Un sommet pour presque rien, dont l’échec était prévu et annoncé
Déception, voire exaspération, telles furent les impressions laissées par cette réunion de Johannesburg au cours de laquelle il fut donné de constater le creusement croissant de l’écart entre les discours et les actes. Ceci est d’autant plus frustrant que, après le 11 septembre, on n’avait pas le droit de réunir plus de 100 chefs d’Etat pour rien ; une avancée sérieuse dans la voie du développement durable étant la seule réponse radicale aux dérives de l’islamisme.
Or qu’a-t-on vu à Johannesbourg ? Beaucoup de présentations des firmes multinationales qui ressemblaient à des publicités ou à des recherches de marchés et qui ont mis en lumière le déséquilibre inquiétant entre les moyens déployés par ces firmes et ceux, beaucoup plus restreints, dont disposait l’ONU.
L’échec que l’on enregistre sur le chemin de la transition vers le développement durable était prévisible car :
– le problème du financement n’a pas été traité à Monterrey ;
– la question centrale : « le développement durable est-il compatible avec l’économie de marché pure » ? – n’a pas, non plus, été abordée.
Or on ne fera jamais de développement durable si l’on ne régule pas sérieusement les marchés.
A Johannesbourg, en tant qu’européens, nous avons perdu une occasion unique de proposer une modification de l’ordre économique international et une relance de « l’économie mixte ».
Ignacy Sachs rappelle ensuite les enjeux du développement durable :
– il nous faut chercher des solutions gagnantes sur trois plans : le social, une conditionnalité environnementale forte, une économie viable ;
– les changements dans l’ordre international doivent avoir pour objet d’établir une solidarité, non seulement, au sein de la génération présente ( impératif social ), mais aussi, avec la génération future ( impératif environnemental ), ainsi que de permettre le « traitement inégal des inégaux » ( cf. G.Myrdal : « Pour que les règles internationales soient équitables, il faut qu’elles soient biaisées en faveur des faibles », érigé en principe par la CNUCED ).
Tout cela n’était pas à l’ordre du jour de Johannesbourg, trop chargé en termes d’environnement et pas assez en termes de développement ( cf. le discours d’Indira Gandhi à Stockholm ), malgré le titre de principe de la Conférence dévolue au développement durable.
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Jean-Loup Motchane pense, pour sa part, que les solutions sont connues et ont été développées par J.Stiglitz et M.Tobin, entre autres. Il était facile de montrer comment le « Consensus de Washington » menait à des catastrophes. Le concept de l’aide au développement est « tombé » avec le « Mur de Berlin » quand les Pays en Voie de Développement ont cessé de constituer un enjeu. L’objectif du 0,7% n’est pas un problème en soi pour les pays riches : la difficulté est d’ordre politique.
Ignacy Sachs a fait ensuite quelques remarques concernant le traitement du développement durable en France. Sous le gouvernement socialiste, la problématique en a été transférée du Premier Ministre au Ministère de l’Environnement. Jacques Chirac a repris, à son compte, l’idée du couplage de l’environnement avec le développement durable en créant un Ministère de l’Ecologie doté d’un Secrétariat du Développement Durable. Le même Jacques Chirac a réuni, avant Johannesbourg, un groupe de travail et s’est montré passionné par le sujet.
Aujourd’hui, on peut dire que le caractère transversal du concept a été compris, comme en témoignent l’initiative d’un séminaire
gouvernemental créant un Comité Interministériel et l’annonce de la mise en place d’un Conseil National du Développement Durable auprès du Premier Ministre.
Le message a donc été reçu à l’Elysée. Reste à savoir ce que l’on fera, concrètement, au niveau national et au niveau international, notamment dans le cadre de l’élargissement de l’Union Européenne qui deviendra de ce fait la principale puissance économique du monde et pourra initier une action en faveur du développement durable sans avoir besoin de se préoccuper de ce que font les autres partenaires.
En conclusion, Ignacy Sachs préconise l’élaboration d’un nouveau concept Nord-Sud fondé sur l’idée du co-développement. Rappelant que l’objectif d’aide fixé à Rio de porter celle-ci à 0,7% du PNB (mondial) n’a pas été tenu, il a souligné qu’un renversement de la tendance ( et la mise en place d’un plan en faveur du Sud ) étai(en)t dans l’intérêt bien compris des pays du Nord.
La discussion s’engage.
Bernard Wolfer pense qu’il convient de nuancer le qualificatif d’échec appliqué à Johannesbourg : si les Etats Unis ont été blâmés pour leur attitude concernant les changements climatiques, en revanche, les contacts établis entre les ONG ont été fructueux en permettant de pousser la critique des errements actuels beaucoup plus loin qu’auparavant. Mais il considère, lui aussi, que l’Europe, handicapée par sa défense de la PAC, a manqué là une occasion.
Jean-Pierre Airupt ( Gauche Moderne ), après avoir souligné le contraste entre le caractère optimiste des propositions et le caractère pessimiste des solutions, pose une question double :
– le retour à l’économie administrée, dont on connaît les défauts par ailleurs, est-il véritablement la solution au problème posé ?
– pourquoi les Etats se comporteraient-ils de façon plus « morale » que les entreprises ?
Jean Chesneaux, pour sa part, pense que le rôle de l’Etat est au cœur du problème. Il faut clairement une volonté de l’Etat. « Comment le bon vieux gendarme peut-il reprendre du service ? » Il faut repenser le système des Etats comme mode de régulation de la société mondiale.
Ignacy Sachs, en conclusion, fait un rappel historique.
Après la Seconde Guerre Mondiale, on s’est trouvé en présence de trois systèmes co-existant :
– le fascisme ( subsistant dans certains pays),
– le communisme,
– le capitalisme complètement reformaté, étant passé par Keynes et le New Deal de Roosevelt, acceptant une planification orientée vers le plein emploi et un Etat protecteur.
Avec l’écroulement de l’empire soviétique, se produit une « contre réforme » qui s’attaque au capitalisme reformaté et engendre le « Consensus de Washington ».
La crise de l’Argentine marque une nouvelle étape avec la fin du « Consensus de Washington »
Les 25 dernières années apparaissent ainsi comme un « interlude ». Il nous faut nous remettre au travail pour faire émerger le socialisme réel et bien le distinguer du néo-libéralisme. Il faut remettre en vigueur la « planification à la française ».
Parmi les défis qui nous sont lancés et les questions à élucider figurent les suivantes :
– Comment désamorcer la véritable « bombe à retardement » située de l’autre côté de la Méditerrannée ?
– Comment remédier à la catastrophe de l’emploi mondial : 1/3 de la force mondiale de travail est en chômage ou en sous-emploi ?