurelles ». De nombreux économistes – parmi ceux-ci, on relève deux Prix Nobel : Paul Krugman et Josef Stiglitz – ont eu la pertinence et le courage de dénoncer les méfaits de cette politique d’austérité telle qu’elle est menée depuis bientôt quatre ans dans la zone euro. On en voit les conséquences désastreuses aujourd’hui et l’une des principales qui pèsent sur l’Europe est la menace de la déflation. Un nouveau venu, le Premier Ministre italien, Matteo Renzi, a eu le courage d’élever sa voix contre celles du « main stream ». Aussitôt, sans qu’il ait eu le temps d’agir, celui-ci est déjà condamné et ramené à la catégorie des « mauvais élèves de l’Europe » et, qui plus est, il est plaint d’être obligé de faire alliance avec « un pays affaibli », la France ! Ne tombons pas dans la caricature comme l’a fait, dans sa chronique, Françoise Fressoz, enfonçant le clou : « Encore une minute, monsieur le bourreau ».
Ce qui est dit à propos des « réformes structurelles » ne vaut guère mieux. Dans les colonnes de ce journal, un chroniqueur, Pierre Briançon, n’hésitait pas, à juste titre, à intituler sa chronique dans le Monde des 9 et 10 février 2014, « La tarte à la crème de la réforme structurelle ». De fait, celle-ci est devenue aujourd’hui le maître mot de tous les penseurs médiatiques et, notamment, de Pascal Lamy qui, faisant l’éloge des fameuses « réformes Schröder » dont on reconnait aujourd’hui les effets négatifs, a été jusqu’à préconiser, pour réduire le chômage, de développer les « petits boulots » afin d’alléger, eu égard à la compétitivité, le fardeau de sa prise en charge. Malheureusement les « réformes structurelles » ne sont le plus souvent, dans l’esprit de ceux qui les préconisent, qu’un nom pudique pour masquer l’affaiblissement du « modèle social européen » considéré comme un frein au développement du capitalisme dans la globalisation.
Alors, cessons de fustiger ceux qui ont le courage – et l’audace dans le monde tel qu’il est aujourd’hui – de dénoncer les dégâts provoqués par la politique du « tout austérité » en Europe et reconnaissons que celle-ci, si elle est poussée trop loin et, surtout, maladroitement, est l’un des éléments majeurs qui peuvent conduire à l’échec de la construction européenne. Ce qu’il faut, aujourd’hui, en Europe, ce n’est plus une politique d’austérité dont on a eu amplement le temps d’expérimenter les nuisances, mais une politique de relance de l’activité économique concertée entre les pays qui la composent. Elle seule parait en mesure, dans l’état actuel des connaissances dans le domaine économique, d’y rendre possible l’équilibre recherché des finances publiques.
C’est en tant que fidèle lecteur de votre journal que je me permets ces propos en vue de contribuer à lui faire justifier le statut de « journal de référence » qui doit être le sien.
{{ Jean-Pierre Pagé économiste}}