La grande réforme fiscale

La grande réforme fiscale
Débat

Exposé par Jean Lyon, membre du Cercle

La «?grande réforme fiscale??», bien présente dans le programme de François Hollande, candidat à la présidence de la République, paraissait un peu oubliée depuis le début du quinquennat si l’on excepte le lancement de quelques propositions vite oubliées devant les réactions des contribuables concernés .

L’annonce par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, d’une nouvelle réforme fiscale, paraît vouloir réveiller un débat jamais vraiment engagé ni très actif sur le plan théorique. Il faut rappeler la proposition de Messieurs Picketty, Landais et Saez qui envisageait la fusion de l’IRPP et de la CSG et le prélèvement à la source de ce nouvel impôt qui serait ainsi redevenu réellement progressif. Malheu­reusement, cette réforme ne peut être considérée comme une réelle réforme fiscale, car elle ne concerne qu’une petite partie des recettes de l’État sans indiquer comment réduire le déficit abyssal des finances publiques et financer le remboursement de la dette de la France. Il faut rappeler ici que la France n’a pas présenté un budget en équilibre depuis plus de quarante ans et que la dette de la France, toutes administrations confondues, atteint aujourd’hui environ 2?000 milliards d’euros dont le service représente le 2e poste de dépense après l’éducation nationale pour un montant de 50 milliards d’euros sans que jamais le capital ne soit remboursé, ce qui en terme de comptabilité s’appelle de la cavalerie . La situation est pratiquement la même dans tous les pays occidentaux, dont l’Allemagne avec une dette de 2?100 milliards d’euros, 2?000 milliards d’euros en Italie. Ces montants représentent en moyenne 90 % du PIB dans l’Union européenne pour atteindre 115 % aux États-Unis et 220 % du PIB au Japon.

La mise en place de 84 impôts nouveaux sous les présidences de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande a certes permis de diminuer le déficit du budget pour le ramener de 147 en 2009 à 70 milliards d’euros en 2012, mais pas de réduire le montant de la dette de l’État qui n’a cessé de croître. Par contre cette avalanche de nouveaux impôts – taxe sur les corps gras alimentaires, taxe sur les boissons contenant des édulcorants, taxe sur les boissons sucrées, etc. – contribue à :

– la hausse continue des prélèvements obligatoires,

– complexifier le système fiscal français,

– renforcer le sentiment des Français qu’ils paient trop d’impôts

– créer une forte instabilité fiscale néfaste à l’économie, certaines lois étant même rétroactives,

N’apporte pas de réponse à?:

– l’augmentation de la dette,

– l’augmentation du chômage et l’absence de reprise économique,

– l’augmentation de la pauvreté – en 2011 la France comptait 8,7 millions de pauvres si l’on utilise le seuil de 60?% du revenu médian, soit 977 euros/mois pour une personne seule.

Devant cette situation complexe et apparemment sans solution, Maurice Bertrand et moi-même avons voulu montrer qu’il est indispensable d’initier une large réflexion si l’on veut vraiment sortir de cette impasse.

Après avoir défini les termes employés : dette, prélèvements obligatoires, impôts, etc., il nous a fallu d’abord trouver les chiffres pour étayer notre propos. Cette recherche nous a conduits à constater une difficulté majeure?; les chiffres se contredisent largement selon leur source. Par exemple, le total des prélèvements obligatoires s’élèverait à 46?% du PIB en 2012 selon Eurostat ou l’OCDE, mais à 52?% si on l’estime sur le ratio «?dépense de l’État?» par rapport au PIB 2012. Tous les chiffres concernant les comptes de l’État sont variables selon les sources qui sont nombreuses, mais souvent se contredisent ou se justifient l’une l’autre.
Nous avons ensuite développé une partie historique qui fait le point sur l’évolution et le rôle de la fiscalité pour montrer que :

– Le déficit budgétaire est une constante dans l’histoire de France au moins depuis la Révolution.

– La dette n’a été annulée que par les guerres, le défaut de paiement de l’État et surtout l’inflation qui érode le capital des rentiers.

– Les impôts n’ont jamais été populaires, mais qu’il est inconcevable d’imaginer un État sans impôts donc sans services publics.

– Les réformes importantes prennent toujours du temps .

– Tout système de financement des services publics, surtout s’il concerne un ordre de grandeur de 50?% du PIB, exerce un effet majeur sur la structure sociale, c’est-à-dire sur la distribution des revenus et du capital.

Il ne suffit pas de décrire le problème, encore faut-il montrer que des solutions existent et sont applicables si l’on dispose d’une réelle volonté politique. Nous proposons cinq axes de réflexion.

Une véritable lutte contre la fraude fiscale en général et l’optimisation fiscale des grandes multinationales qui arrivent ainsi à des taux d’impôt sur les sociétés (IS) ridicules, souvent inférieurs à 2?% de leurs bénéfices, en mettant en œuvre des méthodes parfaitement connues et décrites dans de très nombreux rapports écrits par d’innombrables organisations nationales et internationales . Certains organismes évaluent la perte de recettes fiscales à 1?000 milliards d’euros par an pour l’Union européenne. Cette lutte ne pourra être efficace que si et seulement si l’harmonisation fiscale est initiée en Europe?; il est possible d’envisager la création d’un serpent fiscal européen suggéré par le Syndicat national unifié des impôts selon la méthode utilisée en matière monétaire et la création d’un impôt européen sur le chiffre d’affaires qui procurerait des ressources supplémentaires à l’Union européenne.
Une réforme structurelle des droits de succession, car, contrairement à la croyance populaire, les successions sont peu taxées en France et permettent la transmission et donc la pérennité du pouvoir économique. On pourrait envisager une redistribution du capital des successions à partir d’un certain niveau à définir comme le suggèrent Bill Gates ou Warren Buffett.
De rares auteurs démontrent aujourd’hui que la TVA est un impôt régressif c’est-à-dire qu’en proportion de leurs revenus, les Français les plus modestes paient une TVA deux fois plus importante que les 10 % des Français les plus riches . Nous envisageons la création d’un taux de 33?% sur les produits de grand luxe qui permettraient de baisser le taux sur les produits de première nécessité et dans une certaine mesure de structurer la demande tout en augmentant les recettes fiscales.

Il faut réformer le rôle de la Banque centrale européenne (BCE), dont la seule mission statutaire est le contrôle de l’inflation, et rendre à l’État, ou aux fédérations d’États comme l’Union européenne, le pouvoir de création monétaire, trop abandonné aujourd’hui aux banquiers privés, et par conséquent mettre au point une législation nationale ou européenne plus contraignante que celle résultant des accords de Bâle. Le rôle du crédit doit être repensé pour être remis au service de l’activité économique et non pas utilisé pour la création à répétition de «?bulles?» qui finissent toujours pas éclater en crises financières.
Il est indispensable de définir pour l’avenir un système de financement des services publics entièrement nouveau. Les gouvernements devraient désormais s’interdire de recourir à l’emprunt pour couvrir les dépenses courantes. Le principe de l’équilibre budgétaire devrait désormais être respecté, et le recours à l’emprunt strictement limité au financement d’activités rentables à moyen terme ou de «?très grands projets communs?». Il faut en finir avec cette valse-hésitation entre déficits et périodes d’austérité qui a conduit à l’accroissement indéfini de la dette publique et aux dix-huit dévaluations de la monnaie nationale qui ont marqué le XXe siècle français.

Une transformation de l’importance de celle qui est préconisée dans notre livre Les Secrets de l’impôt ne pourra s’effectuer rapidement. L’essentiel reste donc l’ouverture d’un large débat sur ces problèmes en gardant l’espoir que l’aggravation de la crise ne provoque pas de catastrophes dramatiques avant que ce débat ne commence à porter des fruits. ?
Jean Lyon, membre du Cercle

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