Le 1er juillet 2013
ARRÊTONS LE MASSACRE !
Le psychodrame que vit la zone euro a pris, au cours des dernières semaines, une tournure qu’il faudrait qualifier de grotesque, si elle n’était dramatique.
Malgré les avertissements des économistes les plus réputés, de plus en plus unanimes, et d’organismes aussi sérieux et peu suspects de laxisme que le FMI et l’OCDE, la Commission européenne s’entête dans sa politique d’austérité généralisée qui étouffe, progressivement mais sûrement, la zone euro et, plus grave, dégoûte les peuples de l’aventure européenne.
Les exemples historiques – à commencer par les politiques des « années 30 », mais aussi la politique économique suivie par la Russie au cours des « années 90 » – abondent, pourtant, qui montrent le caractère délétère de l’acharnement dans des politiques d’austérité dont le soubassement idéologique repose sur un dangereux contresens. Comment, en effet, se féliciter du rétablissement d’équilibres financiers obtenu au prix d’une montée insupportable du chômage (en particulier du chômage des jeunes), du démantèlement des services de santé et autres services publics, comme c’est le cas en Grèce (poussant les autorités acculées à une initiative aussi absurde que la fermeture de la TV publique !) aujourd’hui ?
Plus généralement, il convient de dénoncer ici l’iniquité absolue d’une conception de l’économie conduisant à faire table rase de ce qui existe pour repartir du bon pied. Il est vrai que cette méthode, stigmatisée et fort bien décrite par Naomi Klein, a été utilisée sous les conseils des « experts occidentaux » au cours de la transition consécutive à l’effondrement de l’économie socialiste.
On aurait pu penser que ces expériences désastreuses aient servi de leçons aux « Diafoirus » de l’économie néo-libérale. Malheureusement non. Et il convient de dénoncer l’idéologie bien ancrée dans les milieux « conservateurs » selon laquelle il suffirait de diminuer les dépenses publiques pour permettre à l’économie sous l’égide de la « confiance retrouvée » de repartir du bon pied. C’est faire une grave erreur conceptuelle en occultant le jeu négatif du multiplicateur sous l’effet direct ou indirect (via les prestations sociales) des diminutions de dépenses.
Les autorités fédérales américaines ne s’y sont pas trompé qui ont bataillé pied à pied, malgré les pressions suicidaires des « Républicains » aveuglés par leur fanatisme, pour s’opposer (avant d’être contraintes partiellement à y procéder) à la pratique des coupes claires dans les dépenses publiques. Et l’on peut mettre à l’actif du président Hollande d’avoir refusé jusqu’à présent de suivre ce chemin malgré les volées de bois vert que cela lui a valu de la part d’une opposition réclamant « du sang et des larmes ».
Il est clair qu’il faut aujourd’hui mettre un terme à la politique du « tout austérité » telle qu’elle est imposée par la Commission européenne et telle qu’elle est devenue une nouvelle « pensée unique », doxa qui prétend faire autorité et qui est véhiculée par les media. La Cour des Comptes fait-elle remarquer que le déficit des finances publiques de la France va déraper de quelques dixièmes de point de PIB en 2013 – ce que tout économiste éclairé savait d’avance, compte tenu du climat de récession –, aussitôt l’appareil médiatique se met en branle pour interroger les commentateurs de tous poils et de tous bords sur les « coupes » à opérer dans les budgets publics en conséquence, sans tenir compte des effets pervers du « multiplicateur » sur l’activité économique et, bien entendu, en omettant de raisonner en termes de « déficits structurels » (c’est-à-dire correction faite des variations conjoncturelles) et non de déficits absolus. La Cour des Comptes est dans son rôle de gardienne des déséquilibres comptables lorsqu’elle les signale quand ils se produisent. Elle ne l’est pas quand elle prétend en tirer les conséquences économiques. D’autant plus qu’il y a, pour ce faire, un autre organisme récemment créé (adossé, d’ailleurs, à la Cour des Comptes), le Haut Conseil des Finances Publiques, qui en a la charge et la compétence.
Dans tout ce brouhaha, le Président et son gouvernement ont bien du mérite à garder leur calme et maintenir leur cap. Il est désolant d’assister au « bashing » dont ils font l’objet, alors que beaucoup d’économistes, au contraire, saluent la prudence de leur navigation qui, dans une Europe à la dérive, maintient la France dans un relatif équilibre entre dérapage et récession et placent sa politique économique parmi les plus sages de notre continent. Il ne s’agit pas, pour autant, de basculer dans le laxisme. Et les délais accordés aux pays membres de la zone euro pour rééquilibrer leurs finances publiques en se fondant sur l’indicateur du « déficit structurel » montrent un signe encore timide de modification de l’attitude de la Commission.
Autre pomme de discorde et source de graves malentendus : les « réformes structurelles » qu’exigent de façon de plus en plus impérative les autorités de Bruxelles et les équipes de travail sur place en échange de leur « mansuétude » en ce qui concerne les délais de réduction des déficits. Si l’on entendait par là des réformes visant à donner plus de souplesse et d’efficacité au fonctionnement de l’économie, à l’image de l’accord entre les partenaires sociaux sur l’assouplissement du marché du travail en France, il n’y aurait rien à en dire. Malheureusement, il s’agit d’une grave remise en cause du modèle social européen qui ne vise qu’à en démanteler des pans entiers, comme on le voit faire en Grèce et en Espagne (sous l’instigation d’un FMI bien rapidement oublieux des mea culpa opérés auparavant !) . Et alors que la presse française reste remarquablement sourde à cet égard, c’est à la presse anglo-saxonne, par les bons soins du Figaro, qu’il revient de tirer la sonnette d’alarme, comme en témoignent un éditorial de l’Observer émanant de David C. Unger, publié le 18juin, et s’intitulant « En Europe, le contrat social est en pièces » (le titre suffit à rendre compte du contenu !) et un éditorial du New York Times, publié le 25 juin, dénonçant, sous l’intitulé « Proposer mieux à la Grèce », « l’insistance bornée des négociateurs européens à nier leurs erreurs » face « à l’appel à l’aide raisonnable d’Athènes ».
A cet égard, il convient aussi, par souci d’objectivité, de stigmatiser l’usage extrêmement simpliste et inexact que font beaucoup de personnalités et de media des « réformes de Gehrard Schröder » qui expliqueraient les succès de l’Allemagne et mériteraient d’être copiées. Comme l’a montré Guillaume Duval, dans son ouvrage « Made in Germany », ce ne sont pas les réformes de G.Schröder qui sont à l’origine des succès récents de l’Allemagne, mais, bien plutôt, ses forces vives et ses atouts industriels dont l’existence est beaucoup plus ancienne. En fait, l’Allemagne a payé cher ces réformes avec la montée des inégalités et de la précarité d’un grand nombre de travailleurs, se chiffrant par millions, en particulier de travailleurs féminins dans les services. Les vrais représentants de l’économie sociale qui a fait la force de l’Allemagne, les vrais socio-démocrates, ne s’y sont pas trompés et cela a, même, provoqué une scission avec la création de « Die Linke ». Et, aujourd’hui, c’est Angela Merkel qui semble le reconnaître implicitement, en reprenant, dans la perspective des élections de l’automne, un programme social qui vise à remédier aux conséquences négatives des réformes Schröder.
Jean-Pierre Pagé