Aggravation du changement climatique

{{Sur les productions énergétiques}}

• La consommation mondiale d’énergie ne cesse de croître au taux moyen de 2 % par an : 9 Gtep1 en 1990, 13,5 Gtep aujourd’hui, et 20 Gtep prévus en 2050. Ceci est dû au rapide développement économique des pays émergents et à l’amélioration relative de leur niveau de vie, ainsi qu’à la croissance de la population mondiale au taux moyen de 1 % par an : 6 milliards en 1990, 7,2 milliards aujourd’hui et 9 milliards prévus pour 2050. Les 90 % de cette consommation sont assurés par des énergies fossiles.

• Les réserves de charbon sont quasi illimitées et sa consommation augmente régulièrement : elle est de 4 gigatonnes par an actuellement. Elle est devenue la première source d’énergie dans le mix mondial. La Chine met en service une nouvelle centrale chaque semaine (350 sont en construction), les Indiens développent aussi très largement cette filière, les Allemands ont prévu de substituer à leurs centrales nucléaires des centrales à lignite très polluantes et toute l’Europe de l’Est fonctionne largement au charbon. En plus des quantités importantes de CO2 dégagées par la combustion, son extraction libère du méthane.

•?Contrairement à ce qui était annoncé il y a quelques années par certains prévisionnistes les réserves d’hydrocarbures ne baissent pas : nombreuses découvertes d’huile et de gaz et conventionnels au Brésil et au Moyen-Orient, en off-shore profond, bientôt en Arctique, entre autres, exploitation des sables bitumineux de l’Athabasca au Canada, et des huiles lourdes au Venezuela. Et l’exploration et l’exploitation des gaz et huiles des roches-mères apportent un surcroît substantiel de production au point que les Etats-Unis deviennent autosuffisants et abandonnent le développement des énergies renouvelables?; le prix du gaz aux Etats-Unis a été divisé par trois, ce qui permet à certaines entreprises de relocaliser leurs productions. La Chine, la Russie et d’autre pays se lancent dans la recherche de cette nouvelle ressource en dépit des dégâts environnementaux qu’elle génère en surface et dans le sous-sol, du moins avec les techniques actuelles de production. Les Japonais de leur côté commencent même à s’intéresser aux hydrates de méthane. Et, à mesure que le prix de l’énergie augmentera, de nouvelles réserves d’hydrocarbures pourront être mises en production.

•?Après l’accident de Fukushima, de nombreux pays abandonnent le nucléaire dont l’exploitation ne génère pourtant pas de gaz à effet de serre, même s’il pose d’autres problèmes de rejets et de sécurité. A l’inverse, la Chine accroît le nombre de ses réacteurs. La filière des réacteurs à neutrons rapides, susceptible de limiter ces problèmes, ne sera pas opérationnelle avant 2020 au mieux.

•?Le développement des énergies renouvelables ne progresse pas comme attendu. Les éoliennes terrestres sont contestées par les populations, le développement des éoliennes off-shore sera coûteux et très progressif. Le photovoltaïque, pourtant très prometteur, progresse lentement et reste cher avec une efficacité encore réduite. Les biocarburants de première génération sont contestés du fait de leur emprise sur les terres agricoles et du CO2 dégagé lors de leur production, le développement des biocarburants de seconde génération démarre à peine, la géothermie est freinée par le coût des forages, et seuls la filière bois et les véhicules hybrides semblent progresser. Pour l’instant les énergies renouvelables ne tiennent pas leurs promesses : les défis techniques et économiques à surmonter sont nombreux et ils ont été largement sous-estimés. Les efforts financiers nécessaires pour y parvenir ne sont pas à la hauteur. Même en Allemagne le développement des éoliennes off-shore, des installations photovoltaïques et des centrales à gaz a été fortement ralenti. Autres facteurs qui freinent le développement des énergies vertes : les réseaux actuels de distribution de l’électricité ne sont pas adaptés aux multiples petites productions distribuées et intermittentes, et il n’existe toujours pas de solution au stockage industriel de l’électricité en dehors des barrages hydrauliques. De nombreuses autres sources d’énergie sont envisagées mais les recherches qui démarrent n’aboutiront pas à des solutions opérationnelles avant de nombreuses années : solaire à concentration, gaz de houille, biocarburants d’origine algale, minéralisation du CO2, houlomotrices, entre autres.

• Les techniques de séparation du CO2 des gaz de combustion, puis de sa séquestration dans des réservoirs géologiques profonds, sur lesquelles beaucoup comptaient pour rendre les centrales à charbon moins polluantes, se révèlent très décevantes : les opérations pilotes lancées aux USA et en Allemagne soulèvent de nombreuses difficultés techniques et s’avèrent onéreuses (mais ceci était prévisible), et en plus elles dégagent un surcroît de 25 % de CO2 pour la séparation des gaz brûlés et la compression avant injection. Ce procédé restera très marginal.
• La déforestation se poursuit en Amérique du Sud et en Indonésie, certes à un rythme réduit, supprimant une importante source naturelle de captation du CO2.

{{Sur le transport et les bâtiments}}

• La part des énergies renouvelables (biocarburants et électricité) dans le transport reste encore très marginale. Le lobby des transporteurs européens a réussi à exclure leur profession du système de la taxe carbone et des droits d’émission de CO2. L’écotaxe sur les transports routiers ne sera appliquée en France que fin 2013. Le prix du carbone s’est effondré sur les marchés (environ 8 euros la tonne) au nom de la préservation de l’emploi, ce qui n’empêche pas de nombreuses entreprises européennes de délocaliser leurs activités les plus polluantes vers des pays moins exigeants. Les mesures pour économiser l’énergie dans les bâtiments, si elles commencent à porter leurs fruits pour les constructions neuves n’ont, pour des raisons financières, pratiquement pas encore démarré dans les bâtiments anciens (sauf en Allemagne). L’éolien et le solaire ne contribuent que pour 2 % aux consommations de l’ensemble des Européens, et pourtant ces derniers sont considérés comme les bons élèves de la classe en matière écologique. En agriculture l’utilisation d’engrais chimiques ne faiblit pas. Le slogan «?moins consommer, plus d’efficacité, et passer aux énergies vertes?» reste encore largement un vœu pieux.

{{Conséquences}}

• Le résultat de cette situation est que les dégagements des gaz à effet de serre d’origine anthropique augmentent : ils sont actuellement de 46 gigatonnes équivalent CO2 par an. Le taux de CO2 dans l’atmosphère vient d’atteindre les 400 ppm2 (contre 280 au début du siècle précédent) et les prévisions optimistes du GIEC3 de limiter l’augmentation de température à 2 °C entre le début de l’ère industrielle et 2100, sous réserve d’un comportement frugal des populations, ne pourront absolument pas être tenues. Une augmentation de 5 ou 6 °C en 2100 avec une teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre de 600 ppm est plus probable (augmentation qui s’est déroulée pendant les périodes géologiques sur plusieurs millénaires), et une élévation du niveau des océans de 1 mètre à la même échéance est envisageable, avec toutes les conséquences que cela entraînera pour les populations des zones littorales. Rien qu’en 2012 environ 32 millions d’habitants, essentiellement asiatiques du sud-est, ont été contraints à l’exil. Les hydrogéologues prévoient qu’en 2100 le débit de la Seine sera divisé par deux.

• Les manifestations de ce changement climatique sont déjà bien réelles : accélération des épisodes thermiques et pluviométriques extrêmes avec sécheresses et inondations, progression de la désertification, recul des glaciers, fonte de la banquise particulièrement en Arctique, augmentation de la violence des cyclones, réchauffement des océans, blanchiment des coraux, réduction de la biodiversité et décalage géographique de certaines cultures. Même si la croissance de la température semble passer actuellement par un plateau, toutes ces manifestations encore limitées ne peuvent que s’accentuer dans les prochaines années. Les préoccupations du court terme liées à la crise économique et à ses dégâts sur la société (chômage et pouvoir d’achat), ainsi que la spéculation financière, ont complètement occulté ce problème du changement climatique, pourtant fondamental pour notre planète et notre descendance. Les climatosceptiques ont contribué à freiner le développement durable et le public commence à douter de la réalité du changement climatique d’autant que ses manifestations ne lui sont pas toujours directement perceptibles. Les coûts sociaux des problèmes environnementaux sont largement sous-estimés par les États. Et il n’existe aucune instance internationale faisant autorité en la matière. Mais nous devons regarder la situation lucidement : les conséquences à long terme en seront dramatiques et longtemps irréversibles car la dissipation dans l’atmosphère du CO2 demande plusieurs siècles.

{{Que faire??}}

• L’énergie est vraiment la clé principale du problème du changement climatique. Il est possible qu’il faille attendre une forte montée du prix de l’énergie pour que les entreprises et les particuliers deviennent plus sobres et que les énergies vertes démarrent réellement. Mais comme la contribution de ces dernières restera longtemps bien inférieure en quantité à celle des énergies fossiles, surtout pour les énergies de forte puissance qui, elles, sont abondantes, seules des mesures très contraignantes prises au niveau international (taxe carbone et fiscalité écologique durcies) seront susceptibles de réduire les consommations énergétiques. Ceci suppose que les instances politiques s’imposent face au monde des affaires. En attendant, les seuls paramètres sur lesquels nous pouvons intervenir sont l’amélioration de l’efficacité des sources énergétiques, des véhicules de toute nature et des bâtiments d’une part, et la frugalité dans les consommations d’énergie fossile d’autre part. Comme ces modifications vont exiger de profondes transformations techniques et structurelles elles devraient relancer l’activité économique et créer de l’emploi. Bien que ce développement durable ne puisse être pleinement efficace pour la préservation du climat que s’il est mis en œuvre par l’ensemble de la planète, nous aurions tout intérêt à l’appliquer sans retard en France et, si possible, en coopération avec nos partenaires européens. ?

René Iffly, membre du Cercle

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