pleinière animée par le Sénateur Claude Saunier (1)
Le changement climatique est une réalité incontournable. Ce n’est pas la première fois que l’on observe dans l’histoire des périodes de changement de climat allant, soit dans le sens d’un réchauffement, soit vers celui d’un refroidissement. Ainsi, le changement climatique que l’on observe actuellement est un phénomène géologique normal. Ce qui ne l’est pas en revanche, c’est la brutalité et la vitesse avec laquelle s’effectuent ces transformations. Ce constat est validé par nombre de scientifiques. Il est incontestable et incontesté. Ces spécialistes ont procédé à la reconstitution des cycles climatiques au cours des six cent cinquante derniers milliers d’années, à partir de carottages effectués dans l’Antarctique.
On sait, bien sûr, qu’il y a eu des changements climatiques au cours des périodes géologiques antérieures, mais ceci a pris plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires ! « Ce qui est nouveau, affirme l’intervenant, c’est la brutalité et la rapidité du changement en cours. » Le GIEC – Groupement International d’Etudes des Climats – publie tous les deux ans un rapport scientifique sur l’état de la planète. Les prochains rapports vont sortir dans quelques semaines où quelque mois. On peut penser qu’il y aura vérifications et amplifications de ce qui est avancé.
Suivant les modèles scientifiques, la température va augmenter de un, deux ou trois degrés, voire plus. On peut évidemment penser que ce serait sympathique de voir la culture de l’olivier remonter dans la vallée du Rhône ! Oui mais, l’augmentation de la température pourrait être de trois ou quatre, voire cinq degrés ! On peut toujours penser que c’est peu. Or, l’on sait aussi qu’entre la dernière grande période de glaciation, lorsque la Grande-Bretagne était sous les glaces, que l’on traversait la Manche à pied et que les glaces arrivaient jusqu’en Dordogne, on sait qu’entre cette période et notre époque actuelle, la différence n’était que de cinq degrés !
Donc très clairement, si ce que l’on nous annonce se vérifie, nous serons sur une autre planète !
Cette configuration se mettra en place beaucoup plus rapidement, avec des effets de rupture ; les changements ne seront pas linéaires. Ces phénomènes d’accumulation quantitative entraîneront des effets qualitatifs. Par exemple : l’océan joue un grand rôle dans les échanges thermiques, dans l’absorption du gaz carbonique et fait apport d’oxygène. L’océan avec deux ou trois degrés de différence changera complètement de mode de fonctionnement, ainsi que les grandes forêts qui sont réputées être des puits de carbone, car elles ne sont des puits de carbone qu’à la condition d’être en croissance, et deux ou trois degrés de différence pourraient complètement bouleverser leur cycle de fonctionnement.
Cet impact sur les régions polaire et antarctique pourrait également entraîner une accélération des effets du réchauffement, en particulier dans le monde arctique, avec le dégel du permafrost sur les immensités de Sibérie. La conséquence en serait un dégel en profondeur et la libération de milliards de m³ de méthane et de gaz carbonique : deux gaz à effet de serre qui, en entraînant un réchauffement de deux ou trois degrés, enclencheront un emballement des modifications climatiques. Réactions en chaîne, effet d’entraînement : bouleversement du biotope dont l’adaptation ne pourra suivre la vitesse des changements climatiques.
Cet impact majeur entraînera des ruptures dans les équilibres fondamentaux de la planète et aura des conséquences au niveau économique.
Dans un rapport récent, Lord Stern, un proche de Tony Blair, évalue les coûts de ces évolutions à des montants de l’ordre de cinq mille milliards de dollars par an à l’échelle mondiale2. Ce sont des sommes énormes ! Lord Stern annonce même que cela pourrait atteindre environ 10 % de la richesse mondiale, du PIB mondial.
Quelles sont les causes de ces bouleversements climatiques ?
Elles sont essentiellement liées aux activités humaines : une corrélation tout à fait étroite est établie entre le réchauffement et la quantité de CO2 piégée dans les glaces.
Ce constat correspond parfaitement à la révolution industrielle ; en gros depuis le milieu du XIXème siècle.
Au fur et à mesure que s’est effectuée cette révolution industrielle, on a pu constater une corrélation étroite entre l’élévation de la température de la planète et la consommation d’énergies fossiles. Cette corrélation est tout à fait incontestable.
Deux questions sont indissociables : la crise du climat et la crise de l’énergie.
Qu’est-ce qui caractérise la crise de l’énergie ?
– En tout premier lieu, nous vivons dans une société fondée sur la consommation de l’énergie fossile. Ceci signifie que, depuis deux siècles, nos sociétés se sont appliquées à puiser dans le sous-sol des ressources qui s’y étaient accumulées au fil de centaines de millions d’années. Notre « progrès » a conduit à l’épuisement massif de ces ressources. Plus nos sociétés se développent, plus elles consomment de l’énergie, et l’on en arrive à cette situation paradoxale dans laquelle – dans les activités tertiaires – un employé consomme plus d’énergie ( ordinateurs, chauffage, éclairage), qu’un ouvrier travaillant dans la sidérurgie au XIXème siècle ! Et nous allons continuer à puiser de façon importante dans ces stocks, que ce soit : pétrole, gaz, ou charbon, et ceci parce que, dans les prochaines décennies, la population de la planète va continuer à augmenter. Nous sommes six milliards et nous serons neuf milliards en 2050 !
– En second lieu, globalisation oblige, les échanges iront croissant entre civilisations fondées sur une consommation vorace en énergies.
Au regard de cette perspective, qu’en est-il de l’offre ? Est-ce que la planète est capable de répondre à ces besoins ? Certainement pas, et de loin ! Ce qui est préoccupant c’est la place du pétrole : 41 % (de quoi ?) ! On peut bien sûr se dire que l’on trouvera toujours du pétrole… Or, nous savons que depuis 1980 environ, nous continuons à consommer toujours davantage de pétrole, alors que nous ne trouvons plus de nouveaux gisements. Ce n’est pas de la supputation, on ne peut que le constater. Nous attendons de la terre plus qu’elle ne peut nous donner.
Ceci nous amène à la question : « Combien de temps cela va-t-il pouvoir encore durer ? »
Et à une autre : « à quel moment allons-nous dépasser le pic pétrolier, c’est-à-dire, à quel moment la courbe de production va-t-elle commencer à s’infléchir ? »
Les « experts » ne sont pas tous d’accord sur ce point. Pour les pessimistes, le pic pétrolier c’est aujourd’hui. Les plus optimistes disent que le pic pétrolier se produira en 2030, 2040 voire 2050 . Il y a un consensus sur ces chiffres. Bien sûr on ira chercher du pétrole dans des lieux moins accessibles, bien sûr il y a des structures géologiques que l’on sait mieux explorer maintenant, grâce aux progrès de la technique. Un exemple : avec les techniques d’exploitation conventionnelle on puise environ 35 % d’un gisement, avec les nouvelles technologies de forage par injection de gaz – pourquoi pas du CO² capté — on arrive à en tirer le double. Néanmoins, il y a de grandes incertitudes.
De façon anecdotique : dans les années 70, le Koweït avait chiffré ses réserves de pétrole. On a continué à les exploiter intensément depuis trente ans, et l’on nous annonce maintenant que ce pays a toujours le même niveau de réserves qu’à l’origine, alors qu’aucune découverte nouvelle n’a été annoncée dans ce pays !
Sur la réalité des réserves de pétrole, les annonces sont plus que douteuses. Nous consommons chaque jour 83 millions de barils. À l’horizon 2050, il faudra en compter au minimum 136. Les pétroliers, c’est-à-dire les opérateurs internationaux disent : « Nous ne savons pas où trouver ces quantités ! »
Pour le charbon la ressource est plus abondante, nous aurions deux siècles de consommation assurés. Pour le gaz naturel, autour de 60 ans. Pour le pétrole, autour de 40 ans. Quarante ans c’est demain, et même si cela varie de quelques dizaines d’années, l’ordre de grandeur du problème reste identique. Est-il besoin de poser la question ? Oui, il y a urgence !
Quels seront les effets ?
Au plan économique, se sera un prix du pétrole en hausse : il est à 56 dollars en ce moment, il était à 80 dollars il y a quelques mois, cela ne peut qu’augmenter et nous entrons dans une période historique au cours de laquelle le prix du baril attendra 100, puis 120, puis 150 dollars. Il n’y aura pas de limite supérieure. S’il n’y a pas d’énergie de substitution, plus nous irons, plus les prix monteront . Ce qui est rare est cher ! Et bien sûr, avec des effets sur la croissance de l’économie mondiale. Si le coût de l’énergie de base augmente, elle connaîtra un ralentissement.
Ces difficultés d’accès aux ressources énergétiques vont générer des conflits sur la planète. Et il n’y aura pas de solution de remplacement facile.
Épuisement progressif des ressources naturelles : charbon, gaz, pétrole, voire même le nucléaire, puisque, même l’uranium est une énergie qui n’est pas inépuisable. Le recours aux énergies renouvelables, s’avère donc indispensable : l’hydroélectricité a des limites, l’éolien aussi. Même l’Allemagne qui a été très loin dans son utilisation (a pratiquement saturé son paysage), convient que ce n’est pas la réponse. Le solaire, est une voie, mais à condition qu’une évolution technologique importante intervienne s’agissant de l’amélioration du rendement des cellules photovoltaïques – ce qui n’est pas hors de portée. Quant à la biomasse, (et l’on pourrait parler des biocarburants), son bilan énergétique est loin d’être concluant : s’il s’agit de transformer toute la surface agricole de la France en plantations de colza pour faire tourner les moteurs, on pourra s’inquiéter de savoir comment nous nous nourrirons !
Les énergies de rupture comme l’hydrogène sont encore loin de la réalité. Même si l’on nous disait demain que l’on a trouvé une solution technique, il faudrait une quinzaine d’années pour la rendre opératoire.
Toutefois, si nous n’avons pas vraiment de solution technique à court terme, il y a quand même des solutions simples et pratiques.
Avant toute chose, rien ne sera possible sans un changement complet de comportement à l’échelle de la planète allant dans le sens des économies d’énergie.
Dix propositions fortes retenues pour la France par l’Office Parlementaire :
1° Mieux connaître les effets du changement climatique en mobilisant la communauté scientifique internationale. Pour lui permettre de mesurer avec précision le réchauffement climatique en lui donnant des moyens de calcul à la hauteur de la difficulté.
2° Réinsérer le changement climatique dans les mécanismes de l’économie mondiale. En particulier, en mettant en place la taxe carbone dont le droit serait intégré dans le mécanisme de l’OMC . Il faudra ainsi introduire dans les règles régissant le commerce international des éléments de compensation frappant les économies responsables des dérèglements climatiques
3°- Faire de l’Europe un acteur concret de la transition énergétique. Mettre en place la labellisation « carbone », créer des infrastructures européennes liées au développement durable (fiscalité, ferroutage, filière hydrogène). L’Europe peut être un pilote, avoir une attitude exemplaire dans la prise en compte et la mise en oeuvre d’une politique énergétique nouvelle et originale.
4°- Faire de la transition énergétique une priorité nationale, créer les structures « ad hoc » : Haut Comité, Commissariat dédié, afficher les échéances en décidant aujourd’hui pour après-demain, ajuster les législations, informer et impliquer les citoyens.
5°- Encourager le développement des filières alternatives à la consommation d’énergies fossiles. En dégageant les financements nécessaires pour amorcer cette transition qui s’autofinancera après le déploiement de la substitution.
6°- Remettre en ordre le dispositif fiscal pour assurer les financements complémentaires et amorcer la transition, tant au plan des économies d’énergie (habitat etc…) que pour financer une recherche massive et multipolaire.
7°- Mener une action spécifique dans le secteur des transports.
C’est dans ce domaine que l’évolution représente la plus grande menace pour le changement climatique, et il faudra user de la fiscalité qui devra être plus contraignante de façon à changer les comportements : abus de l’emploi de l’automobile, renoncer au « juste à temps », donc revoir les pratiques sur la comptabilisation des stocks, renoncer à aller faire décortiquer des crevettes hollandaises au Maroc !
8°- Renforcer les actions dans les secteurs de l’habitat et du tertiaire : réhabilitation des logements anciens, appliquer dès aujourd’hui des normes pour demain, repenser l’urbanisation centrifuge, et appliquer dans les bureaux des critères d’efficacité énergétique. Cesser d’éclairer « a giorno » des immeubles de bureaux vides la nuit !
9°- Impliquer fortement les collectivités territoriales.
10°- Préparer l’après 2030 en favorisant dès à présent la recherche dans quatre
domaines stratégiques :
– Les nanotechnologies
– La fission nucléaire de quatrième génération, porteuse de la double promesse d’une énergie dont les réserves seraient immenses et qui permettrait une co-production massive d’hydrogène
– La filière hydrogène, encore largement immature, mais porteuse d’une solution d’avenir, dans le cadre d’un programme européen.
– Enfin, travailler la fusion nucléaire, même, et surtout, si les perspectives de succès sont lointaines.
Synthèse Claude Studievic, membre du Cercle
1 Sénateur des Côtes d’Armor. Professeur d’histoire et géographie pendant une vingtaine d’année, actuellement à l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques qui s’intéresse aux « apports de la science et de la technologie au développement durable ». Cet Office a pour mission d’éclairer les parlementaires des deux assemblées et de débattre à froid, hors de toute attitude polémique. L’Office a produit depuis sa création une centaine de rapports.
2 pour un PIB (mondial), de l’ordre de trente cinq mille milliards de dollars par an.