Intervenants :
Alain BOYER, auteur de : « 1905. La séparation Églises – Etat. De la guerre au dialogue ». Editions Cana
Ghaled BENCHEIKH, Président de la Conférence Mondiale des Religions pour la Paix
Laurent KLEIN, Directeur d’Ecole publique, membre du Mouvement Juif Libéral de France
René RÉMOND, Président de la Fondation Nationale des Sciences politiques
Jean-Daniel ROQUE, Secrétaire Général de la Fondation du Protestantisme Français
Pierre TOURNEMIRE, Secrétaire général adjoint de la Ligue de l’Enseignement
Jean OFFREDO, journaliste, ancien Président du Cercle Condorcet de Paris, propose trois questions pour servir de fil rouge au débat :
Faut-il réviser la loi de 1905, ? Connue sous le nom de « Loi de séparation des Églises et de l’État », elle traite en fait des relations entre les cultes et la République, alors que les termes de laïcité, État, Églises n’y figurent pas. Perçue comme un symbole et l’un des fondements de la République, couramment expression de passions, elle est aussi mal connue.
Maintes fois modifiée déjà dans l’histoire, elle est aujourd’hui l’objet de demandes en révision, eu égard en particulier, à la présence active de nouvelles religions, tel l’islam.
2. Quelle laïcité pour aujourd’hui ? Même si la laïcité n’est pas l’objet premier du débat d’aujourd’hui, on doit cependant avoir à l’esprit quelques questions fondamentales. La laïcité est-elle une valeur fondatrice de liens sociaux ? Est-elle principe de tolérance ? Les religions sont-elles seulement de l’ordre du privé ? Peut-on opposer laïcité « ouverte » à laïcité « pure et dure » ? S’agit-il d’une approche franco-française, ou a-t-elle une dimension plus large ?
3. Quels sont la place et le rôle des religions dans la société d’aujourd’hui ? Il faut bien comprendre l’article 2 de la loi : « la République ne reconnaît (…) aucun culte », ne signifie pas qu’elle ne les connaît pas, ce qui n’équivaut ni à l’indifférence, ni à l’ignorance. De là il découle que l’on doit s’interroger sur le fait religieux dans la société. La connaissance des religions ne relève-t-elle pas du constat nécessaire ? N’y a-t-il pas un intérêt sociétal à cela ? Les religions ne doivent-elles pas être prises en considération dans le débat démocratique ? Ne sont-elles pas un apport public aux choix faits dans la société ?
Introduction au débat d’Alain BOYER
La loi de 1905 a marqué et marque profondément les relations entre l’État et les cultes en France.
Elle est un des éléments de la spécificité française avec une antériorité certaine par rapport à d’autres pays européens en ce domaine. Elle caractérise la « laïcité à la française », même si elle s’inscrit maintenant dans le cadre plus large de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ratifiée par la loi du 31 décembre 1973, et en particulier son article 9.
La loi de 1905 ne règle pas tous les problèmes de relations entre les religions et l’État. D’abord elle ne s’applique pas sur tout le territoire de la République où d’autres régimes juridiques existent.
D’autre part, elle ne traite que de l’exercice public des cultes et n’épuise pas toutes les données de la laïcité constitutionnelle, ni même de la laïcité, en droit positif français qui repose sur bien d’autres dispositions législatives dans d’autres domaines que les cultes.
La laïcité constitutionnelle a une portée juridique et géographique bien plus large que la loi de 1905 qui elle-même n’est que l’aboutissement de nombreuses lois de laïcité toujours en vigueur issues de la Révolution et prises depuis la Troisième République après la victoire des républicains, sur l’état- civil, la suppression des prières publiques, la laïcité des prétoires, de l’école publique ou des cimetières.
Pourtant la situation religieuse de la France a beaucoup évolué. Les rapports des Français à la religion ont changé et l’institution ne dicte plus de la même façon les conduites et les consciences de ses fidèles. Le cléricalisme n’est plus l’ennemi car il n’est plus prôné ni pratiqué par l’Église catholique devenue, au moins depuis Vatican II, pleinement respectueuse des libertés et en particulier de la liberté religieuse et de l’autonomie du politique par rapport à la religion.
Par ailleurs de nombreux cultes nouveaux sont apparus sur notre territoire, orthodoxie, religions orientales, hindouisme, bouddhisme et surtout l’islam, qui n’était pas présent en 1905 sur le territoire de la métropole. Ces cultes bénéficient grâce à la loi de 1905 d’une totale égalité juridique avec les anciens cultes reconnus, mais ils souffrent de nombreuses inégalités de fait. Tout doit être mis en œuvre, au nom de la loi de Séparation des Églises et de l’État pour renforcer la cohésion nationale, afin que ces inégalités s’estompent et pour que ces cultes aient aussi pleinement leur place « à la table de la République. L’action de l’État qui a permis aux musulmans de se doter d’un organe représentatif à travers le Conseil français du culte musulman va incontestablement dans ce sens.
Il ne faudrait pourtant pas sacraliser la loi de 1905. Comme toute loi, elle est d’abord faite pour l’homme à un moment donné et dans une situation particulière. La loi de 1905 n’est pas intangible, elle a été à plusieurs reprises modifiée, améliorée, complétée et interprétée.
Toutefois, une révision de cette loi n’est pas nécessaire. Elle pourrait s’avérer dangereuse pour la démocratie et pour les libertés. Les principes fondamentaux posés par la loi qui se sont révélés si féconds dès lors qu’ils ont été utilisés avec pragmatisme, doivent au contraire être développés, expliqués, enseignés et leur application concrète doit être soigneusement évaluée. Il conviendrait sans doute de solliciter les interprétations jurisprudentielles et de faciliter une lecture ouverte de la loi, dans le respect des grands principes. Les questions soumises au Conseil d’État pourraient l’être par le gouvernement, mais aussi par un organe consultatif, un Haut Conseil pour les libertés religieuses où siègeraient non seulement des représentants des différents cultes, mais également des responsables des différentes écoles philosophiques et de pensée, en particulier les athées, les libres-penseurs, les rationalistes et les francs-maçons.
La loi de 1905 doit faciliter la construction d’une France plus ouvert, plus tolérante, plus fraternelle, en apaisant les querelles religieuses comme le souhaitaient ses auteurs et en favorisant, à travers la laïcité, les conditions nécessaires à des dialogues philosophiques et inter religieux respectueux de l’autre et des autres, riches et féconds, sans volonté de prosélytisme, sans tentation de syncrétisme, mais dans le souci du service de l’homme, sur le plan individuel et collectif.
VERBATIM
Faut-il réviser la loi de 1905 ?
Ghaled BEN CHEIKH
Il faut sûrement l’amender sur deux points fondamentaux :
– le financement des lieux de culte, car il faut refuser toute opacité, sinon, c’est la porte ouverte aux financements occultes dictant leurs conditions et leurs doctrines radicales.
– Il faut exiger l’application de la loi à l’ensemble des départements et des territoires d’outre-mer pour garantir le même traitement à tous les citoyens.
Laurent KLEIN
La loi de 1905 n’est pas du tout caduque, mais la communauté nationale devrait assurer un travail de relecture et de re-questionnement à partir des relations de la société et de l’école. Il faut tenir un discours raisonné par rapport à la religion et répondre aux demandes des élèves, à l’image de ce que la science a apporté à la lecture des textes religieux, contre les discours obscurantistes tenus parfois par quelques enseignants.
René RÉMOND
Même s’il y a eu des inquiétudes au sommet de l’État – « pas de querelles inutiles !» – le centenaire de la loi de 1905 a eu un grand retentissement dans la société civile, y compris dans les communautés territoriales, ce qui est nouveau. Et il s’agissait plus de compréhension que de célébration, ce qui manifeste un apaisement profond.
D’accord pour l’ouverture d’un débat, portant sur quelques termes de la loi, porteurs d’ambiguïté, mais pas question de revenir sur les principes essentiels. De nombreux articles ont déjà été modifiés, d’autres sont devenus obsolètes. Réviser en ce sens peut permettre une harmonisation et une mise au clair. D’ailleurs, le corpus de très nombreux aménagements a été dressé par la Commission Stasi. Réviser ne veut pas dire remettre en question.
Jean-Daniel ROQUE
Plus que révision ou toilettage, il faut parler d’adaptation d’un certain nombre des modalités de la loi, ce qui ne remet pas en question ses principes fondamentaux. Il faudra bien en particulier reprendre la question du subventionnement public des édifices de culte.
Pierre TOURNEMIRE
Aucune loi n’étant immuable, des modifications pourraient lui être apportées (on ne compte d’ailleurs plus celles qu’elle a déjà subies). Cette loi est encore adaptée aux situations rencontrées actuellement grâce à la clairvoyance et à la sagesse politiques des législateurs de l’époque qui n’ont pas, alors, fait une loi de circonstance.
En revanche, un « toilettage » serait sans doute nécessaire s’agissant de certaines dispositions concrètes devenues obsolètes ; la loi y gagnerait en clarté et en crédibilité.
Tenant compte des évolutions et des réalités d’aujourd’hui, des mesures législatives et/ou réglementaires pourraient être envisagées, telles que :
– le traitement égalitaire des différentes options spirituelles
– la construction des lieux de culte – concrètement, des mosquées
– la formation des ministres du culte – concrètement, des imams
Cette loi mérite d’être appliquée partout avec intelligence et esprit de négociation ; y compris dans les territoires français où elle n’est pas observée actuellement.
Quelle laïcité pour aujourd’hui ?
Ghaled BENCHEIKH
La laïcité doit être entendue comme ce qui permet le dialogue et la coexistence pacifique entre les citoyens, comme un bien transmissible universellement. Ce mot n’a pas d’équivalent dans les langues véhiculaires du Coran, où « laïque » est synonyme d’athée. Pourtant, le musulman est on ne peut plus laïque, la tradition islamique ne connaissant pas de structure cléricale. Il appartient aux musulmans en France de se conformer à la loi.
Laurent KLEIN
Il y a deux décennies, on pouvait considérer que la laïcité était un fait acquis. Actuellement, la coexistence du fait religieux et de la laïcité entraîne, compte tenu de l’évolution de la société, une demande de plus en plus pressante quant au fait religieux. La réflexion sur la laïcité doit inclure la question de la place des différentes religions en France, en particulier de l’islam où tout un travail d’intégration dans la société française n’a pas eu lieu, contrairement à ce qui s’est passé pour les autres religions. L’École est laïque et républicaine, mais l’enseignement républicain a trop laissé la place à des transmissions de données « molles ». C’est à elle d’apprendre à canaliser et à exprimer rationnellement les identités – y compris religieuses. C’est actuellement un besoin et une demande des élèves.
René RÉMOND
La laïcité est un fondement de la République reconnu par toutes les religions, mais il est évident que la différence de situation entre les deux périodes de l’histoire est flagrante : en 1905, il s’agissait de dissocier le catholicisme d’avec la Nation ; aujourd’hui, il s’agit d’intégrer l’islam dans la Nation. La laïcité doit faire preuve d’intelligence…
Jean-Daniel ROQUE
Plusieurs faits montrent, hélas, que l’État d’une part et plusieurs services publics et assimilés, d’autre part, ont perdu de vue la notion de neutralité, étroitement liée à celle de laïcité. Il conviendrait de la retrouver. Ainsi telle brochure éditée par le Ministère de l’intérieur en 2005 comporte pour la première fois un modèle de statuts d’associations cultuelles. Or, quand on lit ce texte, on est abasourdi de découvrir qu’il ne fait aucune allusion à la loi de 1905…
Un autre problème dure également depuis plusieurs années, c’est celui de la vigilance sourcilleuse et pointilleuse avec laquelle certains organismes publics – par exemple les Caisses d’allocations familiales – regardent les statuts des associations qui demandent des « bons vacances ». Quand une inspiration chrétienne apparaît dans les statuts, la CNAF refuse d’accorder ces bons, même si l’association déclare que ses activités sont ouvertes à tout le monde et qu’il n’y a aucune obligation de participer à des activités confessionnelles. Ceci n’a aucun fondement.
Ces exemples montrent bien les limites du discours rassurant qui nous est tenu quant à la vigilance du Conseil constitutionnel sur le respect de la loi de 1905, ceci n’est plus vrai depuis une bonne décennie et il serait intéressant de s’interroger sur les raisons d’une telle attitude.
Pierre TOURNEMIRE
En ce XXI ème siècle, si l’on veut que la laïcité reste le socle de la cohésion nationale, cinq conditions sont nécessaires :
– Que la laïcité soit bien la garantie du pluralisme. Que chacun puisse déterminer ses options en conscience, sans magistère ni tutelle, et que cette liberté soit aussi une liberté d’expression. Ceci ne peut se réaliser que dans un climat de paix civile, dans un environnement démocratique conciliant la tolérance et le respect. Et pour ceux qui ne se reconnaissent dans aucune option religieuse, que soient bien distinguées : citoyenneté et religion.
– Que la personne humaine et les droits de l’Homme soient respectés. Les citoyens doivent être égaux et traités comme tels. Ceci suppose que l’on n’enferme personne dans son identité, que l’on évite les amalgames porteurs de dérives communautaires.
– Il découle de ceci la nécessité de faciliter à chacun l’accès aux connaissances afin qu’il développe lucidité et raison critique ; afin qu’il apprenne à penser.
– Tout cela n’a pas de sens sans justice sociale. La misère est sourde à l’égalité de droit. Expliquer à quelqu’un qu’il faut vivre ensemble alors qu’il est dans une situation d’exclusion, est une provocation. La dignité bafouée est sensible à tous les extrémismes. La laïcité ne peut se cantonner au ciel des idées ; elle doit contribuer à la justice sociale et à la lutte contre toutes les discriminations.
– Que l’on développe les conditions nécessaires à « l’agir ensemble », avec plaisir. Ce n’est pas un hasard si les deux rapprochements importants au cours du XX ème siècle entre les courants laïques et catholiques se sont faits après la fraternité des tranchées et les combats de la Résistance. Il ne devrait pas être nécessaire de revivre des évènements aussi dramatiques pour qu’il y ait des rapprochements.
La laïcité n’est ni une croyance de plus, ni une religion de l’incroyance ; elle permet à tous de vivre en paix dans un même pays quelles que soient les croyances de chacun ; elle autorise chacun à avoir des convictions affirmées, tout en l’incitant à garder cette faculté importante pour l’individu qui est celle de douter.
3. Quels sont la place et le rôle des religions dans la société d’aujourd’hui ?
Ghaled BENCHEIKH
Le rôle des religions est de donner du sens, du liant, une véritable solidarité entre citoyens. C’est un devoir pour les Églises d’appeler à la dignité humaine dans la cité et ses institutions.
Laurent KLEIN
La laïcité fait partie de l’histoire de la France et de ses relations avec sa religion dominante. Même les plus laïques sont imprégnés de cette culture. Il faut prendre conscience de cette imprégnation de la société, mais qu’en est-il des autres religions, en particulier de l’islam ? Que l’on pense au traitement réservé à Noël par rapport à l’Aïd el Kebir ! Il faut informer sur l’islam dans les médias en dans l’enseignement.
René RÉMOND
Une religion n’est pas seulement une conviction, c’est aussi une philosophie. De par sa dimension collective, c’est aussi un fait social. Il conviendrait de conjuguer neutralité de l’État et reconnaissance de cette dimension collective, fondant droits et devoirs. Les religions contribuent aussi à l’éducation de leurs fidèles et à leur participation dans la société. Plus généralement, elle contribue au débat démocratique, d’un point de vue éthique, comme sur la question de la bioéthique dont le Comité national comprend des représentants des principales philosophies et religions.
Les religions ont ainsi un rôle à jouer dans l’élaboration collective des consciences.
Jean-Daniel ROQUE
S’agissant du rôle des religions dans la société, la question de l’enseignement du fait religieux est un sujet qui m ‘intéresse particulièrement eu égard à mes fonctions professionnelles. C’est une question difficile pour une raison essentielle. Non pas que nous ne sachions pas ce qu’il faudrait enseigner – des experts y travaillent, un programme est presque terminé – mais la difficulté majeur réside dans la formation du corps enseignant et des corps d’inspection jusqu’au plus haut niveau.
Cet enseignement doit évidemment être délivré sans références à des convictions personnelles, de la manière la plus objective possible. Ouverture et éclairage, voilà ce qu’il faut donner aux élèves. Je crains que ceci n’entre pas dans les faits rapidement, car il faudra développer en amont un gros effort de formation.
Pierre TOURNEMIRE
Toute personne a des droits d’expression qu’elle peut légitimement manifester dans la société, avec la seule contrainte de ne pas perturber le fonctionnement de celle-ci ; de ne pas nuire à l’intérêt général. Les revendications identitaires, les pratiques religieuses doivent pouvoir s’exprimer dans l’espace public, sans aucune contrainte ni suspicion, à la condition qu’elles n’empiètent pas sur la délibération politique ; qu’elles ne cherchent pas à s’imposer à ceux qui ne s’y reconnaissent pas.
Il faut dépasser les contingences politiques immédiates pour considérer les enjeux à long terme ; gérer au mieux les problèmes difficiles, sans figer l’avenir, tout en rappelant l’égale appartenance à une communauté de citoyens. Cela suppose de ne pas faire preuve d’angélisme, mais aussi de ne pas exclure a priori ceux qui ne pensent pas comme nous. Ce n’est que par le dialogue sans concessions, mais sans procès d’intentions, que se trouveront des solutions adaptées. Méfions-nous aussi de ne pas qualifier trop hâtivement de valeurs universelles – s’imposant à tous – certaines normes culturelles liées à notre histoire et à nos traditions.
La laïcité, c’est l’éthique du débat. Pouvoir débattre de tout, avec tout le monde. Elle permet donc l’expression – dans un cadre démocratique – de toutes les convictions, religieuses ou non. Ainsi, l’enseignement du fait religieux doit pouvoir s’exercer dans le cadre de l’enseignement public, en tant qu’élément de connaissance, au même titre que d’autres. Cela suppose que toutes les options spirituelles – pas seulement celles d’origine religieuse – soient garanties.