{Plénière animée par Jean-Pierre Rosenczveig}[[Ancien président du Tribunal pour enfants de Bobigny, spécialiste du droit pénal des mineurs, Jean-Pierre Rosenczveig tire sa longue expérience de magistrat pour enfants la plupart des idées sur ce qu’est et pourrait être une meilleure justice appliquée aux mineurs.]]
Dans la perspective idéale de Condorcet, l’instruction publique, l’accession à la connaissance et aux savoirs devraient permettre d’éviter une large part des conflits avec la Loi. Mais la réalité nous contraint à reconnaître que cela ne va pas de soi. Comment faire ?
• La prison existe pour les mineurs
L’emprisonnement existe pour les enfants : environ 800 mineurs de 18 ans sont en prison, dont une partie en détention provisoire. Certes la justice s’applique différemment pour les mineurs : la peine maximale encourue est de 30 ans et les mineurs de 16 ans voient leurs peines réduites de moitié, sauf si leur comportement est jugé, exceptionnellement, comme celui d’un majeur. Ce fut le cas pour le meurtrier du Chambon sur Lignon, condamné à perpétuité. Pourtant la majorité pénitentiaire est toujours à 21 ans, si bien que des jeunes de 18 ans peuvent se voir maintenus en prison si rien ne les attend à leur sortie de peine, alors que la majorité pénale est constitutionnellement à 18 ans. Ils sont mélangés avec des adultes. Un grand nombre de lieux de détentions (actuellement 59) possèdent des quartiers de mineurs, et peuvent laisser se côtoyer mineurs et adultes. Certes la Loi Perben I de 2002 a créé des établissements spécifiques pour mineurs (EPM), mais en faible nombre. Très encadrés, les jeunes peuvent y trouver des conditions pires qu’en prison, avec des contraintes parfois difficiles à vivre. Enfin, il existe des centres éducatifs fermés, le « must » pour une certaine bourgeoise qui y trouve le mélange de la coercition et de l’éducation. Il en existe actuellement 46 en France. La prison est donc une réalité pour les jeunes.
• Faut-il passer par la contrainte de la privation de liberté pour les jeunes ?
Lorsque des enfants commettent des délits, quelque soit leur gravité, il est bien sur nécessaire de les rappeler au respect de la loi. Mais ce n’est pas toujours suffisant, notamment en cas de récidive. Les mineurs ont besoin d’adultes qui leur apprennent les limites et qui soient cohérents dans leurs prescriptions. Les jeunes sont, de façon générale, dans l’expérimentation de leur toute puissance, et dans ce domaine doivent être protégés de l’utiliser contre autrui. Ils doivent aussi être protégés d’eux-mêmes. La privation de liberté est une mesure qui permet de limiter cette toute puissance et de punir les délits. La plupart des mineurs en ont conscience et admettent des punitions légitimes. Mais il faut savoir en faire un usage modéré et approprié. C’est ce que définit l’ordonnance de 1945, qui promeut une justice des mineurs et institue un « juge des enfants ». Celle-ci poursuit la loi de 1912 qui créait un tribunal pour enfant. Le mineur jouit d’un privilège de juridiction.
Cette justice des enfants a été amplifiée jusque dans les années soixante pour mettre en place des institutions capable de faire de la prévention et de traiter les cas d’enfance en danger. Mais régulièrement la justice et la loi sont critiquées pour leur supposée faiblesse à l’égard des enfants qui commettent des actes de violences, aux biens ou aux personnes. Il a été souvent proposé de revenir sur cette ordonnance, d’abaisser la majorité et donc l’âge de la responsabilité pénale. C’est ainsi qu’un tribunal correctionnel pour mineur avait été créé en 2011, réduisant la portée de l’ordonnance de 1945 en permettant de juger les plus de 16 ans comme des adultes. Cette loi a été abrogée en 2016.
Enfin, en matière criminelle, il existe une cour d’assise des mineurs, avec trois magistrats dont deux juges des enfants.
Si le juge pour enfant demeure emblématique, il faut savoir que pour des raisons « d’efficacité » le parquet a obtenu de plus en plus d’emprise sur la justice des mineurs. Plus de 65% des dossiers sont aujourd’hui traités par un procureur, pour partie pour des classements sans suite, mais de moins en moins, et de plus en plus pour mettre en œuvre des mesures coercitives. Ainsi le taux de réponse pénale coercitive est passée à plus de 50% alors qu’elle devrait être exceptionnelle, pour préférer des mesures éducatives à des peines de prison. Le juge des enfants est de plus en plus mis hors du jeu dans le travail de répression. C’est une erreur : il ne faudrait pas opposer éducation et répression comme on le fait de plus en plus.
La répression peut être justifiée, et comprise comme légitime, si elle est accompagnée d’un projet sur l’avenir des jeunes qui la subissent. Poser des limites n’est pas une fin en soi, le projet éducatif reste une fin. Avec des jeunes, il ne faut pas seulement s’attaquer à un acte délictueux, il faut aussi le placer dans une séquence de vie d’une personne en construction, fut-elle bancale ou parce qu’elle l’est. La justice rendue par les parquets ne sait pas faire et tend à être dans le tout répressif.
• Prévention, répression, éducation
L’esprit des lois, depuis le début du XXème siècle, et de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs repose sur l’idée que l’enfant délinquant l’est devenu en partie par défaut d’éducation. La meilleure prévention est donc dans la bonne éducation des enfants pour laquelle les parents, l’école, le milieu social jouent des rôles importants et complémentaires. On oublie souvent que les enfants ont des droits, ne serait-ce qu’à avoir des parents, mais aussi à être protégés. Sans rapports avec des adultes qui font autorité, les enfants n’apprennent pas à se conduire eux-mêmes, à comprendre les normes et les lois utiles à leur formation. Beaucoup de délinquants ont commencé par être des enfants non défendus, non respectés. L’ensemble des services de proximité qui peuvent aider les familles et les enfants à se construire normalement sont des éléments essentiels de la prévention : PMI, services sociaux, écoles, clubs sportifs, etc. Or beaucoup de ces services ont connu des réductions d’emplois, de moyens. Ils ont perdu aussi l’onction de la reconnaissance publique, jusqu’à être dévalorisés. Il faudrait au contraire les relégitimer, les remettre en avant.
Bien entendu, la répression reste nécessaire. Mais elle doit être motivée, montrée comme une étape, non comme une entrée dans l’autre monde. On n’apprend pas en prison, surtout à cet âge.
L’éducation est à reprendre. Pas simplement comme une instruction, mais comme un ensemble de valeurs transmises et utilisables. Les jeunes exclus ont besoin d’être réintégrés, d’avoir confiance dans la société dans laquelle ils vivent.
Aujourd’hui’ un grand nombre de jeunes ne croient plus en la République, en certaines de ses valeurs, la liberté, la solidarisé, la laïcité, etc. Sans doute faut-il aussi leur laisser un avenir ouvert.
Synthèse par Bernard Wolfer
Bibliographie : La justice et les enfants, Jean-Pierre Rosenczveig, éd. Dalloz, 2013 ainsi que son blog :
http://jprosen.blog.lemonde.fr/