La Culture et la Crise Actuelle
Il peut sembler paradoxal de s’intéresser à la culture alors que des émeutes de la faim éclatent dans de nombreux pays, que le prix des différentes énergies explose et qu’une crise financière majeure menace le système capitaliste.
Pourtant, la culture est un élément fondamental à la fois de notre vie mais aussi du système économique et politique :
– leur culture, autant que leur puissance économique ou militaire, a permis aux Etats Unis d’Amérique d’asseoir leur domination sur le monde,
– les industries culturelles constituent le premier poste excédentaire de la balance des biens et des services américains,
– la culture : c’est certes des musées, des films et des disques, mais c’est aussi un mode de vie (look de basketteur américain des jeunes de banlieues Français ; dès qu’un pays « se développe », on voit ses habitants consommer plus de Coca Cola, de Mac Do ou de café Starbucks).
En conséquence, la culture a été « pervertie » par le système capitaliste qui en fait un objet de profit comme les autres.
L’enjeu est donc de recréer ou de développer des singularités pour que la culture contribue à apporter des réponses à la crise actuelle et à la construction d’un nouveau paradigme économique, social et culturel.
La Culture « pervertie » par le Capitalisme
Au cours du XXème siècle, on a assisté à une industrialisation et à une massification de la culture :
– la fréquentation des cinémas s’est fortement développée en France après la Seconde Guerre Mondiale, en partie parce qu’une des conditions d’attribution des crédits du Plan Marshall était l’importation de films américains,
– le fort développement de la pénétration de la télévision dans les foyers français (13% dans les années 60 contre 96% en 1996) est caractéristique de ce phénomène,
– l’explosion des produits « dérivés ». Les ventes en salles ne représentent qu’une faible partie des recettes d’un film,
– les « psycho technologies » (dont la télévision) ne sont plus mises en œuvre par des artistes mais par des industriels.
Cette situation conduit à ce que la télévision ne soit plus un instrument d’information ou de diffusion de la culture, mais serve essentiellement à vendre de la publicité ou du parrainage d’émissions.
Le but est de capter l’énergie libidinale des téléspectateurs pour en faire des « mammifères consommants » (Catherine Dolto). Cette stratégie est d’autant plus avérée vis à vis des jeunes téléspectateurs qu’il s’agit de conditionner pour court-circuiter l’autorité parentale et l’école.
La télévision devient alors une toxine qui crée des déficits d’attention chez les enfants, laisse des traces indélébiles chez les plus jeunes (cf. les études de Freud alors que 90% des moins de 3 ans ont accès à la télévision ou à des films/DVD).
Il est à noter que cette prolétarisation des consommateurs a lieu parallèlement à celle des travailleurs (qu’ils soient ouvriers ou cadres, de plus en plus cantonnés dans des tâches vides de sens pour eux).
Quel Nouveau Paradigme Economique, Social et Culturel ?
Il est évident que l’humanité devra, au XXIème siècle, inventer un nouveau paradigme économique et social pour faire face aux défis écologiques, mais aussi industriels, financiers, éthiques (des OGM à la bioéthique) …
La culture a un rôle fondamental à jouer dans ce cheminement si nous voulons « grandir en humanité » (Patrick Viveret) et ne pas sombrer dans la guerre et le chaos.
Il faudra alors passer à une culture de contribution (et non pas de pure valorisation financière) et de production personnelle (et non de simple consommation), à une culture d’ «abondance frugale » (Jean-Baptiste de Foucauld) à la place de la recherche d’une consommation débridée (cf. la nouvelle segmentation de l’hyper-luxe destinée à capter les revenus des nouveaux riches de la finance ou des oligarques prédateurs), …
Pour cela, il faudra définir de nouvelles règles et de nouveaux programmes, proposer de nouveaux cultes laïques ou non avec des « exercices spirituels ». Cet avènement ne se fera pas, en effet, sans discipline pour canaliser l’énergie libidinale non vers la consommation et la frustration matérielle, mais vers l’investissement social, le partage et la solidarité.
par Bernard STIEGLER
Directeur du Département du développement culturel au Centre George Pompidou
Synthèse par Michel Cabirol, co-président du Cercle