Michel Cabirol
coprésident du Cercle
{{{Désacraliser le culturel – Dépolitiser le religieux
}}}
Avec Dounia Bouzar ou Etienne Balibar, le Cercle Condorcet de Paris a réfléchi sur les problématiques de religion et de laïcité. Auparavant, nous avions travaillé sur les notions d’espace public et d’espace privé.
Ces travaux ont montré que de nombreux problèmes liés aux différences religieuses ou à la laïcité pouvaient être résolus en appliquant les lois classiques de la République ou en ayant les idées claires sur le périmètre du domaine public et des positions fermes. Cette démarche permet souvent à l’État de faciliter le vivre ensemble sans intervention de ce dernier dans les différentes croyances.
Malgré cela, les conflits sont de plus en plus nombreux en France, en liaison avec des problèmes identifiés comme religieux : voile «?islamique?», nourriture dans les cantines scolaires… Ces conflits enveniment les relations entre communautés (même si certaines sont essentiellement composées de citoyens français). La pratique des «?accommodements raisonnables?» s’avère de plus en plus compliquée face au raidissement de certains.
Certains conflits trouvent leurs racines dans des éléments culturels parfois fort anciens : manger du porc ou des crustacés au Moyen-Orient il y a 2?000 ans était très risqué sur le plan sanitaire. Interdire ces produits était logique et sain. Sacraliser ces aspects culturels a peut-être été une façon de renforcer les interdits à court terme mais s’avère totalement contreproductif à l’heure actuelle, d’autant qu’ils sont utilisés comme marqueurs politiques. Des analyses historiques similaires pourraient être conduites à propos des tenues vestimentaires.
Il pourrait donc être proposé aux religieux de toute obédience de se focaliser sur la religion et sur un dialogue sur Dieu, l’essence de la religion ou sur les valeurs. On s’apercevrait rapidement que la conception de Dieu des différentes Églises chrétiennes, des Juifs et des différentes confessions musulmanes est très variée.
Tout en prônant le respect des pratiques culturelles et religieuses vécues dans la sphère privée, il faudrait faire reconnaître que de nombreux aspects liés à la vie de tous les jours ne relèvent pas de la religion et doivent être gérés selon les règles de la République. Ces aspects pourraient englober aussi bien la tenue vestimentaire, la nourriture, la place de la femme, l’éducation des enfants… Sachant bien évidemment que toute personne peut difficilement faire totalement abstraction de ses convictions dans son action publique et que l’espace public n’est pas neutre à 100?% ni totalement aseptisé.
Cette démarche ne portera pleinement ses fruits que si les conditions conduisant à politiser le champ religieux sont éliminées. La religion et la laïcité ont été régulièrement dévoyées récemment par le Front National (contre l’islam), par l’UMP et une partie de l’extrême droite (lors de débats sur le mariage pour tous) ou par certains extrémistes religieux qui, au nom de la liberté garantie par la laïcité, veulent imposer des pratiques inacceptables.
En effet, il importe de bien décrypter cette volonté d’instrumentaliser la religion par les groupes fanatiques quels qu’ils soient, animés par le projet politique d’imposer à tous leur conception du monde et de l’organisation de la société.
Tant que de nombreux êtres musulmans verront leur dignité bafouée dans leur pays ou en dehors, la religion risquera d’être instrumentalisée par des fanatiques. Ces personnes méprisées n’accepteront une conception apaisée de la religion que si la République en France ou un État de droit dans d’autres pays leur offre une place digne dans la société.
Cette proposition n’implique aucun prosélytisme pour le système politique de la démocratie occidentale mais traduit l’espérance qu’une troisième voie pourra être trouvée entre la fin de l’Histoire (vulgarisée sous le thème de la victoire de la société capitaliste démocratique occidentale) et le choc des civilisations et qu’elle permettra à tous de jouir de la reconnaissance due à tout être humain et de vivre ensemble dans la paix.??
Michel Cabirol