Des nouvelles ressources financières pour l’Etat

Jean LYON

Le titre du papier introductif – Pour une refondation de la Gauche – nous amènera inévitablement à explorer de nombreuses pistes pour arriver à proposer un projet de société crédible et susceptible d’entraîner l’adhésion d’un nombre important de citoyens. Mais quelle que soit la direction dans laquelle nous entraînera cette réflexion et les solutions que nous serons amenés à proposer pour aller vers cette société plus humaine et plus juste, il nous faudra absolument aborder le problème de son financement au risque de n’être pas crédible. La répartition des richesses est un problème de société incontournable. Il nous appartiendra de proposer des pistes crédibles pour financer ces nouvelles orientations. Les partis politiques de droite comme de gauche proposent des « réformes » diverses et variées sans jamais aborder le financement de ces réformes indispensables. Les pistes à explorer sont nombreuses et n’ont pas été étudiées sérieusement à ce jour. Peut-on diminuer les crédits militaires, une réforme fiscale est-elle envisageable, pourquoi ne pas appliquer une TVA différenciée selon la nature des produits à laquelle elle s’applique : produits de luxe ou produits de première nécessité, peut-on engager une véritable guerre contre la corruption sous toutes ses formes, contre les paradis fiscaux et le secret bancaire. Toutes ces pistes doivent être explorées.

Le manque de ressources financières est un des leitmotivs du discours politique, dans tous les pays et dans tous les partis. Il n’est pas possible de trouver plus d’argent pour la recherche, pour l’enseignement, pour les chômeurs, pour la santé, pour l’aménagement des banlieues, pour l’aide aux pays pauvres, pour rémunérer correctement les fonctionnaires, pour aider les agriculteurs ou les marins pêcheurs, pour répondre de façon plus générale à tous les besoins auxquels l’État est supposé pouvoir apporter une réponse. La raison évidente de cette situation est que les ressources publiques proviennent des impôts et que chacun sait ou pense que les impôts sont déjà trop lourds. Aucune fiscalité n’est populaire, ni les impôts directs qui réduisent les revenus des particuliers, ni les taxes indirectes qui augmentent les prix des marchandises, ni les prélèvements sur les salaires qui accroissent le coût de la main-d’œuvre. Les hommes politiques qui veulent être soutenus par l’opinion publique et réélus doivent toujours promettre de « baisser les impôts ». Notre Président avait fait de ce sujet une de ses nombreuses promesses électorales : ramener le taux des prélèvements obligatoires au niveau de la moyenne européenne soit une baisse de 4 points. Selon les dernières informations, il serait sur le point d’y renoncer : les caisses sont vides (leitmotiv). L’opposition met en demeure le gouvernement en place de faire plus pour les catégories les plus défavorisées : augmenter les petites retraites, les aides sociales, le Smic et les petits salaires des fonctionnaires, etc. sans jamais préciser comment elle finance ces nouvelles dépenses proposées à un état en « faillite » selon notre premier ministre actuel. Ce petit jeu « promesses demandes » même s’il inverse les catégories sociales auxquelles il s’adresse selon la couleur du gouvernement et de l’opposition reste toujours applicable.

Cette contradiction fondamentale est résolue tant bien que mal par des politiques dites « d’austérité ». Cela fait sérieux. Le gouvernement en place s’attaque à la « gabegie » financière, on « dégraisse » des administrations réputées toujours pléthoriques, on fait la « chasse aux abus » de tous ordres, on s’efforce de réduire les déficits budgétaires et sociaux qui demeurent en constante augmentation. On les transfère simplement sur les générations futures en leur transmettant des dettes publiques toujours plus importantes. Il n’y a guère que les crédits militaires – parce que l’on croit qu’ils garantissent la sécurité et l’honneur de la nation -, qui sont épargnés par cette chasse aux dépenses publiques. Il faut montrer que l’on sait manier la hache avec détermination au nom de l’efficacité. Ceci n’empêche pas de répondre de façon positive aux revendications de toutes les catégories sociales qui attendent l’aide de l’État, et de faire à tous des promesses qui ne seront pas tenues et pourront ainsi être reformulées lors des prochaines élections.

Cette hypocrisie semble inévitable. Elle est la seule réponse qui paraisse possible au problème insoluble qui consiste à donner plus et à recevoir moins. Les électeurs ne sont pas dupes. Les promesses leur font toujours plaisir, même s’ils n’y croient guère. Et les économies faites sur les dépenses de l’État leur paraissent toujours bonnes à prendre, surtout lorsqu’elles s’adressent à un autre groupe social que celui auquel ils appartiennent. On s’accoutume ainsi à cette comédie politicienne. Les idées nouvelles sur ce sujet difficile sont aussi toujours accueillies avec intérêt et condescendance, même si elles paraissent un peu utopiques. L’idée d’une taxe internationale sur les mouvements de capitaux, ou d’autres taxes du même genre, qui seraient prélevées sur une richesse considérable et anonyme séduit ainsi les uns, tout en faisant sourire ceux qui croient connaître les problèmes bancaires et financiers.

Le vol organisé de la richesse des peuples

Communiqué de la Banque Mondiale le 8 avril 2004 :

« Le montant des pots-de-vin payés dans le monde chaque année s’élève à 1 000 milliards de US$ (mille milliards ! ce n’est pas une erreur de frappe) ». Ce chiffre est fourni par Daniel Kaufmann, directeur du groupe de recherche sur la gouvernance à la Banque Mondiale, il poursuit : « Ce problème ne concerne pas uniquement les pays en voie de développement. Nous avons calculé ce montant à partir des données économiques de la période 2001-2002 et il faut le comparer au montant de l’économie mondiale pour la même période qui s’élève à 30 000 milliards de US$. Nous n’avons pas pris en compte dans ce chiffre de 1 000 milliards de US$ les détournements de fonds publics et le vol des actifs nationaux ».

Australian Broadcasting Corporation le 14 mai 2004

« Un sénateur américain, Richard Lugar président de la commission des relations étrangères du Sénat Américain, vient de déclarer que des sommes énormes auraient été détournées lors de projets financés par la Banque Mondiale en faveur des pays en voie de développement. Ces détournements atteindraient la somme de 100 milliards US$. Le Porte-parole de la Banque Mondiale, Damian Milverton a rejeté ces accusations, le Secrétaire Général Kofi Annan a annoncé l’ouverture d’une enquête interne. »

Le Figaro, le 21 mai 2004

« La police brésilienne a démantelé un réseau de trafic de médicaments pour hémophiles et arrêté quatorze personnes dont un proche collaborateur du Ministre de la Santé. Selon une estimation préliminaire 625 millions d’euros auraient été détournés. »

FIDH, rapport sur le Congo du 19 mai 2004

Le pétrole représente la principale ressource du Congo Brazzaville (80 % des recettes du budget 2002). L’enquête menée par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme dénonce le scandale de la rente pétrolière qui abouti à l’enrichissement de quelques-uns au détriment des plus pauvres et fait de ce pays un des plus pauvres et endettés du monde.

Libération, le 14 mai 2004 et le Figaro le 18 avril 2008

« La Russie comptait en 2004 36 milliardaires en dollars US dont la fortune équivaut à 24 % du produit intérieur brut du pays (PIB) selon le classement réalisé par l’édition russe du magazine américain Forbes, en comparaison la fortune des 277 milliardaires américains représente 6 % du PIB du pays. » La démographie des milliardaires galope en Russie à la vitesse du prix des métaux. En un an, leur nombre est passé de 60 à 110, selon un classement publié hier par l’édition russe du magazine Forbes. Ce classement confirme, en l’amplifiant, celui publié en mars dernier par la version américaine du magazine. Dix-sept ans après la fin du système soviétique, la Russie s’impose comme la deuxième patrie des très grandes fortunes mon­diales, derrière les États-Unis et devant l’Allemagne.

Les Échos, le 21 février 2007

« La fraude fiscale et sociale en France atteint 29 à 40 milliards euros selon le Conseil des Prélèvements Obligatoires. » La fraude fiscale représenterait de 5 à 25% des recettes fiscales potentielles dans les pays développés et de 30 à 40% dans les pays moins développés (1). Ces chiffres se passent de commentaires.

Trafic d’armes : violation d’embargo, vente aux guérillas et réseaux terroristes

Le secteur des ventes d’armes est l’un des premiers secteurs mondiaux par son volume d’activité, avec un chiffre d’affaires annuel d’environ 800 milliards US$. Les pays industrialisés du Groupe des Huit (G8) qui représentent à eux seuls près de 90 % des ventes d’armes, sont, cependant, le point de départ d’une grande partie du trafic d’armes, qui selon certaines estimations, pèse la moitié de tous les transferts d’armes effectués dans le monde (2). Selon les estimations d’un magistrat instructeur du dossier ELF, en considérant le montant annuel des exportations d’armes de la France au cours de la seule décennie passée et en appliquant à celui-ci un taux moyen de 20 % de commissions, ce serait près de 10 milliards € de pots-de-vin qui auraient été versés par des entreprises françaises pour l’obtention de marchés d’armement à l’étranger au cours de la période 1991-1999 (3).

Trafic de drogue : 500 à 750 milliards US$ (4)

Trafic des êtres humains, 20 milliards US$ et proxénétisme, 8 milliards US$ (5) :

Le trafic de clandestins est estimé à quatre millions de personnes par an dans le monde dont environ un million d’entre elles à des fins d’exploitation dans l’industrie du sexe que l’on peut qualifier de forme moderne de la traite d’esclaves. Certains groupes se tournent actuellement vers le trafic d’êtres humains de préférence à celui des stupéfiants car il semblerait qu’il y ait davantage de profits à faire et moins de risques.

Trafic de produits interdits par des Conventions Internationales : ivoire, espèces protégées : ?

Objets d’art et Antiquités : 6 milliards US$ (6)

Contrebande : tabac, alcool… : représenterait jusqu’à 15 % de la consommation dans l’UE (7)

Achevée en juillet 2000, une enquête menée pendant deux ans par l’unité anti-fraude de l’Union européenne a révélé que, chaque année, un à deux milliards d’euros de recettes en droits de douanes sont perdus du fait de la contrebande de cigarettes. Selon certains experts, un tiers des exportations mondiales annuelles de cigarette finit sur le marché noir.

Contrefaçon : 450 milliards US$ (8):

Parmi les produits le plus souvent contrefaits, on peut citer les disques compacts, les logiciels et le matériel informatiques, les pièces détachées, les médicaments, les cigarettes et les produits de luxe des grandes marques. Une usine de fabrication de cigarette Marlboro vient d’être démantelée en Pologne. L’OMS estime que environ 6 % des médicaments vendus dans le monde sont des produits contrefaits souvent de mauvaise qualité voir même totalement inefficaces.

Quel est le point commun entre tous ces exemples ?
Il s’agit de montants soustraits des circuits financiers normaux en passant par les Paradis Fiscaux pour échapper à l’impôt !

Les personnes qui se procurent de l’argent par des opérations illicites, délictueuses ou criminelles veulent bien sur pouvoir l’utiliser réellement. Analyser le blanchiment, c’est analyser comment l’argent de la fraude fiscale, de la corruption, tiré d’actes criminels, des extorsions de fonds, des escroqueries, des délits d’initiés, des ventes illégales d’armes, des contrebandes, des trafics de stupéfiants, des réseaux de prostitution va pouvoir apparaître au grand jour sans que son origine criminelle puisse être identifiée. La nécessité de blanchir les produits du crime a rapproché la criminalité organisée des systèmes et marchés financiers internationaux. La complexité croissante de la finance leur a ouvert de nouvelles perspectives. Selon certaines estimations, plus de la moitié du stock mondial de monnaie transite par des centres offshore. Quelques 20 % des avoirs privés totaux et environ 22 % des actifs externes des banques y sont investis (9). Si les estimations du FMI sont correctes, les bénéfices financiers mondiaux annuels tirés d’activités criminelles s’élèveraient à 500 milliards US$ soit environ 1 % du PIB mondial. On distingue généralement trois phases successives pour blanchir des capitaux : le prélavage ou placement, le lavage ou empilement et le recyclage ou intégration. Le GAFI et le FLI estiment entre 1 000 et 1 500 milliards US$ le montant annuel des fonds blanchis. Il reste très difficile de chiffrer précisément ces montants car les transactions à l’origine de ces fonds sont par nature tenues secrètes. Il faut préciser que dans certains OFC, le fait de divulguer des informations sur les transactions d’un client expose à des poursuites juridiques.

La corruption ne se limite pas aux commissions occultes sur marchés publics ou aux détournements de pouvoir et de deniers publics grâce à la complicité entre un corrupteur et un corrompu ; il faut inclure dans le phénomène ainsi désigné toutes les violations de la loi ou de la morale qui entraînent les détournements de fonds publics ou privés au profit d’accapareurs de la richesse commune : fraude fiscale, fraude aux assurances, travail clandestin, délits d’initiés, trucage de bilans, utilisation de fausses factures, abus de position dominante, diffusion de fausses informations, infractions contre l’environnement, contrebande, contrefaçons, blanchiment « d’argent sale », trafic de drogue, etc. Toutes ces pratiques ne sont pas illégales (cela dépend des législations nationales), mais elles sont toutes contraires à la morale commune. Il est fondamental de noter que plusieurs de ces pratiques, fraude fiscale, délits d’initiés aidant les spéculations boursières, lobbying, tromperies sur la marchandise, présentations avantageuses de bilans, commissions occultes sur marchés sont extrêmement répandues et très généralement peu ou non réprimées.
Les milieux d’affaires considèrent souvent ces pratiques comme un lubrifiant indispensable à la bonne marche de l’économie et les classes moyennes comme le moyen légitime de défendre leurs patrimoines. Et finalement il y a imbrication entre les institutions de protection des pratiques les plus répandues et les moins réprimées, (comme les paradis fiscaux, les aides à l’exportation ou la sacralisation du « secret bancaire ») et les crimes tels que le trafic de drogue ou le blanchiment de fonds appartenant à des criminels.

Aucun domaine de l’activité humaine n’est épargné par ce fléau.

L’impôt est nécessaire au fonctionnement de l’État. Il faut donc des ressources et les besoins étant de plus en plus importants il est nécessaire de trouver des ressources supplémentaires pour répondre aux aspirations des citoyens de France, d’Europe et du monde entier.
Ces ressources existent car il existe une piste qui n’a pas ou peu été ni exploitée ni explorée autrement que par le biais de bonnes intentions jamais suivies d’effets et d’études nombreuses : la lutte contre la fraude, la corruption et la délinquance financière et in fine la suppression des Paradis Fiscaux.
La recherche pourra donc proposer deux axes de réflexion :
– les nouvelles orientations budgétaires souhaitables
– les nouveaux moyens financiers

1 – Rapport du Conseil de l’Europe du 6 avril 2001 ; Commission des questions économiques et du développement
2 – Rapport du Conseil de l’Europe du 6 avril 2001 ; Commission des questions économiques et du développement
3 – Eva Joly, Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ?, Paris Les Arénes, 2003, page 273.
4 -Rapport du Conseil de l’Europe du 6 avril 2001 ; Commission des questions économiques et du développement
5 -Organisation International des Migrations
6 – Rapport du Conseil de l’Europe du 6 avril 2001 ; Commission des questions économiques et du développement
7 -Rapport du Conseil de l’Europe du 6 avril 2001 ; Commission des questions économiques et du développement
8 -FMI
9- Rapport du Conseil de l’Europe du 6 avril 2001 ; Commission des questions économiques et du développement

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