Exposé des motifs
Après l’échec des « Présidentielles », la Gauche cherche un nouveau sens et un nouveau souffle. Le mot « refondation » fait florès. Chacun propose sa refondation. Il y a là une opportunité pour que le Cercle Condorcet de Paris apporte sa pierre à cette recherche.
Le débat actuel en France, notamment dans les media, mais aussi, faut-il le dire, dans la bouche de nombreux intellectuels, est formulé en termes binaires : « La France doit s’adapter à la mondialisation ou mourir ». Il n’y aurait pas de choix. Ce serait le soubassement du thème de la « rupture », repris à sa manière par N.Sarkozy. Ce serait la justification de toutes les « réformes », terme vague et générique qui sert de prétexte à des modifications dans le sens du « mouvement mondial », le maître slogan que l’on oppose à toutes les résistances, à tous les mouvements sociaux. Il faudrait donc se laisser porter par la vague de la mondialisation.
Pourtant, à ce sujet, la confusion est grande. Il y a là quelque chose d’absurde : ce « suivisme » sans réflexion d’un mouvement dont on ne sait où il nous entraîne, sans référence aux valeurs qui le sous-tendent. Sommes-nous condamnés à une concurrence mondiale de plus en plus féroce et effrénée, condition sine qua non pour survivre….mais dans quel état ? La notion de « réforme » que l’on impose à nos concitoyens, conçue le plus souvent comme un copié-collé de ce que font « les autres » (« la moyenne de l’OCDE »), est utilisée comme s’il s’agissait d’un objectif « en soi ».
Aussi, avant de nous interroger sur les moyens d’une politique économique culturelle et sociale, convient-il de définir les objectifs que nous visons. Les finalités de notre société sont aujourd’hui à questionner. Est-ce la croissance ? Toujours, mais pour parvenir à quoi ? Dans quel état ? Est-ce la compétitivité, condition de cette croissance, mais dont les chantres tendent à faire l’impératif suprême et absolu ? Faut-il apprendre à nos enfants que la condition principale de leur survie est qu’ils deviennent meilleurs que les autres ? Que les français soient meilleurs que leurs voisins d’Europe ? Que les européens soient meilleurs que les asiatiques ?…Est-ce cela la finalité de la vie ? L’individu est-il devenu l’idéal de la société ?
N’est-il pas temps de revenir à la notion de solidarité, aujourd’hui de plus en plus ouvertement combattue avec ses outils, les politiques de redistribution et de protection sociale (l’Etat-Providence), mais condition d’un développement durable qui devrait être la véritable finalité de notre monde ? N’est-il pas temps de repenser notre « culture », pilier du corps social, alors que nous connaissons une phase de déculturation où le « quantitatif » prend le dessus sur le « qualitatif » ?
Face à ce besoin d’une nouvelle réflexion conduisant à une remise en question des « pseudo-certitudes » de nos gouvernants, à quoi assistons-nous ? Le sujet n’est abordé que de façon très partielle, selon des aspects très ponctuels : l’âge de la retraite, les régimes spéciaux de retraite, la durée du travail, la flexibilité de l’emploi (quel « contrat » pour les travailleurs ?), les « réformes du système éducatif »,…. Mais aucune réflexion globale sur l’avenir de notre monde n’est réellement menée ; aucune vision d’ensemble du futur de notre société, de la vision que nous souhaitons pour notre société, ne se dégage des propos de nos dirigeants, à commencer par le Président de la République (si ce n’est celle d’une « France de propriétaires » !). A défaut, on se réfugie dans les « incantations » – développer le pouvoir d’achat, stimuler la consommation par tous les moyens pour relancer la croissance,… – et les actions ponctuelles – réduire les droits de succession, détaxer les heures supplémentaires,…. – sans que l’on sache à quel projet d’ensemble cela se rattache, vers quel avenir cela conduit. Les axes proposés pour rénover le parti socialiste ne méritent pas davantage d’appréciations positives. Il est question de changer de « méthode », de cesser de « tirer chacun de son côté » pour « travailler ensemble », sans que l’on sache pour quoi faire, pour bâtir quelle société.
C’est face à ce vide que le Cercle Condorcet de Paris a décidé d’ouvrir un nouveau « chantier » traitant des questions économiques, culturelles et sociales. Quelle société veut-on, peut-on, construire dans le cadre de la globalisation ? Pour mener ces réflexions, nous proposons de créer un groupe de travail qui, outre au concours des membres du Cercle, pourra faire appel à titre permanent à des personnalités extérieures et mener des auditions.
L’ambition de ce travail est de fournir un « éclairage », une contribution, à ceux qui nous gouvernent sur ce qu’il convient de faire pour repenser les échanges, réintroduire de nouvelles formes de solidarité permettant de lutter contre les excès de l’individualisme, contrôler le développement fou de la finance et la reconnecter aux flux réels, élaborer un mode de développement compatible avec la sauvegarde de notre planète.
Précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas de refaire le monde, ni de prétendre proposer nos « mesures » pour résoudre le problème des retraite, réformer le marché du travail pour faire diminuer le chômage, ou encore remettre sur pied un système financier international mal en point, par exemple. Cela dépasse les capacités d’un groupe de travail et, au demeurant, il existe de nombreux travaux et rapports sur ce sujet.
Notre objectif est, à la fois, plus modeste et plus ambitieux ? La démarche du groupe de travail qui sera proposée aux participants se déclinera selon trois étapes. En premier lieu, un constat de la situation, un bilan rapide de l’état de la mondialisation aujourd’hui. En second lieu, une réflexion sur les finalités de notre démarche : quelles sont les valeurs qui fondent aujourd’hui notre projet pour le monde de demain et quelle peut-être leur déclinaison. Ce n’est que dans une troisième étape que nous pourrons aborder la formulation d’un tel projet et des actions à mener pour le faire advenir.
Première étape : constat de la situation.
Quels sont les véritables apports, négatifs et positifs de la mondialisation ? Qu’est-ce qui est admissible et non admissible dans ce qui se passe aujourd’hui ? Il s’agira de faire sereinement, comparaisons à l’appui, le bilan de la situation du monde. Dans quelle mesure la croissance mondiale réduit-elle la pauvreté ? Ou bien est-ce une illusion ? Il faudra distinguer pauvreté absolue et pauvreté relative. De fait, les inégalités se creusent, entre les pays qui accaparent la richesse du monde et les pays les plus pauvres (de l’Afrique notamment), mais aussi, à l’intérieur des pays, que certains soient d’ancienne industrialisation ou d’autres émergents (Chine, par exemple). Est-ce le fruit du système fondé sur la concurrence ? Quel bilan peut-on tirer de l’application du libre échange ? A quoi mène-t-il ? Quelles sont les conséquences prévisibles des dérives du système financier international ? Quelles sont les véritables situations comparées en matière de chômage et que peut-on penser des politiques appliquées pour en venir à bout ?
Dans cette phase de constat, le Groupe de travail pourra tirer et intégrer les leçons de l’altermondialisme. Il pourra aussi s’appuyer sur les travaux de l’Interclubs qui donnent une vision des forces et des faiblesses du capitalisme, de ses effets en termes de concentration des pouvoirs, de creusement des inégalités, d’exclusion des plus faibles, etc… Il dispose encore, avec le rapport du Groupe Espace public/Espace privé, d’une analyse en profondeur des transformations affectant notre société, notre « vivre ensemble », sous les différents aspects de l’évolution des modes d’urbanisation, des développements toujours plus poussés de sa « marchandisation », des mutations des modes de communication….
Seconde étape : définir les finalités de notre démarche.
Il s’agira de nous mettre d’accord sur le contenu d’un certain nombre de concepts définissant les objectifs que nous pouvons assigner à la politique économique, culturelle et sociale que nous pourrions recommander et aux « réformes » à réaliser en conséquence.
Que signifie aujourd’hui la recherche de l’égalité ? Egalité des situations ? Egalité des chances ? La recherche de l’égalité est-elle souhaitable ? Est-elle compatible avec la libération des « forces vives de la société » ? Quelle est la signification de « l’égalité républicaine », à l’école notamment ? Dans quelle mesure, l’objectif initial a-t-il été perverti dans le fonctionnement même du système ? De quelle façon peut-on définir aujourd’hui, et avec quel contenu, un concept d’égalité qui pourrait s’imposer aux « politiques » et à nos gouvernants ?
Peut-on concilier la mise en œuvre de la nécessaire solidarité entre les différentes couches de la société avec la recherche de l’efficacité et de la compétitivité dans la concurrence de la société mondialisée ? La notion de redistribution, si profondément critiquée dans notre société faisant l’apologie de la réussite individuelle, a-t-elle encore un sens (où est-elle un « frein » à la croissance !) ? Dans cet esprit, doit-on s’attacher à préserver la notion de progressivité de l’impôt, alors que se développent les modes « plats » (flat) d’imposition (taxes à taux unique des revenus, recours plus grand à la TVA, etc…) ? On pourrait poser bien d’autres questions dont les réponses sont fondamentales pour définir un mode renouvelé, régénéré, de la gestion de la société et redonner un sens moderne aux dénominations de socialisme et de sociale-démocratie.
La réflexion sur les modes modernes de démocratie (démocratie représentative ou participative, voire contre-démocratie…), si nécessaire aujourd’hui, pourra bénéficier des apports de personnes comme Pierre Rosanvallon, Toni Negri, Dominique Rousseau, etc…
On n’aura garde d’oublier la réflexion sur le libre échange, la « religion du libre échange ». C’est dans cet esprit que devraient être étudiées les conséquences de l’évolution actuelle de la mondialisation, de l’inégalité dans les conditions de l’échange, ainsi que l’opportunité de définir des objectifs de régulation des échanges, quitte à instaurer des formes de « protection continentale », quitte aussi à transformer les missions et le rôle de l’OMC d’organisation mondiale du commerce en « organisation mondiale de la concurrence ». Il est d’ailleurs fort possible que les développements de la « crise financière » nous obligent à une très sévère remise en question du fonctionnement de l’économie mondiale plus vite que prévu. De fait, cette réflexion devra englober un important volet sur les conséquences de la « financiarisation », la déconnection entre les flux financiers et les flux réels et la création de masses de richesses flottantes dans le monde sans supports réels.
Enfin, last but not least, la réflexion devra porter sur les moyens de sauver notre planète du désastre et la conception d’un nouveau mode de développement durable, en commençant par ses objectifs. Là, encore, le Cercle pourra bénéficier des premiers travaux effectués à cet égard au cours du programme 2006-2007 (audition du Sénateur Saunier et note de René Iffly dans le cadre du Groupe mené par Claude Studievic).
Troisième étape : la politique comme projet.
C’est après avoir parcouru ces deux étapes que le Groupe pourra passer à une troisième étape : celle du projet. Il s’agira de s’interroger sur les moyens d’atteindre les finalités retenues lors de la seconde étape. Et ce n’est qu’alors que l’on pourra examiner la pertinence et les modalités de réformes comme celles des retraites, de la fiscalité, de la Fonction publique, du marché et du droit du travail, ou encore, à contre courant des tendances actuelles, l’opportunité d’une relance de l’impôt associée à une nouvelle prise de conscience politique.
Jean-Pierre Pagé
Co-président du Cercle
Février 08