La France s’est dotée avec EDF d’un parc nucléaire de production d’électricité performant de 58 réacteurs à eau pressurisée, relativement standardisés.
lls produisent environ 75 % de notre électricité, avec une disponibilité moyenne de 75 %, ce qui est considérable. Le parc est performant, la production peu coûteuse. C’est une énergie qui n’est pas chère pour le consommateur, est produite en continu (et non pas de façon alternative comme l’éolien et le solaire) et est non carbonée.
Tout le monde devrait être content ! Ce n’est plus le cas.
Le nucléaire dans le monde a eu un « trou d’air » avec l’accident de Fukushima en 2011. Cependant plus de 60 réacteurs nucléaires sont en construction dans le monde et de grands projets sont en prévision dans de nombreux pays. L’avenir n’est donc pas fermé au nucléaire. Mais un troisième accident après Tchernobyl et Fukushima, dont il faut rappeler qu’ils sont dus à des erreurs humaines, risquerait de ne pas être absorbé par la filière et serait encore moins accepté par le public.
La France a besoin de ce parc nucléaire de production d’électricité de base non carboné, complété par d’autres sources pour absorber les pics de consommation, et ce de manière logique, industrielle et ordonnée. Mais le Nucléaire fait face en France à des difficultés et à une certaine morosité. Pourquoi ? Il y a des problèmes techniques, des difficultés politiques et des interactions non favorables.
● Des problèmes techniques? oui et non.
On découvre aujourd’hui des irrégularités/anomalies dont certaines anciennes, de la négligence et un manque de rigueur, générateurs de « malfaçons ». Toutefois, il faut modérer ces constats car on ne disposait pas autrefois des méthodes d’analyse et de calcul qui permettent aujourd’hui, de façon non-invasive, de faire des observations que l’on ne pouvait pas faire autrefois. Cette révolution analytique combinée à une application restrictive du principe de précaution peut être paralysante.
Il y a aussi de vrais problèmes techniques : on ne sait plus ni forger, ni faire les soudures, ni faire du béton, à la perfection, du premier coup, alors que les exigences de sûreté sont en hausse en ces temps post-accidentels. Il y a de véritables pertes de savoir-faire technique mises en évidence à l’occasion de la construction de l’EPR de Flamanville. Ce qui a entraîné des pertes de temps, d’argent et de confiance, et des remises en cause de l’organisation des chantiers et de la qualification des opérateurs. Tout cela n’a rien à voir avec le Nucléaire !
La France s’est dotée d’une organisation de supervision indépendante, avec l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) qui contrôle, prend les décisions et arbitre, et qui s’appuie sur un grand organisme d’expertise et de recherche, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN). Cette organisation rigoureuse est une chance.
Les exigences de sûreté sont très élevées et sont incorporées dans le design pour prendre en compte la survenue combinée possible d’événements exceptionnels, en retour d’expérience de l’accident de Fukushima. Il ne faut pas qu’il y ait simultanément un manque d’eau et l’inactivation des pompes à cause de générateurs diesel de secours noyés !
Enfin, la communication sur les problèmes techniques avec un langage d’ingénieur et administratif est difficile et parfois incompréhensible pour le public. Une fissure pour le grand public, ça fuit ! Alors qu’il s’agit d’un autre phénomène, des défauts dans l’usinage, dans l’épaisseur de 25 centimètres d’acier. Rien n’a bougé dans la structure, on ne voyait pas ces défauts, on les voit aujourd’hui ! On peut surveiller mieux et être transparent, tout dire. La transparence sans explication suffisante et sans compréhension scientifique est une illusion dévastatrice.
{{● Des difficultés politiques ou financières}}
Le contexte politique est difficile. Par essence, les antinucléaires négocient leur soutien électoral (ainsi, la fermeture de Superphénix, la demande de fermeture de Fessenheim). Ils s’emploient à asphyxier le nucléaire en empêchant la gestion des déchets ou le démantèlement par tous les moyens. Alors que de son côté, l’ASN recommande des démantèlements rapides, pendant que l’on a encore la connaissance de l’historique de l’installation : il n’y a pas de problèmes techniques majeurs, on sait faire.
Les déchets sont diabolisés globalement sans tenir compte des différentes classes et la séparation entre niveaux d’activité et de vie des déchets, entre ce qui demande l’enfouissement géologique profond, le stockage en surface des emballages ou la simple décroissance. Les antinucléaires réclament une fin de vie précoce du nucléaire au nom du danger potentiel et de coûts auxquels ils contribuent largement pour faire valoir leur point de vue. Ils utilisent l’émotionnel et le procédural à outrance, et en font des outils politiques à leur profit, en caricaturant largement la transparence.
Heureusement, tous les écologistes ne sont pas anti-nucléaires !
{{● L’Etat n’a pas donné une vision claire de l’avenir}}
La transition énergétique a été abordée à la hussarde, sans tenir compte de la réalité économique, sans savoir ce que vont donner les fermes éoliennes offshore en cours de réalisation, avec une attitude tournée vers le non carboné tout en réduisant le nucléaire au passage, sans anticiper la fin de vie du parc nucléaire actuel dans les 20 ans qui viennent. On se prépare de gros problèmes car il faut entre 10 et 15 ans une fois la décision d’orientation prise. L’État ne semble pas avoir réalisé la nécessité de pérenniser le concept de fourniture permanente et continue d’électricité d’origine nucléaire, complétée par une fourniture non nucléaire pour faire face aux pics de demande : centrales au gaz, au fioul, ou électricité de provenance hydraulique. En Europe, les échanges d’électricité sont permanents d’un pays à l’autre, les pics sont absorbés car on ne dîne pas à la même heure à Berlin, à Paris, à Londres et à Madrid ! Mais, la situation se complique du fait de la production inopinée de courant d’origine éolienne ou solaire, injecté de façon prioritaire sur le réseau avec un impact majeur sur la volatilité instantanée des prix [[ . – Rappelons qu’il faut une ferme éolienne de près de 200 installations de 5 mégawatts pour équivaloir la production d’une simple tranche nucléaire et à la condition d’avoir la même disponibilité, ce qui est loin d’être le cas !]].
A cela s’ajoutent des questions financières. EDF n’a de problèmes que si on le maintient dans un cadre industriel et économique contraint, qui ne tient pas compte de la réalité économique. En fait, on empêche EDF de vivre en bloquant ses prix de vente et en l’obligeant à payer au prix fort la transition énergétique : rachat obligatoire de l’éolien/solaire à un prix très élevé sans pouvoir toucher par ailleurs au prix de vente du kWh (1 centime d’Euro /kWh = environ 4 milliards d’euros de chiffre d’affaire). Le kW/h est environ trois fois moins cher en France qu’en Allemagne pour le contribuable ! On peut dire que cette économie administrée est très péjorative pour EDF, alors que le parc actuel est rentable et que les mises à niveau de sûreté demandées seront assez peu conséquentes in fine sur le plan financier !
La situation d’AREVA est plus délicate : la « guerre des chefs» avec EDF et l’absence de collaboration raisonnable des ingénieries d’AREVA et d’EDF ont été dévastatrices et la vision commerciale d’AREVA était surdimensionnée, mise à mal par l’accident de Fukushima. L’État n’a joué son rôle d’actionnaire majoritaire que bien tard. Outre la vente à perte de l’EPR en Finlande (à un prix inférieur à celui de la dernière tranche de Civaux) pour avoir le marché, AREVA s’y est engagé seul, sans EDF, alors que le projet était encore sommaire et les plans d’exécution loin d’être terminés. Puis EDF s’est retrouvée assez seule aussi à Flamanville. On paye les pots cassés, avec deux prototypes EPR, Flamanville et Olkiluoto, au lieu d’un seul ! Avec le retour d’expérience de ces deux chantiers, la proposition d’EDF pour deux EPR à Hinckley Point est plus réaliste.
La remise en marche d’AREVA est conditionnée par sa remise à flot, mais avec quel actionnariat, avec quel périmètre et vers quels marchés ? Laisser AREVA dans son métier et dans ce qui était son champ de compétence, avec les partenaires adéquats, vraisemblablement chinois ?
{{● Le Nucléaire français, une belle réussite}}
Enviée ! Il ne faut pas compromettre cette réussite par des erreurs dues au manque de rigueur, à l’excès d’assurance qui ont amené à faire de « grosses bêtises » techniques voire politiques. On peut redresser la barre, avec modestie, intelligence et réalisme, et en ne laissant pas les émotions primer sur la raison. La réussite est à ce prix.
Synthèse par{{ Claude Studievic}}, membre du Cercle