La Conférence de Bandung a réuni en avril 1955 vingt-neuf pays asiatiques et africains, dont l’Inde, le Pakistan, le Sri Lanka, l’Indonésie, l’Egypte, la Chine (alors très exclue de la scène internationale), l’Arabie Saoudite (aux positions très réactionnaires)… Six cents délégués s’y sont retrouvés dans une vaste coopération destinée à combattre le sous-développement. Réunis autour de Zhou Enlai, Nehru, Nasser, Tito, Sukarno, pour la première fois dans l’histoire, ces pays ont exprimé leur révolte contre les pays riches (l’Occident). Simultanément ils comptaient bien tirer parti de la rivalité entre les deux blocs : l’URSS et le système capitaliste, jouant un bloc contre l’autre, avec l’espoir de parvenir à un monde moins inégalitaire. La Conférence s’est prononcée formellement contre le colonialisme et le racisme. S’en est suivie la création en 1961 du mouvement des pays non alignés, et en 1964 de la CNUCED au sein des Nations Unies avec l’entrée de nombreux pays qui étaient d’anciennes colonies, leur assurant ainsi la majorité au sein de l’Assemblée Générale. Ces événements ont suscité dans « le Tiers Monde »* un immense espoir d’un monde meilleur. Quel bilan peut-on en tirer cinquante ans après ?
En Inde, Nehru expérimente la “troisième voie” avec un relatif succès, tandis que d’autres États se lancent dans des opérations plus douteuses de « socialisme national » (en particulier, l’Egypte de Nasser). Le mouvement issu de Bandung va crescendo jusque vers 1975, époque où les Nations Unies discutent du “nouvel ordre international”.
Se produit alors un renversement de situation : d’une part, le début du délitage du bloc soviétique après l’invasion de la Tchécoslovaquie, d’autre part la crise de l’énergie avec la montée en puissance de l’OPEP qui draine une énorme manne financière que les pays producteurs n’ont pas su gérer et qui fut immédiatement absorbée par les banques occidentales. Enfin, une « contre-réforme » du capitalisme, fondée sur le monétarisme, sous la houlette de Thatcher et Reagan. Cette contre-réforme (succédant aux réformes du capitalisme réalisées après la Seconde Guerre Mondiale), mise en application sous l’égide du FMI et formalisée ultérieurement par le “Consensus de Washington”, va provoquer d’énormes dégâts dans le Tiers Monde en imposant la suppression des mesures protectionnistes, l’effacement du rôle de l’Etat ainsi que des politiques sociales. Le mouvement des Non-Alignés perd de sa substance.
Aujourd’hui certains voudraient le restaurer, tel Lula au Brésil avec la création du G3 (Brésil, Inde, Afrique du Sud) transformé ultérieurement en G20. Mais, même à l’OMC où les PVD sont majoritaires, ceux-ci se sont laissés imposer par les pays occidentaux des règles qui les desservent. À noter un facteur nouveau, gros de potentialités : le poids démographique et économique pris par l’Asie du Sud-Est en cinquante ans.
Au moins deux changements fondamentaux sont à mettre au crédit de Bandung : d’une part, la forte croissance économique des pays de la périphérie du capitalisme comme la Chine, l’Inde, la Corée du Sud ou l’Indonésie qui, pour la plupart, n’ont pas accepté les préceptes du FMI et ont su préserver une politique industrielle endogène ; d’autre part, la décolonisation de l’ensemble afro-asiatique, qui n’a toutefois pas été suivie d’une amélioration du niveau de vie des populations concernées.
En contre-partie, l’après Bandung se traduit par de piètres résultats dans beaucoup de domaines : inégalités sociales croissantes, non respect de l’environnement, uniformisation culturelle, etc. Par exemple en Chine, en dépit de résultats économiques indéniables, soixante mille mouvements sociaux ont été réprimés en 2004. Le bilan est donc pour le moins mitigé.
Ignacy Sachs estime qu’il faut maintenant essayer de mettre sur pied des modèles nouveaux, car le non-alignement tel qu’il avait été défini à Bandung n’a plus de sens, l’antagonisme entre les deux anciens blocs ayant disparu. Le développement des rapports Sud-Sud lui paraît nécessaire.
* Terme inventé par un chercheur français en 1952
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