Bioéthique et politique
Débat avec le professeur Jacques Testard
Synthèse réalisée par Jean-Michel Fuster
I l convientd’abord d’exercer une réflexion critique à propos du rôledévolu aux experts. Ceux-ci, bien évidemment ne peuvent êtreconsidérés comme seuls détenteurs de la vérité.Leur connaissance doit être confrontée aux valeurs de la société,mais également analysée en tenant compte de ce que l’on pourraitpresque nommer une « idéologie scientiste ». En effet,il faut mesurer là les conflits entre l’intérêt desindividus et ceux des scientifiques ou des multinationales qui de plusen plus les emploient .
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Jacques Testart prend ainsil’exemple des organismes génétiquement modifiés (O.G.M.).Dans le domaine de la biologie végétale où l’on pourraitpenser que le débat sur la morale n’a pas la même acuitéqu’en ce qui concerne l’humain, les affrontements sont très vifset illustrent bien les enjeux socio-économiques en cause. Si l’onoppose les inconvénients, les craintes que suscite leur utilisation,à leurs avantages potentiels, ces derniers eux-mêmes ne sontpas discutés au nom du principe « scientiste » qui voudraitque tout ce qui est nouveau soit mieux. Or il semble bien que l’intérêten terme d’amélioration de la qualité comme de la quantitéde la production agricole des terrains ensemencés par des O.G.M. soit tout à fait négligeable et que l’on ne puissepas parler d’un réel progrès apporté par les techniques.
En revanche, l’effet estsurtout économique et social quand il aboutit à transformerles paysans en employés des multinationales de l’agrochimie.
Dans le même espritde « critique scientifique » (comme on parle de critique littéraireou cinématographique), Jacques Testart pointe plusieurs situationsrévélatrices des discordances qui peuvent apparaître entre l’intérêt des scientifiques et celui des citoyens.
L’un des sujets les plus controversés en France aujourd’hui est de savoir s’il est éthiqueet légitime d’utiliser pour la recherche des embryons surnumérairesissus de programmes de fécondation in vitro . A titre personnel,une telle démarche ne choque pas Jacques Testart, mais la questionprincipale est pour lui : pour quelles recherches ?
En effet, les Britanniques,dont les laboratoires d’embryologie sont parmi les plus performants aumonde, bénéficient de cette possibilité depuis 1990et aucun résultat notable n’en est sorti depuis. Finalement, JacquesTestart en arrive à se demander si le débat actuel en Francen’est pas purement symbolique, l’embryon étant dans notre pays leseul état de l’être humain sur lequel on ne pouvait jusqu’alorsmener de recherche.
A l’inverse, la questiondu clonage thérapeutique destiné à fabriquer des tissusgreffables, est un domaine encore tout à fait balbutiant chez l’animal.
Passer d’emblée etsans précautions, à des recherches sur l’homme paraît s’expliquer d’abord par la volonté de ne pas se laisser dépasserpar les Etats-Unis et leurs start-up de biotechnologies.
Ceci reviendrait donc àutiliser le mythe de la recherche scientifique, principal agent du progrèsde l’humanité, pour masquer des projets essentiellement industrielset des rivalités économiques.
Enfin, Jacques Testarts’attaque à un sujet généralement considéré comme consensuel : le Téléthon. Pour lui, cette opération qui rapporte 500 millions de francs par an (somme comparable au budgetde fonctionnement de l’INSERM) est riche d’ambiguïté.
La thérapie géniqueen particulier, prétexte à cette mobilisation, ne sembleaboutir qu’à des résultats très limités.
En revanche, les laboratoiresde recherche, bénéficiaires potentiels de cette manne financière, sont tentés d’orienter, au moins officiellement, leurs travaux vers des thèmes rattachés au but de cette opération,quitte ensuite, à utiliser les fonds ainsi obtenus àd’autres activités.
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Le deuxième grandthème abordé par Jacques Testart est celui de la fragilité des positions de la société vis à vis de la bioéthique. « L’éthique est-elle soluble dans le temps ? ». Cette interrogation forte s’impose pour lui, face à la multiplication d’avis rendus au cas par cas, la remise en cause des législations, selon la force des groupes de pression au moment de la prise de décision, l’existence de « principes » différents selon les civilisations,au point que la discussion éthique n’aurait finalement pour butque de préparer les esprits à l’acceptation de ce qui paraissaitau départ totalement inacceptable.
Face à cela, ilest indispensable de rappeler clairement quelles sont les limites infranchissablespour une société humaine. Et pour que ces limites ne soientpas menacées par la pression des lobbies religieux, scientifiquesou industriels, pour qu’elles ne soient pas uniquement définiespar des experts, évidemment à la fois juges et parties, JacquesTestart propose de recourir à des « conférences decitoyens ». Celles-ci feraient appel à des volontaires anonymes, réunis pendant plusieurs jours, éventuellement de façon simultanée, dans plusieurs pays, en présence d’experts etde contre-experts dialoguant sous l’égide d’un comité depilotage. C’est sans doute dans la composition de cette dernière instance que résident les plus grandes difficultés.
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La discussion avec l’assistances’est engagée d’abord sur ce thème et sur l’information descitoyens face aux experts scientifiques. Ce fut l’occasion de rappeler la nécessité de l’éducation permanente. Sur ce point,Jacques Testart insiste sur le fait qu’il était toujours possibled’aborder des sujets complexes en utilisant des mots simples.
La responsabilité des médias dans l’amplification des inquiétudes du public est soulignée. La question de la temporalité posée par Jacques Testart est longuement analysée en essayant de définir, entre l’éthique métaphysique de « l’à jamais » et l’opportunisme, la place d’un temps politique.De même, les problèmes posés par la diversité des cultures pour la définition de principes éthiques à vocation universelle, amènent à la proposition de la notion « d’éthique générique », liée au« genre humain ». Cette conception paraît cependant pour Jacques Testart perdre de sa force dans les sociétés dontla culture est imprégnée des croyances en la réincarnation (hindouisme, bouddhisme).
Un appel à démythifier la science d’aujourd’hui est lancé,en particulier en rappelant la part prépondérante des technosciencessur la recherche fondamentale.
Jacques Testart revient alors sur les risques concrets liés àcertains progrès techniques en prenant l’exemple du diagnostic pré-implantatoire.
En dehors de l’interrogation morale sur les dérives eugéniques sous-tendues par la diffusion non contrôlée de ces techniques, il insiste sur la méconnaissance des effets positifs de certainsgênes pathogènes dont l’élimination systématiqueserait potentiellement porteuse de risques encore plus graves pour l’ensemble de l’espèce.
Il faut rappeler que s’il existe encore un lien très fort entreles experts et les politiques, ces derniers sont néanmoins devenusbeaucoup plus méfiants depuis le drame du sang contaminé.
Enfin, si Jacques Testart approuve, sans grande illusion, la maîtrise , au nom de principes éthiques , du développement des technosciences,il lui semble que la présentation dramatique de ce qui va arriver,reste encore un des moyens les plus efficaces pour l’éviter.
La responsabilité des médias dans l’amplification des inquiétudes du public est soulignée. La question de la temporalité posée par Jacques Testart est longuement analysée en essayant de définir, entre l’éthique métaphysique de « l’à jamais » et l’opportunisme, la place d’un temps politique. De même, les problèmes posés par la diversité des cultures pour la définition de principes éthiques à vocation universelle, amènent à la proposition de la notion « d’éthique générique », liée au « genre humain ». Cette conception paraît cependant pour Jacques Testart perdre de sa force dans les sociétés dont la culture est imprégnée des croyances en la réincarnation (hindouisme, bouddhisme).
Un appel à démythifier la science d’aujourd’hui est lancé, en particulier en rappelant la part prépondérante des technosciences sur la recherche fondamentale.
Jacques Testart revient alors sur les risques concrets liés à certains progrès techniques en prenant l’exemple du diagnostic pré-implantatoire.
En dehors de l’interrogation morale sur les dérives eugéniques sous-tendues par la diffusion non contrôlée de ces techniques, il insiste sur la méconnaissance des effets positifs de certains gênes pathogènes dont l’élimination systématique serait potentiellement porteuse de risques encore plus graves pour l’ensemble de l’espèce.
Il faut rappeler que s’il existe encore un lien très fort entre les experts et les politiques, ces derniers sont néanmoins devenus beaucoup plus méfiants depuis le drame du sang contaminé.
Enfin, si Jacques Testart approuve, sans grande illusion, la maîtrise – au nom de principes éthiques – du développement des technosciences, il lui semble que la présentation dramatique de ce qui va arriver, reste encore un des moyens les plus efficaces pour l’éviter.
Synthèse par Jean-Michel Fuster