Le 16 février 2005, le Cercle Condorcet accueillait Monique Chemillier-Gendreau. Jean Chesneaux, membre du Cercle, a introduit et animé la séance intitulée “Quels principes universels pour une société mondiale en crise ?” Sujet dans le droit-fil de notre thème d’année sur un “nouveau contrat de société” ou de notre future plénière avec Immanuel Wallerstein sur la possibilité de construire des alternatives (partielles ou non ?) au capitalisme.
Une interrogation en amont sur l’existence de valeurs universelles et sur l’évolution du droit et de la citoyenneté notamment au plan international a permis de poser les fondations de nos travaux futurs.
Jean Chesneaux s’est d’abord appuyé sur le livre d’Amartya Sen*, prix Nobel d’économie, et sur le poète antillais Édouard Glissant pour montrer que l’Occident n’a pas le monopole de la réflexion sur les valeurs. Pour Amartya Sen, la liberté n’est pas une invention de l’Occident. La tolérance et le débat ouvert font également partie de la culture Asiatique (ainsi que de la culture Africaine). Édouard Glissant propose une « mondialité en archipel » pour résister aux effets pervers de la mondialisation. Les Universaux
Pour la première fois, l’humanité du XXI ème siècle est vraiment confrontée à des périls communs : sida, épidémies, pauvreté de masse, migrations incontrôlées, changement climatique…
Des actions communes sont donc indispensables
– humanitaires et pour le développement
– maintien de la paix
– respect du protocole de Kyoto
– …
qui seront fondés sur des principes communs
– défense de la paix
– solidarité
– démocratie
– droit de la femme et de l’enfant en plus des droits de l’Homme
Toutefois, la société mondiale n’est pas prête à faire table rase de sa diversité historisée. Même des sociétés de tailles plus modeste comme les calédoniens : 60 000 kanaks peuvent tout autant que d’autres (tels les 1,2 milliards de Chinois), par leur sens du débat, apporter leur contribution. Cet enrichissement et ce respect mutuels sont nécessaires pour combattre les intégrismes (souvent religieux) et les replis communautaristes.
* La Démocratie des autres
Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident
Manuels Payot
L’Occident et les Sociétés non Occidentales
La position de l’Occident est ambiguë par ses contradictions internes mais aussi du fait de sa rente de situation (beaucoup d’idées nouvelles y sont nées : droits de l’Homme, mouvement féministe, écologiste, …). Malheureusement, s’il est nécessaire de refuser le péché originel de l’Occident qui le disqualifierait (cf. Jacques Berques contre Sartre), il faut aussi refuser “l’injonction mimétique” (cf. Sophie Bessis) de l’Occident à l’égard des autres sociétés.
La question majeure devient alors : comment rendre appropriables par des sociétés non occidentales (refusant la domination de l’Occident comme Mr Lee ex-dirigeant de Singapour) les principes dont ils ont besoin ?
Comment transformer cette rente de situation en universel authentique ? Le respect mutuel permettra de combattre le relativisme culturel où chaque culture est un « en soi » absolu et immobiliste. Ceci permet de façon pratique de s’attaquer aux mutilations sexuelles en Afrique qui, si elles sont défendues par certaines femmes Africaines, sont aussi fermement combattues par d’autres femmes Africaines.
Mise en œuvre pratique
Une fois ces principes posés, il faut résoudre la question de leur mise en œuvre sur le terrain :
– global et local (aussi bien la banlieue que le microcosme dominant occidental)
– individuel et collectif. Même s’il faut respecter les droits absolus de chaque personne, il ne faut pas négliger le collectif (cf : travaux de l’Interclubs sur l’anthropologie de l’Homme socialiste). Si l’on attaque trop certaines institutions, le risque est grand de ne plus produire du “nous” et de l’identité qu’au travers du repli communautaire. Même si les idées des Lumières, puis de la Révolution de 1789 ont eu un retentissement mondial, il faut remettre si nécessaire en question l’Universel à la Française. Il nous faut explorer plusieurs directions susceptibles de faire émerger de nouvelles valeurs. Ce multi-latéralisme implique aussi de ne pas privilégier la confrontation Occident-Islam.
– quelle articulation temporelle passé/présent/avenir ? Le XVIII ème siècle est révolu. L’ONU de 1945 l’est aussi. Quelle table de concertation pouvons-nous construire pour que tous participent à la réflexion sur les problèmes présents et à venir ? La vision déconstruite du temps des post-modernes privilégiant l’immédiat est à rejeter.
Monique Chemillier-Gendreau
Partant d’une analyse similaire (périls importants et communs, “village mondial”, …) Monique Chemillier-Gendreau se demande comment instituer un nouveau cadre légal mondial qui :
– évite l’anarchie
– respecte la diversité historisée des peuples
– protège la liberté de créer, la diversité culturelle (la culture est un processus vivant) dans une société mondiale sans État . Pour y parvenir il faudra une dialectique et des principes communs
Comment transcender les principes communs pour garantir la diversité ? Dans ce cadre, l’Occident n’a pas à s’excuser d’avoir proposé des valeurs communes, mais beaucoup plus de les avoir trahies :
– par le colonialisme
– par la violence de sa technologie (de l’automobile à l’armement qu’il soit nucléaire ou chimique comme l’agent , par exemple)
Le problème est que chaque société se construit sur des formes de violences intégrées, camouflées, ritualisées ou socialisées. Comment arriver à dépasser ces violences ?
La Souveraineté
La souveraineté des États est née au Moyen Âge en réaction contre l’Empire : chaque Prince devenait le maître de son Royaume mais, à côté de ses droits, des droits universels “des gens” subsistaient. Un début de droit international est alors apparu.
Au cours de l’histoire, le droit des États s’est renforcé au détriment des droits des peuples (conception “Westphalienne” de l’État par exemple). Cette situation a entraîné des dérives nationalistes conduisant aux deux guerres mondiales du XX ème siècle. L’ONU a essayé de brider les souverainetés, non pour les protéger en tant que telles, mais pour protéger la diversité des sociétés :
– droit international et multi-latéralisme
– renonciation des États au droit à faire la guerre
On espérait arrêter la violence après 1945, mais on a échoué : Cambodge, Rwanda, Balkans …
Des horreurs identiques à celles des deux guerres mondiales se sont répétées : l’impensable et la déshumanisation (qui sont les attributs du génocide) ont de nouveau eu lieu.
Actuellement, les souverainetés sont aussi altérées par le marché, le FMI ou des abandons volontaires comme en Europe. Les remises en cause (sauf en Europe) conduisent souvent à des éruptions de violence.
Peut-on penser de nouvelles régulations universelles ? Il n’y a pas de souveraineté mondiale ni de loi mondiale. On peut donc imaginer :
– de nouveaux outils juridiques comme la coutume ou comme des injonctions universelles (changement climatique, épidémies, trafic d’armes …), mais on ne peut obliger un État à adhérer
– des entités équivalentes à la Cour Pénale Internationale
L’Europe est un exemple intéressant de droit sans souveraineté.
La Citoyenneté
Après la Révolution Française, la nationalité et la citoyenneté se confondent. Or elles sont d’essence différente : l’une relève du destin (la nationalité c’est le destin non choisi par la naissance) et l’autre d’une liberté (je suis citoyen car je participe au débat public sur l’avenir commun de la société ou sur ses valeurs).
La citoyenneté régresse face à la souveraineté quand celle-ci devient plus forte, voire moins légitime : après les premiers Rois élus, on assiste à la transmission héréditaire. Il faut alors trouver un concept pour justifier la continuité du peuple en parallèle à celle de la Royauté. On en vient alors à “mourir pour la patrie”. Comment, à l’heure actuelle, créer des formes de citoyenneté qui n’excluent pas ?
Note : des documents écrits plus complets des deux intervenants sont disponibles sur demande
auprès du Cercle Condorcet de Paris.