par Paul Thibaud
Philosophe. Ancien directeur de la Revue « Esprit »
L’Europe suscite beaucoup d’attentes de la part des Européens : la principale d’entre- elles est de contrôler la mondialisation. Malheureusement, son incapacité à satisfaire cette attente a conduit l’Europe à la crise : le choc provoqué par le « non » au Traité Constitutionnel Européen doit être analysé en détail pour sortir de l’apathie qu’il a provoquée.
L’Europe souffre d’une “crise de résultats” et d’une “crise des coûts”.
La “crise de résultats” se traduit aussi bien par le différentiel de croissance (ou de performance sur les nouvelles technologies), comparativement aux États-Unis, que par une présence politique limitée dans le monde (incapacité de gérer correctement nos relations avec l’Afrique par exemple). L’organisation de l’Europe a capté toute l’énergie des Européens et les a coupés du monde.
La “crise des coûts” provient surtout du fait que la Commission Européenne a plus souvent joué les nationalismes minoritaires ou ethniques que les nations plus classiques. Le résultat est que, malheureusement, les nations qui s’en tirent le mieux a priori sont celles qui se sont le moins identifiées à l’Europe (Scandinavie ou Grande Bretagne).
Ces manques ( ?) proviennent d’une absence de réflexion sur la construction Européenne (l’Europe est un “objet politique à identifier”) :
– la construction Européenne est implicitement considérée comme linéaire et comme devant aller toujours plus loin. On deviendrait Européen sans s’en apercevoir. Toutefois, on ne crée pas de “volonté par conditionnement” : l’Europe s’occupe de tout, mais sans projet, sans forme, … L’incapacité à se représenter le projet Européen crée le découragement politique.
– la construction Européenne oublie son histoire et les nations :
o les racines chrétiennes de l’Europe sont fondamentales même si le christianisme génère une guerre civile potentielle entre le politique et le religieux
o de tout temps, des projets Européens de création d’une organisation supérieure ont eu cours: la République Chrétienne (Bohême XV ème siècle) ou le projet de Sully de création d’un tribunal chargé de régler les conflits et de défendre les pays minoritaires aux marches de l’Empire
o les drames du XX ème siècle ont occulté la réalité des Nations et ont poussé les Européens à oublier leur histoire. En réalité, il ne faut pas se renier pour devenir Européen ni oublier les progrès faits par les nations à partir du moment où elles ont renoncé à l’Empire.
La conséquence de ces deux absences est une construction Européenne uniforme, mercantile et ahistorique. Le libre-échange crée une société de marché réglée par l’Acte Unique et par la jurisprudence de la Cour Européenne de Justice. Le marché est le mode de relation d’entités qui ne peuvent pas s’entendre. Si les entités sont homogènes, cela passe. Si elles sont hétérogènes (comme c’est de plus en plus le cas avec les élargissements successifs), cela pose des problèmes croissants notamment d’identification négative de l’Europe avec la société de marché (qui devient le plus petit commun dénominateur).
Que faire pour sortir de cette impasse ?
Il est urgent de ne pas continuer à développer la société de marché sur laquelle se greffe la mondialisation. Il faut reconnaître la nature duale de l’Europe et élaborer une construction Européenne qui en tienne compte.
L’Europe c’est à la fois :
– un espace de libre circulation, d’échanges universitaires, de concurrence, …
– un ensemble de nations, lieux de volonté politique où le citoyen trouve ce qu’il lui faut (biens, valeurs)
La construction Européenne doit réaliser l’articulation entre Europe et Nations :
– sur le plan international : possibilité de s’installer en Europe et de circuler, d’investir et de commercer. Il s’agit alors de ne pas se nuire ni s’agresser : la concurrence entre nations doit être équitable. On ne peut pas unifier un système commercial s’il engendre la destruction des systèmes sociaux ou la mise des nations dans un état d’insécurité.
– Sur le plan des actions d’ensemble : il s’agit alors de créer une volonté commune cimentée par la création de confiance entre le membres de l’Europe. Ceci implique d’éviter les faux-semblants, de dégager les budgets adéquats et de ne plus procéder par la contrainte.
La conséquence de cette démarche sera de générer une vraie vie politique Européenne :
– un système majoritaire requiert l’homogénéité mais aussi de pouvoir changer d’opinions et de ne pas voter selon son appartenance mais en fonction des projets
– l’élaboration de projets communs à long terme doit être discutée et avalisée par les Parlements nationaux
– le droit faisant partie du débat politique, les conseils constitutionnels nationaux doivent valider le droit dérivé.
Cette vie politique Européenne ne pourra pas faire l’économie de crises, mais celles-ci seront salutaires car elles permettront de créer de la confiance et de la complicité entre les nations Européennes et leurs institutions, mais aussi une identité. Cette confiance et cette identité permettront alors de tracer facilement les frontières de l’Europe (dont, par exemple, la Turquie ne pourrait qu’être exclue à moyen terme).
Synthèse par Michel Cabirol, membre du Cercle