Parler de la crise financière aujourd’hui revient d’abord à poser une question préalable : cette crise était-elle prévisible ?
Oui, elle l’était, du moins dans son principe, si l’on admet que l’équilibre économique mondial a reposé depuis quinze années environ sur la capacité de s’endetter des ménages dans de nombreux pays : Etats-Unis, Angleterre, Espagne, Pays-Bas, Australie, Irlande, et même Corée du Sud, Hongrie et pays baltes. Cette capacité a permis le maintien d’une demande finale suffisante pour assurer le débouché requis par la capacité industrielle croissante installée dans les pays émergents et tout spécialement les pays émergents d’Asie. Mais, ce faisant, l’endettement a dépassé un seuil critique au-delà duquel l’insolvabilité des débiteurs s’est déclaré, avec les conséquences désastreuses que l’on sait. Au demeurant, différents auteurs ont tiré un signal d’alarme que l’on n’a pas voulu entendre.
Non, cependant, elle ne l’était pas, si l’on veut dire par là prévoir son scénario et sa chronologie exacts. Mais cela n’a rien d’étonnant.
Il convient maintenant de mettre en lumière le phénomène d’irresponsabilité des marchés, qui a favorisé le surgissement d’une crise financière sans précédent, et d’avertir le public sur les risques d’une véritable dépression, comparable à celle des années trente, au-delà
Parler de la crise financière aujourd’hui revient d’abord à poser une question préalable : cette crise était-elle prévisible ?
Oui, elle l’était, du moins dans son principe, si l’on admet que l’équilibre économique mondial a reposé depuis quinze années environ sur la capacité de s’endetter des ménages dans de nombreux pays : Etats-Unis, Angleterre, Espagne, Pays-Bas, Australie, Irlande, et même Corée du Sud, Hongrie et pays baltes. Cette capacité a permis le maintien d’une demande finale suffisante pour assurer le débouché requis par la capacité industrielle croissante installée dans les pays émergents et tout spécialement les pays émergents d’Asie. Mais, ce faisant, l’endettement a dépassé un seuil critique au-delà duquel l’insolvabilité des débiteurs s’est déclaré, avec les conséquences désastreuses que l’on sait. Au demeurant, différents auteurs ont tiré un signal d’alarme que l’on n’a pas voulu entendre.
Non, cependant, elle ne l’était pas, si l’on veut dire par là prévoir son scénario et sa chronologie exacts. Mais cela n’a rien d’étonnant.
Il convient maintenant de mettre en lumière le phénomène d’irresponsabilité des marchés, qui a favorisé le surgissement d’une crise financière sans précédent, et d’avertir le public sur les risques d’une véritable dépression, comparable à celle des années trente, au-delà de la sévère récession qui est déjà acquise à ce jour, le 19 novembre 2008.
{{Rétrospective : l’irresponsabilité des marchés}}
Il faut se reporter trois ans en arrière pour voir apparaître discrètement les premiers signes de la crise, sur le marché de la construction résidentielle américain. A partir de septembre 2005 pour les mises en chantier, à partir de janvier 2006 pour les permis de construire, les chiffres de ce secteur économique ne cesseront de baisser (dans une proportion de plus de 70% fin 2008, par rapport aux plus hauts de l’été 2005). Simultanément, les courants de vente des logements neufs et anciens se sont affaiblis jusqu’à entraîner un doublement approximatif des stocks dès l’été 2006. Le boom immobilier américain, commencé en 1993, était révolu.
Dans un second temps, à partir de l’automne 2006, le taux de défaut ou de retard de paiement des ménages américains endettés a commencé à s’aggraver pour de bon. Il est vrai que le montant de la dette correspondante a, dans le contexte d’optimisme qui a longtemps prévalu aux Etats-Unis, atteint le montant total du Pib ! Remarquons toutefois que la défaillance des ménages américains a débuté alors que la croissance économique et la création d’emplois se maintenait sur un bon rythme : ce fait signifie que les ménages concernés étaient effectivement surendettés.
Mais la défaillance de plus en plus fréquente desdits ménages ne pouvait pas ne pas entraîner des difficultés pour leurs prêteurs. C’est d’ailleurs là l’une des manifestations classiques de nombreuses crises financières, la défaillance des débiteurs entraîne avec elle la défaillance des prêteurs, soit les prêteurs d’origine qui ont conservé ces prêts dans leur compte, soit les prêteurs en second ressort qui l’on rachetée auprès des prêteurs d’origine.
Ces évolutions défavorables n’ont pas échappé à ceux qui se sont montrés précocement les plus clairvoyants, les opérateurs boursiers asiatiques. A différentes reprises, les marchés d’actions asiatiques ont accusé des mini krachs, au lendemain d’annonces négatives concernant les marchés immobiliers et hypothécaires des Etats-Unis. Les grands fournisseurs asiatiques du marché américain craignaient, non sans raison, le fléchissement de la conjoncture chez leur grand client nord américain.
La crise financière émerge dés juin 2007 lorsque la banque Bear Stearns ferme deux de ses fonds de placement, en interdisant aux épargnants concernés de retirer leur argent. Elle éclate ensuite au grand jour le 9 août 2007 lorsque la BCE intervient en urgence pour débloquer le marché du crédit interbancaire qui avait cessé de fonctionner. Les banques en excédent de trésorerie ne prêtaient plus aux banques qui souffraient au contraire d’une insuffisance. Cette situation rarissime traduit une perte de confiance des opérateurs bancaires, chacun soupçonnant les autres d’insolvabilité potentielle. Mais l’interruption du marché interbancaire européen révélait aussi un phénomène qui sera amplement confirmé par la suite, d’internationalisation sans précédent des marchés du crédit. Car il n’y a pas de raison a priori que les difficultés du marché hypothécaire américain se répercutent directement sur le climat du marché de l’euro au jour le jour.
Deux étapes sont encore notables, celle de la faillite de Bear Stearns, déjà citée, le 14 mars 2008, et évidemment celle de Lehman Brothers, entrée dans l’Histoire le 14 septembre suivant. La première faillite pose la question implicite suivante : ne fallait-il pas, dès le printemps 2008, prendre des mesures de sauvetage, voir décider des nationalisations bancaires sur une large échelle ? La seconde a été posée, au lendemain du désastre provoqué par la cessation de paiements de Lehman Brothers : ne fallait-il pas sauver cette banque tout en évinçant ses dirigeants ?
Mais le scénario rétrospectif de la crise financière ne représente que l’esquisse de l’esquisse de la compréhension nécessaire. Il nous permet de voir l’importance déterminante du marché immobilier dans la prospérité économique, celle du marché hypothécaire dans la prospérité financière, celle du marché interbancaire pour le fonctionnement d’ensemble de la machine du crédit, enfin le degré inattendu et dangereux d’exposition réciproque des banques à l’échelon international, sans cloison pare-feu qui puisse empêcher la propagation d’un incendie.
Mais si la crise financière stigmatise l’irresponsabilité des banques, nous manquerions l’essentiel si nous omettions de souligner une fois de plus, et à l’encre rouge, le rôle déterminant du surendettement des ménages dans le monde occidental. Américains, Anglais, Espagnols, Néerlandais, Irlandais, Australiens, Hongrois, Lettons et même Coréens se sont gavés de dette pour construire et acheter des logements ou consommer des biens de toutes sortes. Les gouvernements ont laissé faire les acteurs sans chercher à modérer d’une façon quelconque la propension à emprunter ou à prêter.
Nous devons comprendre rétrospectivement deux choses. Premièrement, le surendettement des ménages a joué un rôle déterminant d’équilibrage de la capacité de production croissante, alors que l’évolution globale des revenus du travail était comprimée par la mondialisation. Si l’on préfère, on a obtenu l’équilibre économique réclamé par Keynes entre la demande et la production au prix d’un déséquilibre financier interne représenté par le surendettement. Deuxièmement, l’extraordinaire cécité des néo-libéraux qui n’ont cessé d’alerter les médias, les politiques et les opinions sur les risques présentés par les dettes publiques, en préconisant la rigueur de la gestion des Etats, tout en faisant l’impasse sur la dette des ménages qui est à l’origine du séisme en cours. Rien que cela devrait disqualifier le discours néo-libéral.
On clôturera la rétrospective en stigmatisant le phénomène de titrisation. Par titrisation, on entend la faculté des prêteurs de revendre, sur un mrché « ad hoc », les prêts qu’ils ont consentis, en découpant ces prêts, regroupés au préalable, en une quantité de titres qui les représentent, afin de permettre aux investisseurs de marché de s’en emparer puis, le cas échéant de les revendre à leur convenance. Applaudi au départ comme une innovation déterminante, de nature progressiste, cette titrisation se révèle dans le contexte de crise comme le facteur déterminant de la déresponsabilisation des banquiers. Alors que tout producteur de biens ou de services, quel qu’il soit, est juridiquement et commercialement responsable de la qualité de ce qu’il met sur le marché, les banques ne le sont plus du fait de la titrisation. Ladite titrisation a changé du tout au tout la logique des prêteurs et favorisé à l’extrême l’attribution de crédits.
Au-delà de la titrisation d’origine, de nouvelles innovations financières sont venues opacifier les marchés. Des titres représentatifs de prêts de différentes qualités ont été fusionnés au sein de titres hybrides tels que les CDO (Collateralized Debt Oligations) ou ABS (Asset Backed Securities). Ce qui a permis à leurs émetteurs de revendre, dans les faits, des titres d’une qualité moyenne ou douteuse à des prix correspondant à un bon risque pour les détenteurs. Pour finir, les acquéreurs des titres de dettes sur le marché se sont vus offrir la possibilité de se couvrir contre le risque d’insolvabilité des emprunteurs d’origine, tels que les ménages américains endettés jusqu’à trente ans pour acquérir leur logement, en achetant des CDS (Credit Default Swaps) qui représentent des primes d’assurances souscrites auprès d’un tiers qui se propose de se substituer à vous si vos débiteurs sont défaillants. Ces primes elles-mêmes sont devenues des actifs de marché troqués chaque jour à un prix variable, donc des instruments de spéculation. C’est la dévalorisation des CDS dans le sillage de la crise de paiements des ménages américains qui a fait chuter Bear Stearns, Lehman Brothers et AIG.
Une interrogation s’impose au terme de cette rétrospective : faut-il que les marchés du crédit fonctionnent comme des marchés boursiers, où les titres sont alternativement surcotés puis sous cotés ? On peut en douter.
Comment lutter contre la dépression qui s’annonce ?
Nous sommes passés en quelques mois de la crainte de la récession à sa manifestation sur une échelle planétaire, et à la crainte légitime d’une dépression sur le mode des années trente. Trois catégories de pays sont plus particulièrement touchées. D’abord, les pays qui ont longtemps bénéficié du surendettement des ménages sont entraînés dans un processus déflationniste par le mouvement inverse de désendettement : Etats-Unis, Angleterre, Espagne. Ensuite, les pays compétitifs qui voient s’effondrer leurs exportations, du fait du repli massif de la demande des biens qui faisaient leur force (Allemagne, Japon, Corée) ! Enfin, les pays producteurs de matières premières qui subissent les effets de la chute vertigineuse des prix intervenue entre le printemps et l’automne 2008 (Russie, Proche-Orient, Colombie, Venezuela, Pérou…).
Si l’on envisage maintenant les différentes catégories d’agents économiques, nous voyons se manifester des comportements nouveaux qui témoignent d’un climat généralisé de défiance. Les ménages se désendettent en réduisant les consommations de tous les biens et services jugés les moins nécessaires. Les entreprises reportent les investissements et les embauches projetés antérieurement, ou même désinvestissent ou débauchent. Les banques tentent dans la confusion de réduire leurs engagements tout en s’appuyant sur les Etats pour éponger les dettes et reconstituer les fonds propres. Une véritable préférence pour la liquidité se manifeste au sein du système bancaire.
Que faire ?
En ce mois de novembre 2008, il semble que la priorité soit à la nationalisation des banques, pour des raisons psychologiques et pratiques : éviter les retraits dans la panique des dépôts monétaires et d’épargne, s’assurer du bon usage des concours publics au redressement des banques, organiser une entente entre les banques pour maintenir collectivement la quantité minimale de crédit sans laquelle l’économie est vouée à s’effondrer et à entraîner les banques dans une faillite cette fois-ci irrémédiable.
La deuxième priorité devrait consister à instaurer des cordons douaniers protecteurs, de manière à conduire les entreprises à produire désormais au plus près de leurs clients et à cesser de faire jouer le moins-disant salarial, fiscal et environnemental. L’Europe peut faire, et faire bien, presque tout ce dont elle a besoin. A quoi rime que la Chine produise désormais les trois quarts des chaussettes, les deux tiers des jouets et plus de la moitié de l’acier dans le monde ? Un protectionnisme éclairé et méthodique s’impose. Il ouvrira la voie à la revalorisation du travail qui permettra la relance de la consommation.
La troisième priorité se situe sur le plan monétaire. La gestion de l’euro n’a pas empêché la formation de bulles spéculatives dans des pays comme l’Espagne et l’Irlande, sans remédier pour autant à l’atonie économique en Allemagne, en France et en Italie. L’impératif est désormais d’alléger le fardeau de la dette des Etats en acceptant de monétiser celle-ci, à tout le moins pour le montant correspondant à des dépenses permettant la pérennité démographique et économique des nations membres : aides familiales, recherche et développement.
Au-delà de ces priorités urgentes, il conviendra d’entreprendre la reconstruction d’un monde stable et fiable, permettant aux agents économiques de procéder à des calculs plus rationnels. Par l’élaboration d’un Système Monétaire International, destiné à amarrer les unes aux autres les principales monnaies du commerce international, par une responsabilisation retrouvée des prêteurs grâce à l’encadrement des pratiques de titrisation, par la détermination contractuelle des prix de l’énergie et des matières premières entre les producteurs et les consommateurs, et non plus sur des marchés spéculatifs qui dissocient les prix financiers des coûts économiques.
A ce prix, nous pourrions commencer une nouvelle expérience économique, délivrée des contradictions de la précédente.
Jean-Luc Gréau