Le thème de la réforme fiscale n’a pas attendu l’élection présidentielle de 2012 pour être médiatisé, il l’est régulièrement et souvent de manière forte. Sans remonter aux débats épiques sur la mise en œuvre de l’impôt sur le revenu au début du XXe?siècle , le sujet revient fréquemment sur le devant de l’actualité et n’est pas l’apanage de la gauche, le «?paquet fiscal ?» de Nicolas Sarkozy est sans doute la dernière réforme fiscale qui revendiquait une cohérence d’ensemble, indépendamment évidemment de toute opinion sur le fond.
C’est que la notion de réforme fiscale est favorablement connotée, à gauche notamment, tant elle serait porteuse de justice, de progrès, de courage… et fermement revendiquée en ces temps de contrat social fragilisé.
Cette approche est justifiée dans la mesure où la fiscalité est au fondement de notre démocratie. Deux articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen y font directement référence, le premier précisant que la contribution indispensable pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration «?doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ?», le second affirmant que «?tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ?».
Pour autant, les travaux en matière de fiscalité sont rares et les sujets sont arbitrés sans vraiment être débattus. La retenue à la source et/ou la fusion de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée sont de bons exemples : portées par un rapport de l’Assemblée nationale , reprises par le Parti socialiste lors du congrès du Mans en 2005, inscrites dans le programme du candidat, abandonnées par le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac («?la réforme fiscale est déjà faite?») pour parvenir actuellement à un statut incertain.
Plusieurs facteurs explicatifs peuvent être esquissés pour comprendre les ratés de ce type de réforme ambitieuse.
{{1. La faiblesse programmatique des partis de gouvernement }}
les conduit à valider dans l’opposition les propositions dans l’air du temps sans mesurer toutes les conséquences de leur application et sans apprécier les résistances qu’elles ne manqueront pas de faire naître. Aucun des arguments avancés aujourd’hui pour écarter la réforme fiscale précitée n’est nouveau. Aucun effort particulier n’a été fait pour les anticiper ou les contrer.
{{2. Ceci s’explique notamment par la faiblesse de la réflexion théorique….}}
sur la fiscalité. La plupart des intervenants sont des économistes qui investissent le sujet sans finesse, proposent la variation de quelques taux ou assiettes d’imposition et passent à autre chose .
La matière fiscale est plus complexe, le comportement des contribuables aussi. Si la rationalité de l’homo economicus peut être remise en cause, que dire de celle du contribuable…
Plus de 85 % des Français sont favorables à la suppression des droits de succession alors que quelques pourcents d’entre eux seront amenés à en payer , ou pour un exemple moins attendu, 77?% des contribuables qui optent pour le prélèvement forfaitaire libératoire de leurs revenus de capitaux mobilier n’y trouvent strictement aucun intérêt financier . Les exemples seraient nombreux.
Les sciences sociales sont par ailleurs quasiment absentes du débat . Depuis Gabriel Ardant sur l’histoire ou sur la sociologie de l’impôt dans les années 60, la relève est rare.
{{3. La confusion entre les objectifs et les moyens trouble la compréhension du public.}}
Le débat fiscal est souvent technique et tourne autour de la validation ou non de solutions censées apporter les réponses attendues à un problème donné.
Le PS a ainsi proposé la fusion entre l’impôt sur le revenu et la CSG pour rendre l’imposition sur les personnes physiques plus progressive, plus “juste”. Le débat se résume alors à un pour ou contre la réforme proposée.
Or, il est tout à fait possible d’envisager une fusion IR-CSG qui rendrait le système moins progressif, et donc moins “juste”, en retenant un taux proportionnel à l’impôt ainsi fusionné.
Cette manière de poser le débat fini par masquer l’objectif premier qui était de trouver une répartition plus équitable de la charge fiscale . D’autres pistes sont possibles pour aboutir à ce résultat : en réduisant les “niches fiscales”, en modifiant le barème d’imposition, en rendant la CSG progressive…
Il en va de même pour la retenue à la source. Si l’idée trouve des partisans à gauche comme à droite (Jean-François Copé par exemple), c’est bien parce qu’il ne s’agit que d’une technique qui peut aboutir à des résultats très différents.
{{4. La capacité à anticiper les effets d’une réforme fiscale d’ampleur est très complexe
}}
Il est tentant – et sans doute très français – pour un homme politique de vouloir faire les choses en grand. L’administration est en général plus frileuse pour un motif peu avouable : elle n’est pas du tout certaine de maîtriser les conséquences de la réforme qu’elle devra mettre en œuvre.
Récemment encore, et le Gouvernement l’avait promis, les premières mesures prises pour le budget 2013 devaient accroître les seuls impôts des 10 % des contribuables dotés des plus hauts revenus et faire baisser ceux des 80 % les moins fortunés. Le gel du barème de l’impôt sur le revenu et la suppression des heures supplémentaires devaient être compensés pour les foyers percevant des revenus modestes par l’augmentation de la décote . Le calcul n’était visiblement pas bon. Ces mesures ont rendu imposables des millions de personnes…
L’exercice est par ailleurs délicat, l’effet psychologique des mesures peut être puissant, pour les aider à atteindre leur objectif (le bonus fiscal sur les voitures a été un grand succès) comme pour jouer un rôle contre-productif (les récentes hausses d’impôt n’ont pas eu les effets attendus notamment du fait de l’augmentation du taux d’épargne des classes moyennes/aisées).
En ajoutant les différents effets macro-économiques, aucun décideur ne peut être assuré des résultats de la réforme fiscale qu’il entend mettre en œuvre, avec des marges d’erreur qui se compteraient en milliards, voire en dizaines de milliards d’euros.
{{5. Sans urgence, pas de réforme}}
Dès lors, il est peu probable qu’une réforme fiscale ambitieuse soit mise en œuvre sans de fortes contraintes externes qui poussent les décideurs à accepter la marge d’incertitude propre à toute mesure de cette nature. Ce sont souvent les lendemains de guerre qui ont vu naître ces réformes de fond.
Actuellement, nos dirigeants semblent estimer que la contrainte s’éloigne avec l’espoir d’une prochaine reprise économique. Le rééquilibrage de la fiscalité des particuliers n’a pas eu l’ampleur que certain espéraient mais le renforcement de l’imposition des plus fortunés est bien réel, notamment avec une forte augmentation de la taxation des revenus de capitaux mobiliers .
Les chiffres cités par les auteurs de Pour une révolution fiscale ne seraient donc pas exactement les mêmes aujourd’hui, mais il est peut probable que le constat ait fondamentalement changé : la répartition de la charge fiscale en France devrait rester marquée par une très faible progressivité.
La matière fiscale n’est pas facile à aborder pour une personne étrangère à sa pratique. Elle est rarement prise pour ce qu’elle est, une branche du droit, et le plus souvent appréciée au travers de ces seuls effets macro-économiques.
Les attentes qu’elle génère sont fortes et les réformes proposées souvent radicales. Leurs auteurs jonglent ainsi avec des dizaines de milliards d’euros en oubliant parfois les réalités. S’il faut par exemple améliorer le dispositif de lutte contre la fraude ou l’optimisation fiscale, ce n’est pas lui qui résoudra seul les difficultés budgétaires actuelles de la France .
La question du financement est importante mais celle du choix des politiques publiques et de leurs résultats l’est tout autant. Et faire preuve de modestie en la matière ne saurait être un défaut.??
Étienne Loubradou, membre du Cercle