Débat – Quelle fiscalité face à la crise?

Encadré de présentation

Dans le cadre de la commission du Cercle Condorcet «?Évolution du modèle social français?» et «?Industries d’avenir?» piloté par Claude Studievic et Françoise Renversez, Maurice Bertrand et Jean Lyon ont proposé de compléter le projet initial par un chapitre sur le financement des services publics et les réformes nécessaires pour en assurer un fonctionnement satisfaisant. Ce premier article est suivi d’une réponse de Françoise Renversez. Claude Studievic a ensuite proposé de mettre en avant les mesures proposées les plus importantes en tenant compte de leur degré d’acceptation par l’opinion publique*.
Les deux textes sont en contradiction sur certains points sans remettre en question l’importance du problème, mais bien au contraire en ouvrant un débat auquel tous les membres du Cercle sont invités à participer. Chacun est libre d’avoir un avis différent et de proposer des solutions alternatives à condition de s’emparer du problème et de s’exprimer librement. La question des impôts est certes technique, mais aussi éminemment politique et philosophique.
Sans impôts, il ne peut y avoir de «?vivre ensemble?».

* 1°. Aller vers le dépérissement des paradis fiscaux : acceptation très forte,
2°. Accélérer l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés (I.S.) : acceptation forte,
3°. Effet de restructuration de l’impôt sur la société française : acceptation moyenne.

Premier texte :
Maurice Bertrand
Conseiller maître honoraire
à la Cour des comptes

et

Jean Lyon
Ancien chef d’entreprises
Gérant de sociétés

{{{Réforme fiscale et crise}}}

{{Ampleur et nature du débat}}

La question au sujet de laquelle nous aimerions voir s’ouvrir un débat est la suivante : la «?crise?» actuelle est-elle un mélange de crise économique classique et d’énormes difficultés de financement?? ou s’agit-il plutôt d’une crise de la structure des États-nations et du besoin profond d’un nouveau type de société?? Et si c’est ce deuxième diagnostic qui est le bon, n’est-il pas indispensable de rechercher une solution dans la remise en question de la structure même des systèmes qui assurent aujourd’hui à la fois le financement des services publics et la redistribution des revenus et des capitaux?? En d’autres termes d’envisager une très grande réforme fiscale??

Cette manière de formuler le problème attire l’attention sur l’impôt et sur le fait qu’il n’existe pas de théorie sociologique de cette institution universelle. C’est là une situation singulière. Le fait qu’il s’agisse d’un domaine ennuyeux, difficile et complexe, et qu’il ait été traité de manières très diverses suivant les pays, ne suffit pas à expliquer cette absence de discipline. Toutes les tentatives de grande réforme fiscale se sont heurtées à de très fortes résistances et la relation entre justice et efficacité n’a jamais été bien comprise.

Il en résulte que le bilan de la «?lutte des classes?» qui oppose les riches et les pauvres reste finalement négatif, même dans les pays développés. On peut sans doute mettre de nombreux progrès à son actif : la réduction du temps de travail, l’accès à l’enseignement primaire et secondaire, le respect de la laïcité, la sécurité sociale en général, la liberté d’expression, le choix des dirigeants par les élections. Mais ces résultats sont annulés pour la majorité des êtres humains par les chiffres inacceptables du chômage structurel et des inégalités d’une ampleur extravagante dans la distribution de la richesse commune.

La prise de conscience de cette énorme escroquerie des pauvres par les riches est en train de se développer. Or les partis politiques qui se situent «?à gauche?» aujourd’hui se refusent à aborder sérieusement l’examen de l’influence de la fiscalité sur la structure sociale, aussi bien qu’économique, de la société. Ils se laissent entraîner par les conservateurs dans de faux débats, tels que celui de l’alternative entre «?politiques d’austérité?» et «?politiques de relance?» ou les conditions de respect d’une prétendue «?règle d’or?». Les partisans des «?politiques d’austérité?» tentent ainsi de faire croire qu’une réduction des dépenses publiques de quelques millions devrait permettre de réduire des déficits de l’ordre de plus d’une centaine de milliards. Les défenseurs des «?politiques de relance?» ne précisent pas comment pourraient être trouvés les moyens de les financer. Et la réduction des déficits à 3 % du produit national brut n’est pas seulement impossible à atteindre sans accroître les recettes fiscales?: même si elle était respectée, elle continuerait à accroître indéfiniment le déficit. La classe politique, tous partis confondus, perd de ce fait toute crédibilité. Machiavel disait déjà au XVIe siècle que dans les situations où «?personne n’a plus confiance en personne, il faut nécessairement que l’État périsse?».
Si l’on veut sérieusement résoudre la crise, c’est la structure même des systèmes de financement public qu’il faut remettre en question. Or la classe politique tout entière a peur d’ouvrir un débat de cette ampleur, et c’est sans doute pourquoi elle se refuse à parler sérieusement du système de financement et de la nécessité d’en changer. Les propositions de ceux qui préconisent des transformations en profondeur des institutions actuelles, d’arrêter la marche vers le libre-échange intégral, de supprimer le secret bancaire, de contrôler le pouvoir monétaire des banquiers, de réduire les jeux de casinos des bourses, de prendre des mesures sérieuses contre les paradis fiscaux, de mettre fin à la compétition fiscale, de réviser en profondeur les conceptions militaristes obsolètes de la sécurité internationale, ne sont pas prises en considération .

Il n’y a pas à s’étonner que telle soit l’attitude des conservateurs dont la clientèle électorale bénéficie du maintien de l’ordre existant. Il est surprenant en revanche que tel soit aussi le cas des forces progressistes. Elles sont en effet les seules à pouvoir diagnostiquer que la planète tout entière, et en particulier les pays européens sont aujourd’hui en présence d’une crise de l’État, et à avoir intérêt à en considérer les conséquences. Car ce que révèlent les problèmes de financement, de déficits structurels, d’accroissement permanent des dettes publiques, de montée sans limites du chômage structurel, c’est que le type de société dans lequel nous vivons est remis en question. La crise de financement démontre seulement qu’il n’existe plus de consensus de vivre ensemble entre dirigeants et dirigés. Ceux qui s’enrichissent ne veulent pas réduire leur part de gâteau, ceux qui composent la «?classe inférieure structurelle?», et à qui on n’offre même plus de travail, ne veulent plus perdre leurs acquis sociaux et souhaitent au contraire les améliorer. S’il n’est pas possible de trouver un accord sur la répartition actuelle des richesses, les catastrophes sociales les plus terribles peuvent être prédites sans hésiter.
Ce désarroi général se situe dans un contexte de changement structurel qui échappe à tout contrôle et qui concerne en même temps le processus d’intégration européenne, les résistances nationalistes à ce processus, l’accroissement continu depuis deux siècles des fonctions assumées par les États, la consolidation du pouvoir non contrôlé de l’argent dans l’espace économique planétaire, et d’une façon plus générale la perte de sens de la vie en commun.

La crise de financement actuelle pose donc le problème de la définition d’un autre type de société. Elle démontre que nous venons d’atteindre un seuil où l’inacceptabilité du modèle existant devient évidente. Il ne s’agit donc plus de faire quelques corrections à ce ­modèle?: il faut le changer. En fait, c’est depuis l’origine que le modèle de l’État bourgeois a été mis en place après les révolutions de la fin du XVIIIe siècle en désaccord avec les principes de «?liberté, égalité, fraternité?» qu’il prétendait être les siens. L’histoire du financement des services publics montre que, depuis plus de deux siècles, aucun système fiscal n’a permis d’éviter les déficits ni de juguler l’inflation. A travers des crises multiples, la société capitaliste a subsisté jusqu’ici, expérimentant au passage les expériences de fascismes et de «?socialisme réel?». Le seuil qui est atteint aujourd’hui démontre seulement qu’il n’est plus possible de conserver le modèle existant de répartition des richesses.
La raison en est que nous avons aujourd’hui à financer un «?secteur non marchand?» de l’économie qui atteint ou dépasse par son montant la moitié de la production intérieure brute, et que la philosophie de l’enrichissement qui inspire les activités du secteur privé s’oppose farouchement à toute augmentation des prélèvements obligatoires. Il y a de ce fait conflit entre les deux secteurs, et c’est ce conflit qu’il semble impossible de résoudre. Il s’agit d’un nouvel épisode de ce que l’on peut encore appeler la «?lutte des classes?». Dans le débat ainsi ouvert, la thèse à examiner est que la clé de la réponse se trouve dans la conception de la structure du système de financement. Contrairement à l’opinion la plus répandue, il ne s’agit pas d’augmenter les impôts existants. Il s’agit de faire payer ceux qui sont dus et de les mettre en accord avec les principes de justice sociale reconnus. C’est la réponse à ce débat qui est impatiemment attendue aujourd’hui d’une gauche officielle qui se refuse encore à l’aborder .

{{L’effet de structuration sociale par la fiscalité}}

La première constatation qui s’impose en ce domaine est que ce sont les systèmes fiscaux intégrés dans les systèmes de financement public qui décident de la répartition des revenus et des capitaux dans la société. L’exemple français ne fait qu’illustrer le type de répartition de la charge fiscale, monétaire et de crédit généralement en usage dans la majorité des pays?: faible recours à des impôts directs quelque peu progressifs, mais largement fraudés ou évadés, impôts indirects insuffisamment progressifs et agissant de façon structurelle sur la composition de la demande globale, taxes sur les successions ridiculement faibles pour les grandes fortunes, tolérance à l’évasion fiscale, compétitivité internationale faussée par le dumping fiscal et la pratique de l’«?optimisation fiscale?», résistance à toute harmonisation, recours systématique à l’emprunt, inflation monétaire continue, absence de contrôle du crédit… La prise de conscience de l’effet de structuration du système de financement public sur la société est le préalable indispensable à l’élaboration de systèmes qui seraient à la fois justes et performants.

{{Impôts sur les successions}}

La description du rôle joué par les impôts sur les successions dans la structuration de la société en classes est sans doute l’exemple le plus facile à comprendre à cet égard. Les inégalités existantes qui s’accroissent tous les jours, le développement du pouvoir de l’argent, le «?capitalisme d’héritiers?» sont les produits directs de la réglementation existante. Or il faut un examen détaillé du Code des impôts pour mesurer à quel point les détenteurs de grandes fortunes bénéficient d’un traitement de faveur. Les taux définis par l’article 777 du Code des impôts, qui s’élèvent progressivement, après abattement, de 5 à 45 % pour les parts de fortune dépassant 1?805?677 euros, ne s’appliquent pas en fait aux grandes fortunes. L’article 787 b par exemple institue une exemption de 75 % des droits à payer pour les parts et actions d’une société ayant une activité économique quelconque, sous la condition «?d’un engagement collectif de conservation d’une durée minimale de deux ans en cours du jour de la transmission?». Les héritiers de grandes fortunes ne paient donc guère plus de 10 % sur le montant total des biens transmis, sauvegardant ainsi les inégalités existantes et renforçant le pouvoir de l’argent. D’autres dispositions sur les modalités de paiement viennent encore alléger l’importance des prélèvements, et réduire par là même le rendement fiscal des droits de succession dans les recettes de l’État.

Il en va de même pour l’ensemble des impôts, qu’ils soient directs ou indirects. Dans une société où le système économique enrichit les riches et appauvrit les salariés et la petite classe moyenne, il ne fait aucun doute que la progressivité de l’impôt est l’un des rares moyens de rétablir quelque justice. Le débat entre partisans (conservateurs) de la proportionnalité (c’est-à-dire un taux de prélèvement identique quelle que soit la base d’imposition) et partisans de la progressivité (taux s’élevant avec l’importance de l’assiette) concerne la justice sociale et le type de société que l’on veut établir. En dépit du battage médiatique au sujet de la progressivité de l’impôt sur le revenu, le système fiscal français n’a rien de progressif. Il est en fait dégressif, dans la mesure où, dans son ensemble, il pèse davantage sur les revenus des ménages les moins aisés, notamment à travers la fiscalité indirecte et le plafonnement des cotisations sociales. C’est dire qu’il est inique et qu’il est indispensable de prendre conscience de cette iniquité si l’on souhaite corriger quelque peu les inégalités.

{{Progressivité de la TVA}}

L’idée fausse selon laquelle seuls les impôts directs pourraient être réellement équitables représente un phénomène d’injustice et d’inefficacité au moins aussi important que celui qui vient d’être exposé sur les droits de succession. Il est parfaitement possible en particulier de rendre progressif le principal impôt indirect, en l’occurrence la taxe à la valeur ajoutée (TVA) dont le produit couvre déjà près de la moitié des recettes du budget de l’État (131 milliards sur 271 en 2011).
L’un des meilleurs exemples de la mystification des électeurs en ce domaine est fourni par la manière dont a été traitée par les médias et par la classe politique la revendication des restaurateurs de réduire de 19,5?% à 5,5?% le taux de la taxe sur la valeur ajoutée qui leur est applicable. Nul n’a condamné cette revendication ni identifié l’injustice profonde qui résultait de son acceptation. Traiter fiscalement de la même manière les clients des bistrots qui offrent un repas à 15 euros et ceux des restaurants de luxe où un repas revient à 80 ou 100 euros est profondément injuste. Réduire le taux de TVA pour tous les restaurants à 5,5?% a relevé de la pure démagogie . La langue de bois politique parle de «?fracture sociale?» : ce serait le cas ici de parler de «?fracture gastronomique?», aussi ignorée que la première.
D’une manière plus générale, faire des cadeaux aux riches aux dépens des pauvres semble devenu une ­habitude qui n’entraîne pas de protestation : seule l’ignorance dans laquelle la classe politique et les médias maintiennent l’opinion publique en matière de fiscalité et la résignation des citoyens peuvent expliquer un tel phénomène. L’attitude des partis de gauche, qui croient que la progressivité sur l’impôt général sur le revenu suffit à établir la justice fiscale, fait partie de l’extra­ordinaire confusion intellectuelle qui règne en ce domaine. Le produit de l’impôt sur le revenu ne représente que 20?% des recettes du budget de l’État et moins de 7?% du total des prélèvements. Les cotisations sociales deviennent dégressives pour les revenus les plus élevés. Compte tenu des montants considérés – impôt sur le revenu (progressif) : 60 milliards, taxe sur la valeur ajoutée (égale pour tous) : 135 milliards, total des prélèvements obligatoires : 750 milliards environ?– on peut dire que plus de 85?% des impôts échappent ainsi à la progressivité (compte non tenu du fait que les «?niches fiscales?» et un recours fréquent à la fraude par paradis fiscaux interposés allègent en fait systématiquement la charge fiscale des revenus les plus élevés).

Or l’établissement de la progressivité serait aisément possible pour plusieurs impôts tels que la contribution sociale généralisée dont le produit est à peu près égal à celui de l’impôt sur le revenu (cf. à cet égard le livre de Liêm Hoang-Ngoc sur la CSG, Vive l’impôt, et celui de Piketty, Landais et Saez, Pour une révolution fiscale) et surtout la taxe sur la valeur ajoutée. Les impôts indirects sont payés par les consommateurs des produits imposés et ne peuvent être aisément répercutés sur d’autres personnes. Le produit actuel de la TVA représente 44?% des recettes de l’État et ne résulte que de l’application de trois taux : le taux particulier à 2,1?%, le taux réduit à 7?% et le taux normal à 19,6?%. L’institution d’un quatrième taux entre 30 et 33?% sur les produits de luxe serait la seule manière de faire contribuer équitablement les consommateurs de ces produits à la charge fiscale. Ce taux qui a existé (à 33,3?%) pendant une courte période en France et dans quelques autres pays européens a été abandonné sans raison valable. Et surtout un taux de TVA plus élevé sur les produits de luxe et de demi-luxe aurait un effet majeur sur la structure de la demande globale . Et il n’est sans doute pas indispensable d’être un «?grand économiste?» pour constater que c’est la structure de la demande globale qui commande l’activité économique. L’accroissement du pouvoir d’achat des plus faibles aux dépens de celui des plus riches est le seul moyen ­d’accroitre les besoins d’emploi, donc de réduire le chômage structurel. Justice et efficacité vont dans le même sens.

{{Paradis fiscaux et «?optimisation fiscale?»}}

Il n’est sans doute plus indispensable aujourd’hui d’alerter les opinions publiques au sujet des méfaits des «?paradis fiscaux?» et des pratiques de fraude et d’évasion fiscale qu’ils permettent. Les médias, réticents jusqu’ici, ont enfin commencé à fournir quelques informations sur ces sujets. Quelques scandales ont illustré ces descriptions. Il est devenu évident qu’il faut «?faire quelque chose?» à ce sujet. Les citoyens informés commencent même à savoir qu’il ne s’agit pas seulement de blanchiment d’activités criminelles –?drogue, trafic d’êtres humains, prostitution, trafics d’armes, contrebandes les plus diverses?–, mais aussi et en fait surtout de fraude fiscale et de pratiques parfaitement légales d’évasion fiscale systématique baptisée «?optimisation?». La fraude fiscale pratiquée par les particuliers ou résultant d’activités criminelles dont les montants sont dissimulés dans les paradis fiscaux sont certes importants, mais ne repré­sentent pas grand-chose en comparaison des montants ­détenus en toute légalité dans les paradis fiscaux par les ­sociétés multinationales qui pratiquent aujourd’hui l’«?optimisation fiscale?» à grande échelle. Ces entreprises utilisent à leur profit les innombrables conventions fiscales permettant d’éviter une double imposition pour arriver aujourd’hui à une non-imposition totale de leurs bénéfices. Les mécanismes utilisés sont connus et largement décrits, notamment par l’OCDE. Les montants échappant à l’impôt et détenus dans les paradis fiscaux seraient de 1?700 milliards de dollars pour les sociétés américaines. En Europe, Richard Murphy évalue à environ 860 milliards d’euros la perte de recettes fiscales due à l’«?optimisation fiscale?» et à la fraude. Il faut comparer ce chiffre au budget de l’Union européenne que les dirigeants européens sont laborieusement parvenus à proposer en fixant le plafond autorisé pour les crédits d’engagement (plafond autorisé) à 960 milliards d’euros et celui des crédits de paiements (dépenses effectives) à 908,4 milliards d’euros pour la période 2014-2020, en baisse par rapport à la période précédente.

Malheureusement, il ne suffit pas de «?s’indigner?». Il faut aussi proposer et mettre en œuvre des mesures efficaces contre la fraude et l’évasion. Or il suffirait aujourd’hui de donner à la police et à la magistrature financières les moyens de faire leur travail, et surtout de permettre aux services fiscaux de contrôler les activités des filiales à l’étranger des banques et d’autres firmes travaillant en France, pour contraindre les fraudeurs à payer ce qu’ils doivent et pour forcer les firmes qui devraient payer leurs impôts en France à renoncer aux méthodes d’évasion. Une application plus stricte et un renforcement des lois existantes entraîneraient quelques millions de crédits supplémentaires, mais rapporterait plusieurs dizaines de milliards aujourd’hui volés à l’État. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a présenté au G8 qui vient de se tenir en Irlande du Nord une feuille de route en quatre étapes vers «?un système vraiment multilatéral?» d’échange automatique, avec des avancées décisives possibles d’ici à mi-2014. Les huit grandes puissances se sont entendues pour lancer le principe d’un «?modèle commun?» de fiscalité sur les sociétés pour contraindre les multinationales (Google, Apple, Amazon…) à déclarer leurs revenus et payer leurs impôts à proportion de leur activité dans chaque pays. Elles se sont engagées à mettre en place un système global et automatique d’échange d’informations fiscales.
{{
Harmonisation fiscale et «?serpent fiscal}}?»

Le chantier de l’harmonisation fiscale, surtout en Europe, mais aussi au niveau mondial, ne devrait plus être considéré comme utopique. Les compétitions pour attirer les investisseurs et l’installation des sièges sociaux des firmes multinationales en offrant des taux plus bas d’impôt sur les bénéfices des sociétés ou en réduisant les charges sociales patronales ne sont pas des méthodes permettant une saine concurrence. En fait, elles mettent le capitalisme lui-même en danger. La coordination fiscale est recommandée aussi bien au niveau mondial par l’OCDE notamment, qu’au niveau européen, par le Parlement européen en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés (voté par 452 voix contre 172). Elle pourrait être entreprise sérieusement si l’on suivait les recommandations du Syndicat national unifié des impôts en France de créer un «?serpent fiscal européen?» en s’inspirant des méthodes utilisées dans un passé récent en matière monétaire.
{{
Retour à l’équilibre budgétaire et contrôle du crédit}}

Enfin, il est certain que les conditions dans lesquelles est exercé le pouvoir de création monétaire doivent être modifiées. En fait il ne devrait pas être en question de chercher à réduire à l’avenir le montant des déficits annuels. Ce sont les notions mêmes de déficit budgétaire et d’emprunts publics qui devraient être remises en question. Deux siècles d’histoire ont démontré que le recours aux emprunts publics et les manipulations monétaires n’ont été que des méthodes de facilité permettant de réduire en apparence les prélèvements fiscaux et de les remplacer par la réduction constante de la valeur des unités monétaires. La création et l’accroissement constant des dettes publiques n’ont en définitive profité qu’aux banquiers privés qui ont participé à l’exercice du pouvoir monétaire et en ont retiré les bénéfices, tout en orientant les investissements au profit des citoyens les plus riches. C’est pourquoi la réglementation de l’exercice du pouvoir des banques privées qui résulte des accords de Bâle du 16 décembre 2010 devrait être sérieusement renforcée. Au niveau européen, au moins pour la zone euro, l’encadrement des banques privées par la banque centrale devrait être renforcé, et la séparation des banques de crédit et des banques de dépôt imposée. Enfin, et surtout, le renoncement à la pratique des emprunts publics pour combler des déficits devrait remplacer l’objectif dérisoire proposé par la «?règle d’or?» En fait, désormais c’est la règle de l’équilibre budgétaire absolu au niveau des États qui devrait devenir l’orthodoxie officielle, l’utilisation d’emprunts publics devenant réservée au niveau fédéral européen, et éventuellement au niveau planétaire, à la condition qu’ils servent au financement de «?très grands projets communs?» conçus pour accroitre la coopération entre nations et la richesse commune.

Il est sans doute évident que les orientations ici recommandées n’ont de chances de commencer à être prises en considération que si l’opinion publique, mieux informée des relations existant entre les problèmes fondamentaux –?chômage, relance économique, niveaux de vie, inégalités?–, et méthodes de financement des fonctions des États, impose que des propositions claires sur ce sujet soient faites par la classe politique et en particulier par les partis qui se prétendent à gauche.
Il n’y a rien d’utopique à un changement de cette ampleur. D’une part parce que les mesures envisageables peuvent effectivement permettre d’établir comme règle le respect de l’équilibre des budgets , d’autre part parce que la poursuite des politiques actuelles conduit inévitablement à un tel niveau de développement du chômage structurel que, si rien n’est fait, la situation sociale en Europe, et en particulier en France, deviendra insupportable et imposera aux dirigeants qu’une réponse soit trouvée. ?

Maurice Bertrand et Jean Lyon

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