Peu de citoyens en définitive seraient en mesure de situer dans le temps, de manière précise, l’apparition de ce “slogan”, formule populaire, très connotée politiquement : République sociale. Sans doute sommes-nous encore plus nombreux à ignorer que ces termes figurent dans la Constitution actuelle (et qu’il y figuraient déjà dans la Constitution de la 4 ème République de 1946). Aussi est-il apparu intéressant et utile de procéder à une rapide remise en perspective historique de ce concept. Jean Chesneaux, en introduction à l’intervention de Denis Clerc a procédé à ce balayage historique.
Peu de citoyens en définitive seraient en mesure de situer dans le temps, de manière précise, l’apparition de ce “slogan”, formule populaire, très connotée politiquement : République sociale. Sans doute sommes-nous encore plus nombreux à ignorer que ces termes figurent dans la Constitution actuelle (et qu’il y figuraient déjà dans la Constitution de la 4 ème République de 1946). Aussi est-il apparu intéressant et utile de procéder à une rapide remise en perspective historique de ce concept. Jean Chesneaux, en introduction à l’intervention de Denis Clerc a procédé à ce balayage historique.
La République est un régime politique qui assure le consensus par l’expression du suffrage populaire, par des instances de concertation et assure un certain équilibre des pouvoirs. “La Sociale” représente autre chose : les forces dynamiques et vivantes (par ce qu’insatisfaites) de la société. Ainsi peut-on dire que le mot « République sociale » a une dynamique, car il est constamment en contradiction et en basculement avec lui-même. Il représente l’irruption des forces sociales dans le champ institutionnel et à ce titre, c’est un concept encore d’actualité.
Si l’on ne peut plus en assimiler le sens à celui qu’il revêtait au moment des grandes luttes républicaines, l’idée d’une contradiction féconde, dynamique, porteuse d’avenir entre l’appareillage institutionnel que représente le mot République et la dynamique de la société que représente l’idée de “la Sociale” ; l’irruption de ce dont est porteuse la seconde dans le premier champ, paraît une idée toujours intéressante.
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Denis Clerc approuve cette idée « contradiction féconde ». Pour sa part il aborde ce terme de République sociale en économiste et sous l’angle d’un paradoxe. D’un point de vue économique, le social se manifeste principalement par le montant des sommes redistribuées au titre d’une protection – dite sociale – à l’ensemble ou à une partie de la société. Si l’on retient ce critère, notre société n’a jamais été aussi sociale. La masse redistribuée au titre de la protection sociale en 2000 a été de l’ordre de deux mille cent milliards. On n’a donc jamais, en termes sociaux, autant redistribué. On pourrait en déduire que notre société n’a jamais été aussi sociale. En même temps, et c’est là le paradoxe, elle ne l’a jamais été aussi peu. Sous l’appellation de social, les économistes mêlent un ensemble d’éléments très hétérogènes. Les uns relèvent de la redistribution, les autres de principes assuranciels. Par redistribution on entend que certaines personnes se voient couvertes pour des risques sociaux ou perçoivent des revenus sans avoir préalablement cotisé. Or, le constat actuel révèle qu’un part croissante de nos dépenses dites “sociales”, relève en fait d’un fonction de type assuranciel. C’est le cas des retraites. Il en est de même pour l’assurance maladie lorsqu’on regarde les dépenses, il apparaît à l’évidence que 90% des dépenses maladie relèvent de mécanismes strictement assuranciels. Si l’on revient à l’assurance chômage, on constate que depuis une vingtaine d’années on n’a cessé de voir se réduire la part de redistribution au profit de l’assurance. Lorsque l’ASS (Allocation Sociale de Solidarité) a été mise en place (1991-92), son montant correspondait à 2/3 du SMIC. Actuellement, elle n’en représente plus que les 2/5, soit environ 2600 F, le SMIC net s’établissant à 5800F. Tout ce qui relève de la solidarité a été freiné, au nom d’une méfiance à l’égard des “pauvres”, des ayant droit qui n’ont pas cotisé.
Il ne reste plus que deux secteurs à finalité principalement ou totalement redistributive :
– les aides sociales
– les prestations familiales
La plus commune des aides sociales est le RMI ; elle n’est pas automatique, elle relève d’une appréciation in fine des travailleurs sociaux et in fine de l’administration qui décide si l’on est un “bon pauvre” qui mérite d’être aidé. L’aide sociale, ce sont aussi les bourses. L’autre volet de l’aide sociale, le plus important, ce sont les prestations familiales. Ces deux mesures sont les seules à finalité réellement redistributive puisqu’elles reposent sur le principe d’un versement de revenus à des personnes qui n’ont pas préalablement cotisé.
Ainsi, si l’on envisage le social ou “la Sociale” comme étant concrétisé(e) par la redistribution, on se trompe, car en fait, cette redistribution s’effectue majoritairement sous des formes assurancielles et très peu sous des formes redistributives. De ce point de vue-là, il n’est pas possible de parler de République sociale et la tendance va s’accentuant. Cela signifie qu’au fur et à mesure que la société s’enrichit, l’idée qu’une part de cet enrichissement puisse être mis au “pot commun”, est quelque chose de plus en plus étranger à la société et à la façon dont elle fonctionne..
On assiste à une montée de l’individualisme qui se manifeste ailleurs : dans les formes salariales, dans le déclin des conventions collectives, dans l’émergence des formes de rémunération au mérite plutôt qu’à l’ancienneté etc.
Comment aujourd’hui envisager “la République sociale” ? sûrement davantage en terme d’emploi qu’en terme de redistribution. Toutes les enquêtes montrent que la participation associative – qui est un bon indicateur de socialisation va de pair avec la participation à l’emploi et que plus on est exclu de l’emploi, moins on participe.
Il y a là un problème social massif qui aboutit à des formes d’exclusion, de dualisme, de mise à l’écart, extrêmement inquiétantes.
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La question qui se pose donc est celle-ci : la société est-elle capable de mobiliser l’ensemble de ses ressources pour accueillir, via l’emploi, puisque c’est par cette voie que s’opère l’essentiel de la socialisation dans ce pays ?
Autre point : si la République doit être sociale, c’est non seulement dans le domaine de l’emploi qu’elle doit être jugée, mais de plus en plus dans le domaine du salariat. Les dix dernières années ont été caractérisées par la montée de ce que l’on nomme “les emplois indignes”. Il y a aujourd’hui 1,3 million de travailleurs pauvres (essentiellement salariés). Il s’agit de gens qui gagnent moins par personne que le revenu médian, soit 3500F (en 1996). Plus de 800 000 gagnent moins de 2900F par mois, soit 1/2 SMIC net, ce qui équivaut au RMI, tout en travaillant.
Cette multiplication des emplois indignes est évidemment liée au fonctionnement du marché du travail, à la montée du chômage de masse, mais elle est liée aussi à des politiques publiques.
Ce que l’on constate, c’est que les personnes dans ces situations sont dans de véritables culs de sacs. Les chiffres montrent qu’un Rmiste a plus de chances de trouver un emploi à temps plein qu’un salarié payé au SMIC à mi-temps (800 000 personnes). Ainsi, lorsqu’on a démarré sa carrière professionnelle dans un mauvais emploi, on y reste, c’est ce que montrent des observations conduites sur ces dix dernières années où ces emplois ont proliféré.
Pour définir ce que devrait être une République sociale, il faut prendre en considération trois pôles :
– Un pôle de type redistributif dans lequel la solidarité prévaut sur la cotisation et l’assurance.
– Un pôle emploi mettant en avant le besoin légitime pour chacun, non seulement de gagner sa vie, mais de se socialiser et de se réaliser au travers d’un emploi.
– Un pôle de lutte contre les emplois indignes, en tentant de réduire cette tare caractéristique des économies inégalitaires de type libéral, à l’anglaise ou à l’américaine.
Mais le problème majeur qui doit nous occuper réside dans le caractère en partie inconciliable des trois sommets du triangle.
Peut-être existe-t-il des politiques sociales permettant de concilier : le social au sens redistributif, le social au sens de l’emploi, et le social au sens d’un salariat digne ne s’accommodant pas d’emplois sous-qualifiés et mal rémunérés ? Si l’on parvenait à faire en sorte que l’enrichissement de la société permette de résoudre ces trois problèmes, ce serait merveilleux ! Mais c’est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît :
– La redistribution sans l’emploi revient à charger le coût salarial et l’incitation à l’emploi s’en trouve freinée.
– L’emploi avec salariat indigne, c’est la situation des Etats-Unis vers laquelle nous nous dirigeons. Elle débouche sur une société inégalitaire. Certes, tout le monde peut prétendre à un emploi, mais pour certains, il est très bon (avec stock-option), et pour les autres, il est très mal payé.
– Salariat sans redistribution, c’est la société sans lien social ou réduite à des intérêts communs. C’est une société où la seule chose que l’on sache faire, c’est de produire pour devenir plus riches et où chacun ne se sent pas débiteur de l’autre ; où la “dette sociale” qui créée la société, le lien social, une société dans laquelle « je reçois, mais où je dois donner », cette réciprocité ne s’envisage pas.
La grande difficulté de nos politiques sociales jusqu’à présent réside dans le fait que nous avons parfois réussi à atteindre deux sommets du triangle, mais rarement les trois à la fois.
La recette miracle n’existe sans doute pas. Peut-être que les pays scandinaves s’en sont plus approchés que nous ?
Synthèse par Françoise Le Berre