{{ (d’après les notes prises par Jean-Pierre Pagé)}}
L’Europe est en crise. Derrière la crise de la gouvernance de l’Euro se cache une autre crise : la décroyance des peuples. L’Europe suscite un franc rejet accompagné d’un mouvement contraire : la peur de sortir de l’Europe-Euro.
L’avenir probable de l’Europe est celui d’une nécrose prolongée.
La catastrophe a été jusqu’à présent évitée. Il faut parler plutôt d’un échec de la construction européenne actuelle car elle ne répond pas à ce que devrait être une construction européenne de ce genre. Mais cet aspect n’est jamais abordé. Le non-dit est la loi de l’Europe et c’est la cause première de cet échec.
Prenons le cas de la crise de la Grèce : à aucun moment il n’a été question des raisons pour lesquelles on a fait rentrer ce pays en Europe. On n’a pas cherché à établir les responsabilités. On est dans une culture qui explique cette situation.
Il faut se tourner vers l’Histoire de la Construction européenne. On n’y réfléchit pas suffisamment. Il y a eu une métamorphose en cours de route.
Le point de départ a été une réponse à la situation stratégique de l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. C’était alors un champ de bataille. Le problème est alors né de la division sur la nature de la réponse à apporter à cette situation, compte tenu de la nécessité de renforcer la cohérence du bloc occidental face à l’Union soviétique.
Deux réponses étaient possibles :
– l’option transatlantique ;
– donner à l’Europe les moyens de son indépendance (option française défendue par le Général de Gaulle).
Au final, l’option française a « perdu ». Cela a commencé avec VGE (reconnaissance de la notion de puissance moyenne).
Cela a continué avec la relance européenne dessinée par François Mitterrand pour compenser l’échec du projet socialiste (constaté au bout de deux ans).
Le détour européen est, dès lors, conçu comme le moyen de rejoindre le grand mouvement du monde vers la globalisation accompagnée de la libéralisation avec la dépolitisation de la société. Vont suivre la relance européenne avec l’Acte Unique et la politique de Delors. Tout cela s’est produit sur un fond d’indifférence des peuples et des gouvernements.
Là-dessus, arrive la Chute du Mur de Berlin. C’est là qu’intervient la création de la monnaie unique comme condition d’une cohésion. L’Euro et l’élargissement sont les deux phénomènes majeurs. Ils vont marquer un véritable tournant avec le début d’une métamorphose de la Construction européenne et la fin de l’idée de fédéralisation de l’Europe (sur le modèle des Etats Unis).
A court terme, l’idée fédérale a perdu. A la place, on va se focaliser sur celle d’un espace post-national dépourvu de toute dimension stratégique, celui d’une société gouvernée par l’économie et le droit. L’Union européenne n’est, ni un Etat, ni une Nation. Tout ceci conduit à l’idée d’un monde a-politique à l’abri du parapluie de ce qui reste de l’hyperpuissance américaine. C’est à partir de là que l’on peut parler de l’échec de l’Union européenne.
Conséquences :
– on renonce à s’identifier (première fonction du politique : « Qui sommes-nous ? ») ;
– on renonce à se protéger (deuxième fonction du politique) ;
– on renonce à se projeter dans le futur (troisième fonction du politique : « Quel avenir par rapport à un monde concurrentiel ? »).
A tout cela, l’Union européenne n’apporte aucune réponse. Les institutions européennes, telles qu’elles ont été construites lors de la phase initiale, sont devenues dysfonctionnelles (exemple type : ce qu’est devenue la Commission européenne, conçue, au départ, comme un gouvernement). Ces institutions ne supportent pas la lumière du jour. Dès qu’elles montent en puissance, leur inadéquation devient flagrante. Le Parlement européen n’en est pas un : on n’y discute pas. La Cour de Justice repose sur une utopie : fabriquer du politique avec du droit. Ses décisions sont inintelligibles.
Les institutions européennes sont inintelligibles mais on ne peut pas y toucher. L’occidentalisation économique est devenue le moteur de la globalisation, mais ceci a correspondu à l’échec de l’occidentalisation politique avec la fuite en avant de la financiarisation de l’économie conduisant à la crise de la fin des années 2000.
Pourtant, il reste un véritable acquis européen : le changement de l’idée de nation en Europe. L’espace politique y est bien plus tourné vers la coopération que vers la confrontation. Il s’agit, aujourd’hui, de faire fructifier cet acquis et de trouver les institutions permettant de le faire vivre.
3 avril 2014
(d’après les notes prises par Jean-Pierre Pagé)