Une Histoire de la République en France

{{Jacques de Saint Victor}}: Historien du Droit, Professeur à l’Université Paris 8.
{{Thomas Brantome }} : Docteur en Droit – Maître de conférences en Histoire du droit à l’Université Paris Descartes.

Jacques de Saint Victor et Thomas Brantome tous deux docteurs en droit de l’université Paris II, agissant de pair, ont réussi un pari difficile : mettre en œuvre l’idée d’une ancienne collègue de transformer progressivement le cours régulier d’histoire du droit des étudiants en première année de licence de l’université Paris VIII, réputée difficile et cosmopolite, en un enseignement innovant sur le discours républicain issu notamment de la Révolution française.

Cette aventure s’est achevée par l’écriture d’un livre imposant écrit conjointement, intitulé « Une histoire de la République en France ». C’est cet épisode qu’ils sont venus nous faire revivre au cours de cette réunion plénière.

Pour Thomas Brantome, il s’agissait plus particulièrement de compléter l’enseignement classique de l’Histoire du Droit de Clovis à l’ancien régime, quelque peu austère, au deuxième trimestre. L’Histoire de la Révolution et de la République étant consubstantiels, en ayant ce discours républicain et non pas uniquement un discours sur le multilatéralisme, en reconnectant l’idéal universaliste et révolutionnaire, l’essai a fonctionné, y compris pour les étudiants étrangers car cette démarche, en particulier lors de l’ étude de la première et de la deuxième République, donnait écho à leur propre quotidien et notamment au désir et à la passion d’égalité, critique d’un monde qui dit avoir aboli les privilèges et en particulier ceux de la richesse.
Evoluant ainsi de l’histoire des idées politiques vers l’histoire de la République, étudiants et enseignants organisaient ensemble des déjeuners républicains destinés, tout comme notre Cercle, à revitaliser l’idée républicaine.

Contactés par l’éditeur universitaire Economica pour écrire une nouvelle histoire des idées politiques, nos deux interlocuteurs ont proposé en lieu et place et avec succès, d’écrire une « Histoire de la République ». Cette aventure aura duré cinq ans plutôt que les deux années initialement prévues pour aboutir à une publication « conjointe et non répartie » de plus de 1100 pages.

Il a donc fallu, de façon quasi dialectique, peser chaque interprétation, chaque analyse, pour les rendre acceptable par l’autre, faisant abstraction des préjugés que l’on pouvait avoir jusqu’alors. Ceci a permis notamment de relativiser les classifications classiques entre Girondins et Montagnards, entre Condorcet et Desmoulins, pour aboutir à l’idée qu’il n’était pas aussi facile qu’on le pensait de prendre position pour les uns ou pour les autres, que la / les vérité(s) étai(ent) sans doute dans une synthèse soulignant les apports de chacun et que l’on essayait souvent d’appliquer des logiques de partis à des actes et pensées qui se sont avérés d’une grande hétérogénéité.
Pour mettre en avant ce qu’ils ont appelé les sensibilités républicaines, les auteurs n’ont pas seulement fait appel à leur savoir juridique de base mais ont aussi choisi d’intégrer les pensées de philosophes et d’écrivains qui avaient influencé l’époque : Spinoza, Montesquieu, Rousseau, puis, ensuite, à chaque épisode, procéder à l’examen minutieux du comportement des acteurs. A la différence de Claude Nicolet dont « L’Idée républicaine en France » fait toujours référence, nos deux invités ont choisi d’étudier aussi les ruptures de la République et ses résistants. Il y en a eu, effectivement de 1812 à 1848, dont l’Empire et la Restauration et sous le second Empire, mais aussi sous Vichy. Ce livre inclut donc aussi, par certains côtés, l‘histoire des sensibilités républicaines.

Jacques de Saint-Victor précise le propos : La problématique était la suivante : alors que l’enseignement concernait effectivement et surtout, l’histoire des institutions, il s’agissait de sensibiliser les étudiants de Seine Saint-Denis à l’idée républicaine, le mot « républicain » étant désormais utilisé à toutes les sauces, du banquet au débat, marqué par l’évolution du mot République, sans trop savoir ce que cela signifie.

Pour cette raison, et parce que les historiens avaient déjà abondamment traité le sujet, nos deux invités nous ont expliqué ne pas avoir cherché à approfondir le détail des évènements historiques mais plutôt à mettre en avant « l’idée républicaine ». Cette dernière étant recherchée, certes, dans l’histoire de France, dans ceux qui ont forgé le républicanisme, mais également dans la pensée anglo-saxonne exprimée notamment par John Pocock dans son livre « Le moment machiavélien » qui fait référence sur le sujet, ainsi que par d’autres auteurs regroupés sous le nom « d’Ecole de Cambridge » et plus largement encore, à ceux qui ont forgé l’idée républicaine, cette dernière ne commençant pas en 1792, mais bien avant.
Jacques de Saint-Victor explique aussi l’absence, a priori étonnante, de la France, dans les études anglo-saxonnes précitées, par la situation des années soixante-dix. A un moment où le marxisme était en déclin et où semblait poindre un libéralisme que l’on appellerait aujourd’hui néo ou ultra-libéral et n’avait, en tout état de cause, pas grand d’intérêt pour traiter du bien commun, leurs auteurs souhaitaient opposer à ce dernier la notion de liberté républicaine. Leur prudence à l’égard du modèle français s’expliquerait aussi, dans ce contexte, par la crainte que le chapitre français de la Terreur ne soit pas le meilleur argument politique à l’appui de leur thèse en Grande-Bretagne.
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• Quant au fond }}

L’idée républicaine, nous dit Jacques de Saint-Victor, n’était pourtant pas absente, en France, avant la Révolution mais a profondément varié après celle-ci. La République de Florence ou les idées républicaines de certains amis de Cromwell étaient fort éloignées de celles de Condorcet et encore d’autres grands républicains de la fin du 18ème siècle.
En fait, la notion de droits républicains existait en France, au moins depuis le 13ème siècle, avec la traduction des travaux sur la politique d’Aristote, à la Sorbonne, par les amis de Saint Thomas d’Aquin. Ce courant, néanmoins, demeure mal connu car il n’était pas, pour autant, un courant démocratique. C’est en fait un courant aristocratique, même s’il entre dans le cadre républicain.

Il y a même eu, en France, des tentatives de réalisation, au 14ème siècle notamment. La révolte des Etats généraux d’Etienne Marcel en 1356-58 peut s’inscrire dans ce cadre : une Res Publica qui vise surtout, en fait, à s’opposer à l’absolutisme de la monarchie.

L’histoire républicaine s’inscrit donc dans une durée plus longue que l’on ne l’imagine et cela a son importance car permet de mieux comprendre le passage à la Révolution. Sous le règne de Louis XIV qui n’était pas, à l’évidence, une période républicaine, la République romaine était néanmoins étudiée dans les collèges et marquait les esprits. L’avènement de la République n’est donc pas la négation de notre histoire longue comme certains auraient voulu en imposer l’idée.

Le but de cette démarche était aussi, dans la période troublée que nous vivons, et où, notamment, la question religieuse divise à nouveau, de souligner toute l’acuité des valeurs républicaines. Il y a eu pendant longtemps un consensus républicain. Ce n’est hélas plus le cas aujourd’hui.
Reprenant la parole, Thomas Brantome, retrace les premières origines de la République.

Ces dernières remonteraient au moins à quatre siècles avant notre ère, au monde d’Aristote : ce dernier voyage à travers l’Europe et cherche à trouver ce que les hommes ont en commun. En cela, il invente « le politique ». Partant de la cellule familiale, il décrit désormais la tribu. Certain que l’homme doit partager sa vie avec les autres auxquels il est lié ontologiquement, il recherche le meilleur régime politique. Ainsi, « être républicain, c’est défendre le bien commun ».

Aristote procède à la classification des régimes selon le schéma suivant :

catégories bon corrompu
un monarchie tyrannie
plusieurs aristocratie oligarchie
tous politeïa ochlocratie

Selon ce concept, une monarchie peut être républicaine… car, toujours selon Aristote, un monarque peut vouloir le bien commun. Dans la réalité, l’aristocratie est le plus souvent une oligarchie et les intéressés défendent souvent, en premiers lieux, leurs propres intérêts.

C’est ainsi qu’Aristote préconise la politéïa, en quelque sorte le mélange d’éléments monarchiques, aristocratiques et démocratiques.

Ce même modèle va être poursuivi par les romains à partir du VIème siècle, l’élément monarchique étant les consuls, l’aristocratie étant représentée par le Sénat et l’élément populaire représenté par les comices du peuple devenus plus tard les tribuns, la politéïa étant traduite désormais en RES publica. A partir du 17ème siècle, à la lumière de la pensée de Spinoza et de celle de Rousseau, la République ne doit plus être seulement issue de l’équation aristocratique et démocratique, mais doit être en totalité démocratique.

{{ • La pratique d’aujourd’hui }}

Pour parler d’aujourd’hui, de notre pays et notamment de la Vème République, la pratique peut être considérée de ce point de vue comme le contraire de la tradition française ayant pour base la primauté du parlement.
Le général de Gaulle renoue avec la tradition des anciens en considérant que pour tenir, la République ne doit pas reposer uniquement sur la représentation parlementaire.

Peut-on considérer que le libéralisme actuellement en vigueur représente de nos jours le bien commun alors qu’il privilégie l’individualisme ?
Les « gilets jaunes » auraient-ils, à l’inverse, aujourd’hui, un désir de rousseauisme ?

Jacques de Saint-Victor modère quelque peu ces propos en affirmant que la tradition républicaine peut être élargie : Guy Mollet a laissé s’installer de Gaulle en 58 évitant un nouveau 18, ou plutôt 19 brumaire. Face au parlementarisme absolu de l’Abbé Sieyès, Rousseau a réintroduit la notion de souveraineté en la donnant au peuple alors que l’atlantisme refuse le plus généralement la seule souveraineté du peuple (Le parlement vs La monarchie).

Dès que l’on compare ou que l’on mélange les époques, le débat républicain reste vif.

{Synthèse par Jean-Michel Eychenne, membre du Cercl}e

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