par Stéphane Rozès [[Président de CAP, professeur à Sciences-Po, HEC, ancien directeur de CSA.]]
Depuis 1962, l’élection présidentielle est au cœur de notre système démocratique. Rencontre d’un homme avec le peuple comme le résumait le Général de Gaulle, et comme la plupart des candidats depuis l’ont redit, cette élection donne aux citoyens le pouvoir unique de choisir la personne qui dirigera la République Française. Le peuple demeure le souverain.
Par le pouvoir d’élire ses représentants ou même son souverain temporaire, le peuple choisit celui qui pourra le mieux interpréter ses désirs.
Selon Hobbes, le bon monarque est celui qui interprète le peuple. Nombre de politologues pensent que c’est le « haut » qui fait le « bas », mais on peut aussi penser que le président élu est celui qui se fond le mieux dans le creuset imaginaire de son peuple, et que donc c’est aussi le bas qui fait le haut.
Alors que nous sommes un régime parlementaire, l’élection des députés se fait en référence à la position du Président de la République, pour le soutenir dans son projet ou le contredire et alors imposer une cohabitation.
Pour Stéphane Rozès, la présidentielle a vocation à réactiver l’imaginaire de la société dont les candidats sont les acteurs. Chaque peuple à une « âme ». C’est une façon de se représenter le réel et de s’y représenter. Les anglais, les allemands ne se la représentent pas de la même façon que nous. C’est une incarnation de ce peuple souverain, dont beaucoup de philosophes politiques ont débattu et dont se revendiquent la plupart des politiques.
Dans cette circonstance, les pays agissent par le bas et non par le haut comme le croient trop de commentateurs. C’est vrai pour tous les pays. François Hollande parlait de la France comme d’une âme. Selon Stéphane Rozès, cette âme des peuples a une existence (valeurs, histoire, langue, etc.) et une certaine pérennité, même si certaines de ses caractéristiques peuvent évoluer. C’est pourquoi on se trompe en affirmant que l’économie commande au peuple et que le gouvernement des hommes se fait par le gouvernement des choses.
La France se pense à la fois par rapport au réel et à un projet universel qui serait dans ses « gênes ». Cela explique son caractère souvent déprimé en raison de l’écart du réel avec le projet souhaité. Dans cette construction mentale, les émotions se conjuguent avec la raison, constituant un surmoi. C’est donc toujours le gouvernement des hommes qui vient en premier et non celui des choses.
La France se projette dans le temps, dans l’espace. Le projet européen est en panne, l’espoir du progrès paraît se réduire : vers quoi aller ? Et pour quoi ? Alors que les anglais sont plutôt dans le combien et les allemands dans le comment, les français veulent se donner une direction.
Dans cette crise quasi existentielle, les français sentent leur identité remise en cause, certains tournés vers un passé, les autres vers le futur. L’Europe est au cœur de ces interrogations. Revenir en arrière ou aller de l’avant ?
Pour gagner l’élection, il faut tenir un discours prospectif, mais aussi s’appuyer sur les qualités et la diversité des français, redonner de l’espoir, revivifier la citoyenneté, le désir de République. Hollande avait gagné parce que partant du réel, il avait promis de conserver le modèle social contre un certain libéralisme. Mais il n’y avait rien de « normal » dans cette image qu’il donnait. Aujourd’hui, la question existentielle de la France est en jeu. La renaissance de la France peut-elle se faire sans l’Europe, contre le monde ?
Paradoxalement le peuple est souverain et il se projette dans une forme d’absolutisme politique. Mais celle-ci n’exclut pas nécessairement la diversité : ce qui peut être gagnant, c’est faire de cette diversité du commun, du solidaire. S’il puise ses sources dans son histoire, dans la nation, il n’y est pas nécessairement borné. Le peuple peut au contraire soigner ses « passions tristes », qui replient, en souhaitant l’arbitrage du juste et du bon à un niveau international, et pour commencer à l’échelle de l’Europe. Y construire une « vision partagée des futurs souhaitables et possibles pour chaque pays et pour la planète ».
C’est toute la force et toute l’ambiguïté de l’élection présidentielle française : Rétablir un lien vertical dans une société globalisée où tout concourt à construire de l’horizontalité.
Synthèse par Bernard Wolfer
On lira notamment de Stéphane Rozès : { L’Imaginaire National à l’épreuve}, Revue commentaire, N°157 p. 131-135.