{Plénière du mardi 7 novembre 2017 animée par Louis Maurin} [[ Louis Maurin, Alors journaliste à Alternatives Economiques, diplômé en Sciences économiques et de Sciences-po a créé L’Observatoire des inégalités à l’issue des élections présidentielles qui ont vu le candidat du FN participer pour la première fois au deuxième tour. Il en assure aujourd’hui encore la direction. ]]
Louis Maurin souhaite consacrer l’essentiel de ses interventions à la sensibilisation du plus grand nombre.
L’Observatoire des inégalités, qu’il a créé en 2002 n’est en aucun cas un organisme public et ne bénéficie que de très peu de subventions.
Ses ressources émanent pour partie de la vente de son rapport et des quelques ouvrages publiés et il a besoin d’un soutien financier.
Il a choisi de l’installer en région, loin des groupes politiques et des écoles de pensée dit-il, afin de donner le plus directement possible des armes aux associations, aux citoyens, aux éducateurs, dans ce combat sur cette question des inégalités.
{{• La démarche, la méthode }}
La démarche de l’Observatoire des inégalités consiste à rechercher partout l’information et à la traiter avec un principe simple : si les informations nécessaires ne sont pas disponibles, le sujet n’est pas traité. Tel est le cas, par exemple, de la rémunération des noirs dans notre pays. Les statistiques sont puisées à toutes les sources existantes et mises à la disposition du plus grand nombre.
Le premier principe de cet organisme est l’indépendance. Son objectif est de mesurer l’ensemble des inégalités et pas seulement les inégalités économiques. Démarqué d’une démarche militante il permet, poursuit son fondateur, de dire clairement « le plus grand ou le plus petit que lorsque c’est vrai ».
Le second principe est la pluralité d’expression sur le « que-faire ». L’observatoire des inégalités ne défend pas un programme unique et pour cette raison, difficile à classer, il a été plus rapidement soutenu par la presse grand public que par la presse militante de gauche.
Le troisième principe est tout aussi important, c’est l’ouverture vers un large public, de préférence celui qui est le plus à sensibiliser, c’est à dire les plus jeunes et les moins politisés, nécessitant un travail important de vulgarisation.
La démarche scientifique et la construction de l’appareil statistique sont un élément essentiel. Tout ce qui est publié en la matière est officiel mais une partie importante du savoir-faire de l’observatoire consiste à exploiter les données dont la diffusion a été négligée par les services qui les produisent, de les vérifier, de les traiter. Les statistiques sont souvent faussées par des comparaisons hasardeuses, notamment au niveau européen. L’observation consiste donc notamment à bien délimiter les données statistiques dans le temps et dans l’espace pour en valider la pertinence.
Quant au fond analytique, l’Observatoire met aussi volontairement en relation des personnes qui ont des opinions différentes y compris sur l’acceptation ou non, domaine par domaine, du niveau de ces inégalités. Le débat sur les inégalités, nous dit Louis Maurin, est très souvent caricaturé, notamment pour des raisons politiques. L’organisme qu’il dirige évite donc le plus possible, par anticipation, l’exploitation d’informations qui pourraient être utilisées dans un but inverse à celui recherché. On voit d’ailleurs dans l’actualité récente comment des données non maîtrisées sur la condition sociale pourraient aboutir à un système encore moins bon que le nôtre quant aux inégalités.
La réflexion doit porter sur les inégalités entre individus et sur le système lui-même, qui, in fine doit être supportable à vivre.
{{• L’état des inégalités en France }}
La France, est l’un des meilleurs modèles sociaux du monde avec une très grande performance. A titre d’exemple, l’école produit peu d’échec scolaire. On ne produit pas chaque année 140 000 décrocheurs comme on a pu le dire. Il est important de dire aussi que jusqu’en 2008 les niveaux de vie ont continué à s’élever. Entre les années 70 et la fin des années 2000, le niveau de vie réel après inflation a été multiplié par deux, ce qui veut dire que le niveau de vie actuel des plus pauvres est le niveau de vie des classes moyennes des années 70.
Songeons aussi au changement de la place de femmes dans la société, qui est tout à fait considérable.
Lorsqu’on anime un observatoire des inégalités, insiste Louis Maurin, il faut faire très attention à ce que ses publications ne produisent pas l’effet inverse de celui désiré. Tout discours d’exagération en la matière pourrait avoir notamment auprès des jeunes un effet démobilisateur pour poursuivre des études ou chercher à progresser dans sa vie professionnelle.
Il suffit d’observer l’actualité pour constater qu’à partir de la critique sociale, certains peuvent s’emparer du sujet pour prôner des politiques visant à remettre en cause notre modèle pour un modèle social encore moins bon.
Pour autant, le taux de pauvreté en France est le plus bas des pays développés, tout du moins parmi les grands pays occidentaux.
{{• Mais où sont les inégalités ? }}
Le premier choc des inégalités provient du chômage qui frappe massivement les moins favorisés. Entre la mi 2008 et aujourd’hui, on est passé de 3 à 5,8 millions de demandeurs d’emploi en catégories A et B et C, c’est à dire plus 70% et parmi ceux-ci, 8% sont des cadres et 70% sont des ouvriers et d’employés. Ainsi, la quasi-totalité de la catégorie diplômée est très proche du plein emploi alors que près de 20% des ouvriers non qualifiés sont au chômage.
Au delà du chômage, il y a la précarité, les bas salaires, celles et ceux qui abandonnent la recherche d’emploi. Soit près de 7,7 millions de personnes qui cherchent à sortir du mal emploi. La crise frappe en réalité les plus modestes. Ceux qui sont déjà fragilisés par des décennies de sous emploi. L’autre conséquence du chômage, c’est la division qui se créée entre les salariés protégés et les flexibles, sans compter les travailleurs indépendants pour lesquelles les inégalités sont plus importantes encore. Les sécures, ce sont en premier lieu les salariés de la Fonction publique, les diplômés, les salariés des grandes entreprises. Ces derniers bénéficient le plus souvent de la liberté de l’emploi du temps alors que les autres doivent travailler le soir, les week-ends et bien-sûr, ceux qui disposent d’un patrimoine important.
Par ailleurs, l’écart des revenus s’accroît. Les 10% les plus riches disposent d’au moins 3000 euros nets par mois après impôts alors que les 10% les plus pauvres perçoivent 700 € par mois après subventions.
A ce jour, 16% de la population possède un diplôme égal ou supérieur à BTS-DUT, la très grande majorité a donc un niveau CAP et BEP. Le tri se fait au Lycée et le diplôme compte encore à l’âge de 50 ans, légitimant les inégalités.
Les inégalités sont aussi territoriales. Les deux tiers des personnes vivent dans les grandes aires françaises. Les trois quarts des personnes ne vivent pas dans les quartiers prioritaires concernées par la politique de la ville.
L’important est davantage de comprendre la structure des inégalités que d’évoquer la crise pour énoncer que chacun la subit. Car en pareil cas, nous avons tendance à considérer que seuls ceux qui ont plus que nous doivent contribuer à les résoudre.
{{• Qu’en déduire ? }}
On occulte en fait facilement la fracture sociale, le temps partiel subi, les différences de traitement homme/femme, les vieux bailleurs qui louent à prix d’or et privent ainsi les jeunes de richesse.
On occulte aussi la condition des étrangers, des émigrés, la discrimination selon la couleur de la peau, l’interdiction d’accès à la Fonction publique des non ressortissants de l’Union Européenne.
On vérifie l’égalité homme/femme pour les députés mais on s’en préoccupe fort peu pour les caissières des supermarchés.
Les intellectuels, y compris de gauche, conclut Louis Maurin, ne comprennent pas les éléments sociaux d’aujourd’hui. La crise ne touche pas tout le monde et l’on a besoin de serviteurs, le travail du dimanche de certains est bien utile à notre confort. Les riches sont les autres…
Voulons-nous vraiment l’égalité ?
Synthèse par Jean-Michel Eychenne