A la suite des propos tenus par Arnaud Montebourg qui ont pu laisser penser qu’il imputait à la France la politique de l’austérité menée par l’Europe qu’il dénonçait à juste titre, la querelle sur ce thème s’est singulièrement durcie. Déjà, après la publication des chiffres du deuxième trimestre de 2014 annonçant une croissance zéro, le concert des « pleureuses » s’était déchainé. Une fois de plus, les « bons esprits », trouvant une caisse de résonnance sans pareil dans la presse, ont entonné le chant traditionnel : « il faut passer aux réformes » ; le Pacte de Responsabilité va dans le bon sens, mais il est insuffisant et il faut en accélérer la réalisation. Certes, tout cela n’est pas faux, mais masque la véritable explication de la « panne ».
Pourtant, plusieurs nouveaux membres de l’UE, la Pologne à leur tête, montrent le chemin à suivre. Ces pays, fortement affectés par l’intermédiaire de leur commerce extérieur par l’anémie qui a frappé l’économie de l’Europe occidentale, ont connu un net ralentissement de leur croissance en 2012 et 2013. Mais ils ont su trouver la parade en donnant à leurs économies une impulsion grâce à l’utilisation des fonds structurels que leur a octroyés l’Union européenne pour la période 2007-2013. En effet, à l’exception notable de la Pologne, plusieurs de ces pays avaient accumulé un grand retard dans l’utilisation de ces fonds au titre du programme 2007-2013, le reliquat des fonds engagés devant en être consommé en 2014-2015, sous peine d’être perdu. Ils ont donc mis les bouchées doubles. L’effet sur leur croissance via les dépenses publiques financées par ces fonds s’est fait sentir immédiatement, d’autant plus que ceux-ci ont induit une impulsion budgétaire supplémentaire via l’obligation faite aux Etats de cofinancement, celui-ci jouant comme une sorte de multiplicateur. C’est pourquoi, dans son communiqué de presse du 3 juillet 2014, l’Institut d’Etudes Economiques Internationales de Vienne, soulignant les efforts accomplis par les nouveaux membres de l’UE pour élever le taux de consommation des fonds structurels européens avant qu’ils ne soient perdus, impute pour une part substantielle à cette action une accélération de la croissance de ces pays qu’ils constatent et prévoient pour la période 2014-2015 et que commente Le Monde dans un intéressant dossier en date du 26 août 2014.
Sans attendre l’échéance de 2014-2015, la Pologne avait donné le bon exemple dès la fin des années 2000 – sous la férule de Donald Tusk, le nouveau président du Conseil Européen, il n’est pas inintéressant de le noter -, comme l’a démontré Jerzy Osiatynski, ancien ministre et actuel conseiller économique du Président Komorowski, lors d’un récent colloque . Il a cité comme l’un des facteurs essentiels de la bonne tenue de l’économie polonaise qui, rappelons-le, n’a jamais connu depuis 2008 (même en 2009) de « panne de croissance », ce qu’il a appelé une « forte impulsion budgétaire », en l’occurrence le soutien à la croissance par la dépense publique, celle qui a été cofinancée par les fonds structurels européens et le budget public. Ce n’est un secret pour personne que de constater que le pays s’est couvert de chantiers d’infrastructures – surtout au cours de la période qui a précédé l’organisation des championnats d’Europe de football – tandis que l’industrie du BTP connaissait un essor remarquable, y compris en ce qui concerne l’habitat privé.
C’est que la Pologne, pourtant conduite au cours de ces années par des élites d’inspiration libérale, n’a jamais sacrifié au dogme de l’austérité qui a étouffé l’activité économique dans l’Europe occidentale. Cependant, sous l’incidence de la crise des années 2008 et 2009, et des mesures de soutien à l’activité économique qui en étaient résulté, la Pologne avait vu, comme dans de nombreux pays d’Europe, son déficit public monter à près de 8% du PIB, alors même que sa dette publique s’approchait dangereusement de la limite des 60% du PIB qui lui était statutairement assignée. Plutôt que de chercher à réduire brutalement ce déficit, la Pologne a ensuite opté pour un abaissement progressif de celui-ci facilité par le maintien d’une croissance substantielle (de l’ordre de 4% en 2010 et 2011), contrairement à ce qui s’est passé dans maints pays de l’Europe occidentale. Et, quand la Pologne, succombant à la pression des autorités de l’UE, a cherché à durcir inutilement sa politique budgétaire à partir de 2012, le parti politique au pouvoir en a été puni par un ralentissement de la croissance (tombant à 1,6% en 2013), aussitôt sanctionné par une vive remontée de la formation concurrente à relents populistes du Pis compromettant ses chances de victoire au cours des prochaines élections. Tirant les leçons de cette situation, le gouvernement a relancé l’impulsion budgétaire, ceci conduisant à la relance actuelle de la croissance qui, selon les prévisions actuelles, serait revenue aux environs de 3% en 2014.
L’évolution de l’économie de la République Tchèque constitue un autre cas d’école. La situation des finances publiques de la République Tchèque a toujours été très saine. Ce pays a donc franchi l’épisode délicat de la crise de la fin des années 2000 sans encombre et, dès 2011, son déficit public avait retrouvé un niveau proche des 3% de Maastricht. Elle n’avait donc nul besoin de mener la très stricte politique budgétaire que la majorité d’inspiration libérale, alors au pouvoir, a maintenue pour des raisons idéologiques jusqu‘aux élections d’octobre 2013. La sanction en a été immédiate : dès l’année 2012, la République Tchèque tombait en récession et cette situation a perduré en 2013, jusqu’à ce que les élections législatives conduisent à un changement de majorité qui a mis fin à l’inutile politique de rigueur précédente. La politique budgétaire est devenue stimulante pour l’activité économique, tant en ce qui concerne la consommation publique, les transferts sociaux et, surtout, que les investissements publics en co-financement avec les fonds structurels européens. L’effet a été immédiat et le pays a retrouvé une croissance qui est annoncée de l’ordre de 2% en 2014 et prévue de près de 2,5% en 2015.
Comment ne pas tirer de tout cela les leçons qui s’imposent ! Les pays de l’Europe occidentale ont fait l’inverse. Après avoir ouvert largement les vannes de la dépense publique pour contrer les effets désastreux de la crise financière de la fin des années 2000 et éviter un blocage de l’activité économique, ils se sont empressés de les refermer, aiguillonnés par le couperet des 3% de Maastricht. Ce faisant, ils ont brutalement cassé le sursaut de croissance de 2010 en en étouffant les facteurs. Le résultat est que l’Europe occidentale est de plus en plus menacée par la déflation et que son activité économique ne parvient pas à décoller. Même les pays de l’Europe du Nord sont touchés et atteints par une maladie de langueur. Quant aux pays du Sud de l’Europe, il est indécent de s’ébaubir devant leur retour à la croissance comme on le fait pourtant souvent, n’hésitant pas à comparer ces « performances » à la supposée « panne de la France ». C’est oublier le puits sans fond où les a précipités la chute antérieure et dans quel état social celle-ci les a laissés. A cet égard, le Premier Ministre Mariano Rajoy de l’Espagne fait preuve de beaucoup d’impudence quand il ose présenter son pays comme modèle au côté de celui de l’Allemagne. Quant aux Etats Unis, ils se sont bien gardés de tomber dans le piège de l’austérité et en recueillent aujourd’hui les fruits. S’il fallait une preuve de l’aberration de la stratégie économique menée par les responsables de l’Europe occidentale jusqu’à maintenant, les nouveaux membres de l’UE, dans leur majorité, l’apportent aujourd’hui.
Jean-Pierre Pagé