Quel débat démocratique dans la France d’aujourd’hui
La montée des corporatismes, l’abstentionnisme, l’apparition de nouveaux lieux de débat, sont-ils des signes de désaffection à l’égard de la démocratie représentative ?
Beaucoup de citoyens se plaignent de la faiblesse ou même de l’absence de débat démocratique en France. Sans vouloir prétendre expliquer l’atonie actuelle de la vie politique, on peut penser que les changements de la dernière décennie ne sont pas sans influence dans ce qui apparaît à beaucoup comme un enlisement .
Le contexte international tout d’abord : la fin de la guerre froide et la disparition de l’Union soviétique a sonné officiellement la fin du communisme réel . L’échec sanglant des régimes des pays de l’est, a été interprété comme celui de l’utopie socialiste elle-même. ” Les forces du bien “, à l’origine de ce que l’on appelle en France la mondialisation néo-libérale ont triomphé. C’est la preuve pour beaucoup qu’aucun autre monde n’est possible . Pour le professeur Fukujama, c’est le signe que l’histoire touche à sa fin . Les Etats-Unis prouvent par leur victoire sur “les forces du mal ” qu’ils constituent l’exemple indépassable de l’idéal démocratique. Il ne reste plus qu’à attendre des autre pays de la planète qu’ils fassent l’effort de se hisser à leur niveau.
Le développement du tiers -monde n’est plus un enjeu stratégique depuis l’effondrement du communisme . L’aide publique au développement jugée inefficace est un concept dépassé . ” Trade, not aid ” est le nouveau mot d’ordre des années 90. La politique d’ajustement structurel du FMI est appliquée aux pays du tiers-monde qui éprouvent des difficultés financières . Elle consiste en trois volets : développer les exportations, réduire les dépenses de l’Etat consacrées à l’éducation, à la santé aux dépenses sociales pour s’acquitter des intérêts de la dette et ouvrir leurs marchés intérieurs aux produits des pays riches en échange de faibles contreparties.
Les années 90 se caractérisent également par une mutation profonde du capitalisme où le pouvoir n’appartient plus aux entrepreneurs mais aux actionnaires. La recherche effrénée du profit, et le critère prédominant de la valeur boursière des entreprises sur leur valeur économique, transforme par le jeu de la mondialisation des capitaux la planète en un gigantesque casino et engendre des crises financières dont aucun économiste ne peut prédire l’issue.
Enfin la transformation des moyens de communication, le développement d’Internet et surtout le rôle prééminent des chaînes de télévision par rapport au reste des médias ont profondément transformé la manière de ” faire de la politique “. Le porte à porte, ou les réunions de quartiers qui servaient il y a cinquante ans de lieux de médiation politiques ont disparu. La presse quotidienne ne cesse de perdre des lecteurs. L’image et l’apparence des hommes politiques ont l’air d’avoir plus d’importance que les idées ou le programme qu’ils défendent. La ” démocratie d’opinion ” illustrée par les sondages prend le pas sur la démocratie représentative. La démocratie participative reste elle encore à l’état de projet.
Le contexte européen n’est pas beaucoup plus brillant : l’instauration des Europe sociale, politique ou militaire est bloquée, à la fois par l’attitude des gouvernements libéraux ou sociaux-libéraux majoritaires en Europe et par la procédure du vote à l’unanimité. Pas de gouvernement économique européen face à une Banque centrale européenne irresponsable, aux pouvoirs exorbitants.
Triomphe du ” moins disant fiscal ” dû à l’incapacité de mener une harmonisation des régimes d’imposition et impunité des paradis fiscaux. Incapacité de mener à bien une réforme des institutions permettant de rendre viable un élargissement d’une Europe des quinze déjà ingouvernable. Maigre avancée des pouvoirs du Parlement européen avec l’instauration d’un mécanisme de ” codécision ” avec la commission .
Quant à la gauche en France, et sans revenir sur le deuxième septennat de François Mitterrand, qui a contribué à son discrédit, force est de constater que l’action du gouvernement Jospin n’aura pas réussi à lui rendre ses repères et à mobiliser ses militants ; pourtant son bilan est loin d’être négligeable : les 35 heures, les 350 000 emplois jeunes, la couverture maladie unique (CMU), la loi sur la parité, l’instauration du PACS, la loi sur le non cumul des mandats, la loi sur la présomption d’innocence etc, représentent des progrès significatifs. Mais, malgré ces réalisations, force est de constater que la candidature de Jospin à la présidence de la République ne provoque pas un enthousiasme démesuré jusque dans les rangs des électeurs du parti socialiste. Pas plus d’ailleurs que le candidat des verts ou du parti communiste auprès de leurs troupes respectives.
Seule la campagne de Jean-Pierre Chevènement surprend par son succès : peut-être parce qu’elle est menée par le seul homme politique français qui ait démissionné de ses postes ministériels pour défendre ses convictions. Peut-être aussi parce qu’il est le seul à faire des références crédibles aux valeurs révolutionnaires ou à la philosophie des Lumières qui ont fondé la République.
Il est par ailleurs stupéfiant de constater qu’en 2002 l’extrême gauche électorale soit représentée par Lutte ouvrière qui représente en France, après les lambertistes de l’OCI, la formations trotskiste la moins capable de dégager une perspective d’avenir pour la gauche .
En revanche, on peut noter que si les jeunes paraissent bouder les partis politiques, ils s’engagent en grand nombre dans les organisations humanitaires ou les associations sociales diverses. Mais ce phénomène encourageant ne constitue pas une solution au déclin des partis politiques : ceux-ci se réduisent de plus en plus en machines à faire élire des candidats et à gérer des carrières politiques. Autre phénomène inquiétant : l’érosion et la perte d’audience continue des syndicats français, toujours aussi divisés et incapables de proposer une vision sociale novatrice. Il s’en suit que les mouvements de revendications sociales prennent de plus en plus un caractère corporatiste, face à un patronat particulièrement rétrograde. Ses représentants personnalisés par le MEDEF prétendent rétablir les relations sociales du dix-neuvième siècle au vingt et unième siècle.
Pourtant un phénomène politique intéressant lié à la globalisation est apparu en France comme dans d’autres pays depuis quelques années : un nouvel internationalisme a fait son apparition. Il rassemble un grand nombre de jeunes militants (l’association ATTAC annonce 28 000 adhérents en France) et critique de façon pertinente la mondialisation libérale tout en s’efforçant d’avancer des alternatives. Peut-être faut-il y voir le début d’un processus certainement long menant à sortir la gauche du vide théorique et opérationnel dans lequel elle reste plongée pour l’instant.
J-L Motchane