A la fin de l’année 2014, on pouvait s’interroger sur l’avenir de la Zone Euro. Les derniers chiffres disponibles relatifs à la croissance et à l’évolution des prix faisaient envisager un phénomène de déflation analogue à celui qu’a connu le Japon. Dominique Plihon, lors de son exposé devant les membres du Cercle Condorcet, a relevé des similitudes qui permettaient d’accréditer cette crainte. En conséquence, comme il l’a fait lui-même dans les scénarios qu’il a évoqués, selon les modalités et la rapidité des réponses apportées à cette situation, on pouvait légitimement s’interroger sur la capacité de l’euro à résister au choc créé par cette situation.
Depuis lors, celle-ci a évolué. Tout d’abord, deux phénomènes ont contribué à atténuer les tendances délétères et à faire espérer une certaine relance de la croissance : la baisse du cours de l’euro et la chute des prix du pétrole. En outre, une prise de conscience du danger que constitue la déflation s’est opérée dans les cercles dirigeants de la Zone Euro et a suscité des contre-feux.
Deux faits en témoignent. En premier lieu, le « plan de relance de l’investissement » auquel est attaché le nom du nouveau Président de la Commission Européenne, Jean-Claude Junker, même si ce « plan » est loin d’avoir une ampleur à la mesure des objectifs qu’il se propose d’atteindre. Surtout, la décision prise par le Président de la BCE d’actionner le « bazooka » que constitue le rachat des titres publics européens sur le marché secondaire.
Ensuite, l’élection en Grèce d’un nouveau Parlement conduisant au pouvoir le parti Syriza, au lieu de provoquer le « Grexit », c’est-à-dire la « Sortie » de la Grèce de la Zone Euro que certains pronostiquaient, a, en quelque sorte, paradoxalement, consolidé la survie de la monnaie unique. En effet, un compromis a été trouvé qui permet à la Grèce de bénéficier d’un délai pour ses échéances financières. On peut penser que ce délai pourra être utilisé par la Grèce pour mettre en place sa nouvelle politique de réformes et que des accommodements pourront être trouvés pour la résorption de sa dette dont on sait très bien que celle-ci nécessitera des sacrifices de la part de ses créanciers. Mais, ce qui est essentiel en la matière est que la Zone Euro, autorise ainsi, implicitement, bon gré mal gré, l’expérience d’une autre politique que celle de l’austérité. Cette autre politique, qui fait appel à d’autres courants de pensée, et a été explicitée dans un livre associant au nouveau ministre Yanis Varoufakis, James Galbraith et Stuart Holland, va être testée dans le cas d’un pays. Si elle réussit – en tout cas, si elle a des résultats positifs –, elle peut faire école, notamment en Espagne avec « Podemos », et appuyer les efforts de la France et de l’Italie pour faire évoluer significativement la politique économique de la Zone Euro.
C’est pourquoi l’heure est moins à la crainte de la déflation – même si celle-ci ne doit pas être écartée – et une évolution, qui peut être profonde, se dessine au sein de la Zone Euro qui conduit à différer les scénarios anticipant la « Sortie de l’Euro ».
On peut, dès lors, raisonnablement, anticiper des infléchissements notables de la politique économique de la Zone Euro par rapport à la « Doxa » qui a prévalu jusqu’ici, sans pouvoir les décrire précisément. L’opposition entre l’Allemagne et certains pays du Nord, d’une part, les pays de l’Europe du Sud, d’autre part, qui revêt beaucoup aujourd’hui l’aspect d’un « jeu de rôles » selon lequel les « adversaires » sont tenus de ne pas perdre la face, va vraisemblablement s’atténuer et laisser la place à des compromis. La pression des grandes institutions internationales et de nombreux économistes parmi lesquels des « Prix Nobel » va finir par obliger les tenants d’une idéologie néo-libérale qui a occupé le devant de la scène au cours des dernières années à modifier leurs positions. De nouvelles configurations économiques vont en résulter. Beaucoup d’éléments conduisent à penser que nous sommes à la charnière de deux époques et que certains des raisonnements qui avaient cours auparavant deviendront obsolètes.
La Grèce, dont on ne donnait pas cher, il y a peu, peut, sous la conduite de ses nouveaux dirigeants, trouver des voies de sortie de sa crise. Au contraire, les mensonges qui conduisent à occulter les difficultés économiques (maintien de taux de chômage des jeunes extrêmement élevés et immigration concomitante de ces jeunes, situation particulièrement précaire du secteur des biens immobiliers, par exemple) de l’Espagne aujourd’hui derrière le paravent du « retour à la croissance » peuvent apparaitre au grand jour et porter au pouvoir, avec Podemos, les tenants d’une autre politique. Dans ce contexte, la navigation difficile, et peu compréhensible apparemment pour les non avertis, des autorités économiques de notre pays accusées de ne pas « coller » suffisamment à l’Allemagne, peut trouver une certaine lisibilité. Les cartes peuvent être rebattues.
Jean-Pierre Pagé