Le 1er mai 2004 est une grande date pour l’histoire de l’Europe. L’entrée de dix nouveaux pays dont huit d’Europe centrale et orientale dans l’Union européenne est un événement dont il n’est pas sûr que l’on comprenne, surtout dans les jeunes générations, mais pas uniquement, la profonde dimension historique.
Il ne s’agit de rien moins en effet que la réunification, certes pas totalement achevée dans l’attente de la Bulgarie, de la Roumanie et des pays des Balkans, de l’Europe divisée depuis le traité de Yalta et ses dramatiques conséquences.
Les deux poumons de l’Europe, l’anglo-saxon et latin d’une part, le slave, balte et magyar d’autre part, battent maintenant à l’unisson pour redonner souffle à un continent outragé par le totalitarisme et la dictature. Il aura fallu quinze ans pour que le mur de Berlin soit définitivement détruit, mieux vaut tard que jamais…
Certes, cette réunification de l’Europe apparaît comme la conséquence politique de « l’élargissement » de l’Union européenne voulue par les Quinze, mais sur le plan du symbole et de l’histoire il est dommage que les quinze de l’Ouest n’aient pas mieux compris et exprimé qu’elle en est en fait la vraie cause. Tant pis. On ne peut malheureusement pas exiger des élus politiques et de leurs opposants – remplaçants des technos et comptables bruxellois, sans parler des lobbyistes et autres boutiquiers, d’être des héritiers de leur Histoire et des prophètes de leur futur, cela se saurait et se verrait.
Il nous faut vivre maintenant l’Europe à vingt-cinq, en attendant plus, et il est évident que ce ne sera pas une partie de plaisir. Mais faut-il imputer ces difficultés annoncées aux dix nouveaux – « les entrants », comme disent certains avec quelque condescendance – ou aux quinze en place qui ne se sont pas (encore ?) dotés de moyens institutionnels et juridiques solides, de perspectives économiques rigoureuses, d’une politique sociale harmonisée au service du citoyen ? Au fond, parce que cette Union européenne ne manifeste plus une vision claire de ce qu’elle est de ce qu’elle veut.
Avec leurs aspirations souvent hétérogènes, leurs débats encore confus, leurs rêves peut-être, ces pays qu’on appelait jadis de l’Est, secouent déjà nos certitudes. Certes, ils seront des partenaires difficiles, déroutants, paradoxaux, voire contradictoires. Il nous faut réfléchir pourtant sur leur glaciation pendant un demi-siècle, sur leurs privations, sur leurs révoltes anéanties, sur leur libération enfin qu’ils ne doivent qu’à eux-mêmes, sur les attitudes et comportements enracinés dans leur Histoire passée ou récente. Alors nous devons comprendre, européens de la Libération américaine, du plan Marshall, de la construction européenne dans la liberté, d’États-nations démocratiques, d’une vie sociale en permanence libre où chacun peut s’exprimer, que pour ces hommes et ces femmes, nous sommes des riches, des privilégiés qui avons eu la chance de « tomber du bon côté » après la seconde guerre mondiale. Et ils nous disent : « Nous apportons notre histoire, notre jeunesse, notre enthousiasme. Faites-nous une place à vos côtés ». Et quand nous leur reprochons leur américanisme, ils nous disent : « Et vous en 1944 et pendant la guerre froide ? »
Nous devons d’autant plus les comprendre et agir en conséquence, que rien n’est définitivement acquis dans « l’autre Europe ». Les peurs de l’inconnu, les relents du passé, les bouleversements en cours, les fractures sociales engendrent dans certaines couches de la population des crispations et des frustrations dont sont prêts à faire leur miel nationalistes et populistes de tout acabit. Avec tous les dangers que cela comporte, relisons notre Histoire…
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Oui, avec cette réunification de l’Europe, cet élargissement de l’Union européenne, c’est une nouvelle aventure qui commence. À tous d’en profiter pour remettre à plat les idées et projets européens ! Comme on voudrait que les partis politiques jouent là leur véritable rôle d’éducation citoyenne et de proposition politique !
Ce serait quand même plus profond et plus emblématique, pour les élections européennes prochaines surtout, que de simplement réduire le combat électoral à des considérations franco-françaises.
Un mois après l’événement historique du 1er mai 2004, allez expliquer cela à nos dix nouveaux partenaires, et allez après leur donner des leçons