1 – Espace public, lien social et travail
À la notion d’espace public est associée celle de lien social, entendu comme un « lien d’usage commun », mais aussi « lien de travail commun ».
Le travail ne doit pas être seulement conçu comme un lien d’aliénation (l’aliénation des classes laborieuses, du prolétariat, par les classes dirigeantes). Le travail fait aussi et surtout lien social. C’est pourquoi, le délitement du lien social aujourd’hui est fortement associé aux phénomènes d’exclusion du travail conçu comme activité sociale. En outre, le travail, de plus en plus émietté (vers la fin programmée du contrat à durée indéterminée, du « travail d’une vie »,… ?), constitue de moins en moins le support d’un statut social. Le travail devient une marchandise comme une autre que l’on consomme et, sous l’effet de la concurrence, l’être humain est condamné à « sauter » d’un travail à un autre, quand il peut en trouver un.
Le lien social s’exprime sur la base d’une temporalité. La montée du chômage chez les jeunes et donc l’inactivité, s’accompagnent d’une rupture de cette temporalité. Pour de nombreux jeunes, la temporalité habituelle : travail dans la journée entrecoupé par le repas de midi, loisirs en fin de journée, repos la nuit…. – ne fait plus sens. C’est pourquoi, l’on voit se mettre en place de façon anarchique des temporalités différentes (repos le jour, loisirs la nuit, déconstruction du rythme des repas, etc…).
2- La notion même d’espace public se transforme.
Jusqu’à il y a une vingtaine d’années, l’espace public était, avant toute chose, un lieu matérialisé : une place, une rue, un « paseo », des équipements culturels, musées, théâtres, cinémas, salles de concert…. Avec la Télévision, puis surtout Internet, la vie publique a fait irruption dans l’espace privé. Et inversement, l’espace privé se donne à voir dans l’espace public (ex/ Télé-réalité, Téléphone portable…). Aujourd’hui, la distinction espace public/espace privé n’a plus la même signification qu’auparavant.
Davantage que l’opposition entre l’espace public et l’espace privé, c’est la distinction entre espace public matériel et espace public immatériel qui fait sens aujourd’hui.
Entre l’espace public matériel et l’espace public immatériel (les « chats » et les « blogs », etc…), il y a un vide, un espace public sans territorialité, sans frontières. Il y a modification des repères. On peut dire qu’il y a « dé-spacialisation ». Et cette dé-spacialisation s’apparente à une déconstruction qui désoriente et donc à une régression qui appelle une reconstruction de l’espace de référence.
3 – L’espace public matériel ne saurait se réduire à l’espace urbain.
Il doit inclure aussi l’espace public rural (place du village, grande rue….), même si l’actualité conduit à centrer l’attention sur l’espace public urbain, la Ville.
4-Derrière l’espace public, il y a la démocratie. La déconstruction/reconstruction de l’espace public met en jeu la démocratie et oblige à la reconsidérer.
L’espace public traditionnel matériel – lieu de rencontre, lieu d’échange, forum…. – a joué un rôle essentiel dans la construction de la démocratie. On peut dire que l’épanouissement de l’espace public traditionnel en tant que fabriquant du lien social a été la démocratie. Aujourd’hui, la démocratie, avec l’espace public, est en crise.
5 – Mais on peut dire aussi que la démocratie, revisitée, est l’opérateur appelé à faire le lien entre l’espace public matériel et l’espace public immatériel.
6 – Plus que la quantité des espaces ou l’intensité du lien social, c’est la qualité de l’espace public et du lien social qui compte.
Aujourd’hui, les espaces publics existent toujours (centres commerciaux et autres lieux publics), mais leur qualité s’est dégradée. Ils ne jouent plus le même rôle de lieux de rencontres et de lieux d’échanges (de plus en plus réduits à des échanges de nature marchande). De même, il y a toujours du lien social, mais il a changé de nature et s’est appauvri.
7- L’espace public et le lien social sont pris en tenaille entre la montée de l’individualisme et l’expansion de la marchandisation.
La montée foudroyante des inégalités détruit le lien social. Mais, plus encore peut-être que cette montée des inégalités, il faut redouter l’abandon, la solitude, la déréliction, les atteintes à la solidarité entre les êtres humains.
Autrefois, dans les tribus, dans les villages, tous les êtres humains du groupe étaient pris en charge par la collectivité (de la tribu, du village, de la famille). L’« idiot du village » n’était pas abandonné. On le laissait en paix, mais il était pris en charge.
Aujourd’hui, avec la montée de l’individualisme (prôné par certaines idéologies), les êtres humains les plus faibles, les plus marginaux, ne sont plus pris en charge, ils sont abandonnés. D’où les phénomènes d’exclusion, le nombre croissant des SDF. La concurrence – critère de la réussite – favorise l’apologie du plus fort, de celui qui « gagne», (à la limite, parce qu’il est « prédestiné », selon certaines orientations religieuses) et laisse tomber le faible sur le bord de la route. Dans ces conditions, l’inégalité ne fait plus scandale ; elle est même considérée comme un constituant inévitable de la vie en société, voire comme une dynamique interne indispensable à son fonctionnement, quitte à demander aux institutions charitables d’en réparer les effets. Les grandes mobilisations humanitaires suscitées par les media à l’occasion de catastrophes (tsunamis, cyclones, etc…), sont aussi vite oubliées qu’apparues et à la solidarité se substituent l’aumône….ou les dons déduits des impôts…
Prochaine réunion du groupe : mardi 30 mai 18h30 à 20h30 – Même lieu