Certes, la philippique de Martine Aubry, avec ses accents dénotant une certaine rancœur, mais cosigné par des personnalités à l’objectivité incontestable, a, peut-être, contribué à crisper les positions des opposants à la première version de cette loi, très sensiblement modifiée depuis lors à la suite de la campagne recueillant un million de signatures. Toutefois, il serait bon d’écouter certains écrits en provenance de l’étranger. C’est le cas de Gabriela Canas. On citera de larges extraits de son article, tant ils contribuent à remettre en place les idées quelque peu dérangées par les esprits échauffés.
Je cite.
{« Les Français ont raison de se mobiliser : ce n’est pas une réforme naturelle de la Gauche et elle est dangereuse. L’Espagne a adopté une loi analogue, il y a quatre ans, qui a fait très mal aux Espagnols. Aujourd’hui, le chômage n’a pas baissé, contrairement à ce que l’on entend souvent. Il aurait même dû augmenter s’il n’y avait pas eu la légère reprise économique que l’on observe en Europe, grâce à la chute des prix du pétrole. Par contre, il y a eu des licenciements massifs dans beaucoup d’entreprises facilités par cette loi et les salaires ont considérablement baissé.
Bien sûr, les Français doivent faire quelque chose, car le problème est un vrai problème. Mais il existe d’autres solutions que de simplement casser les droits des travailleurs. Il faut trouver une voie différente et regarder ailleurs pour voir les bonnes solutions qui ont été trouvées. Nous pensions que les Français en étaient capables. Pour les Espagnols, la France est un miroir, un exemple pour toute l’Europe. Elle symbolise la résistance, la patrie des droits de l’homme et des droits des travailleurs. Or la réforme des droits du travail va à l’inverse de cela. Nous observons donc sa mise en place avec une certaine déception… »}
Il faut prendre très au sérieux ces propos. On pourrait d’ailleurs en tenir de semblables à propos des vertus que l’on prête aux réformes de G. Schröder qui sont actuellement portées au pinacle par certains bons esprits et dont on omet de dire qu’elles ont condamné beaucoup de salariés – en particulier des femmes – à se contenter de salaires que, dans d’autres lieux, on pourrait qualifier de « salaires de misère ». Qu’il faille améliorer sur certains points la législation du travail n’est pas contestable. Mais, ce faisant, remettre en question des acquis sociaux importants mis en place à la suite de la Seconde Guerre Mondiale n’est pas admissible et, même, inquiétant. Cela ressort beaucoup plus du « y a qu’à » que d’une analyse sérieuse du problème. Il est trop facile de vouloir copier les expériences étrangères sans avoir pris la peine de les analyser correctement et d’en mesurer la singularité par rapports à la situation française. Et une telle analyse aurait eu le mérite d’asseoir les débats sur une base beaucoup plus sérieuse et d’éviter des querelles inutiles.
Jean-Pierre Pagé
Economiste