REFLEXIONS SUR L’AVENIR DE LA PLANET

Rarement l’humanité s’est trouvée confrontée à une semblable accélération de l’histoire provoquée par la conjonction de crises et de bouleversements touchant tous les équilibres géopolitiques et sociétaux : il s’agit d’une véritable rupture puisque sont concernés simultanément les ressources de la planète, le climat, la politique, l’économie, les questions sociales et la culture. Cette note se propose de dresser un état des lieux, sans que toutefois des réponses aux questions soulevées soient toujours apportées.

– Crise de la démographie d’abord, associée à une crise alimentaire : avec 6 milliards d’habitants actuellement notre planète peine à en nourrir une bonne partie. Et les progrès escomptés dans les pratiques agricoles ne permettront certainement pas de faire face aux besoins d’une population qui devrait inexorablement atteindre les 9 milliards dans quarante ans. Seront exacerbées les difficultés créées par l’accroissement des mégalopoles qui se transforment trop souvent en vastes bidonvilles, l’exode des paysans étant appelé à s’amplifier, sans même parler des populations qui devront abandonner les zones littorales envahies par la montée des eaux. La révolution verte qui a permis dans les décennies précédentes de satisfaire les besoins alimentaires d’une partie importante des populations du sud-est asiatique a maintenant atteint ses limites, tout en laissant l’Afrique de côté. La conquête de nouveaux espaces pour l’agriculture et l’amélioration des rendements agricoles, tout en pratiquant des méthodes plus respectueuses de l’environnement, ne suffiront malheureusement pas à nourrir ce surcroît de population, et tant s’en faut. Il en résultera des conflits pour l’accès aux terres, des migrations importantes de populations vers d’hypothétiques eldorados, et probablement des famines localement comme ce fut le cas déjà dans le passé. Les OGM devraient apporter une petite contribution mais à condition de les utiliser de manière très sélective. Face à ce problème la substitution aux cultures vivrières de plantes pour les agrocarburants constitue une grave erreur d’autant que ces derniers n’atténueront pas la croissance de l’effet de serre.
Potentiellement la planète pourrait pourtant nourrir tout ce monde, même sans trop détruire les forêts tropicales, à condition de réaliser enfin une véritable distribution des terres au profit des paysans, de les former aux méthodes rationnelles de culture, de les aider financièrement à acquérir quelques équipements de base, et de lutter contre les gâchis, les pertes de produits et contre la corruption. Ainsi les paysans seraient fixés sur leurs terres et pourraient en vivre décemment. Mais il s’agit là probablement d’un vœu pieux.

– Les ressources naturelles de la planète s’épuisent : en quelques deux siècles les hommes auront consommé les ressources énergétiques fossiles (hydrocarbures et charbon dans une moindre mesure) que la Terre avait mis plusieurs centaines de millions d’années à constituer, et les solutions alternatives de remplacement ne sont pas disponibles aujourd’hui. Et rien n’empêchera les pays actuellement en développement de tirer parti des ressources restantes pour assurer leur croissance. Les Etats-Unis et la Chine qui absorbent à eux deux la moitié de la production mondiale de pétrole vont nécessairement entrer en conflit pour accéder partout dans le monde aux gisements leur permettant de satisfaire leurs besoins ; des alliances stratégiques entre la Chine et des pays producteurs hostiles aux USA ont déjà été nouées, susceptibles de générer de fortes tensions. A défaut de changer rapidement notre mode de consommation et de civilisation, ce qui relève encore de l’utopie, l’humanité s’expose à une pénurie dramatique.
Il en sera de même à plus long terme pour les matières premières et les minerais nécessaires au fonctionnement de l’économie. En schématisant on peut dire que la population de la Terre a crû en un demi-siècle de 3 milliards d’habitants, dont un petit milliard avait accès aux ressources naturelles et profitait d’une relative aisance, à 6 milliards maintenant dont moins de 2 milliards ont accès à ces ressources, et qu’elle devrait passer en moins d’un demi-siècle à 9 milliards dont plus de 3 milliards espèrent accéder à ces ressources et à cette aisance. Les innovations de la technologie, favorisées par le capitalisme, qui ont permis dans le passé de valoriser ces richesses naturelles, au demeurant sans guère se soucier des dégâts écologiques qu’elles généraient, risquent dorénavant de buter sur l’épuisement desdites ressources.
La situation des ressources en eau potable n’est guère plus reluisante. D’abord elle très inégalement répartie : un américain en consomme en moyenne 5000 m3 par an et les pays du sud dix fois moins, et il s’agit dans ce dernier cas d’une eau souvent impropre à la consommation. Ensuite, du fait des soutirages excessifs pour l’irrigation des cultures, de la pollution des rivières par les activités humaines et des gaspillages, et de l’aggravation des sécheresses dans les zones intertropicales et méditerranéennes, cette ressource se fait rare et commence à manquer localement. On s’achemine vers de graves crises, des épidémies, et des conflits pour le partage des eaux entre Etats (sont concernés en particulier le Jourdain, le Nil, l’Euphrate, et le Mekong). Ce problème risque d’être l’un des plus graves au vingt et unième siècle.

– La conséquence de cette surconsommation est une dégradation de l’environnement, entraînant pollution, réduction de la biodiversité avec disparition de certaines espèces. Plus particulièrement le changement climatique lié à l’augmentation des gaz à effet de serre d’origine anthropique est maintenant bien établi. Il se manifeste par l’aggravation des phénomènes météorologiques extrêmes tels que sécheresse, canicule, inondations, tornades, par la montée du niveau des océans avec immersion des basses terres littorales, et par des désertifications localement avec déplacement de populations. La Terre a déjà connu dans le passé de nombreux changements climatiques mais jamais aussi rapides (en quelques millénaires et non pas comme maintenant en quelques décennies), et les conséquences sur les populations alors infiniment moins nombreuses étaient donc bien moindres. Rien malheureusement ne viendra arrêter dans les prochaines décennies l’augmentation de température liée aux gaz à effet de serre à cause de l’inertie de la machine climatique terrestre et surtout à cause de la croissance continue de la consommation de combustibles fossiles, en particulier de charbon par la Chine et l’Inde qui disposent de réserves importantes. Même si les pays développés s’accordaient pour réduire réellement leur consommation, rien ne freinera les émissions des pays en développement qui souhaitent légitimement rattraper leur retard. La part des énergies alternatives (hydraulique, solaire, végétaux, nucléaire et autres énergies propres) dans le bilan total restera longtemps faible, et les quantités de CO2 libérées dans l’atmosphère vont inexorablement continuer de croître. La séquestration de ce gaz dans des couches souterraines, souvent évoquée comme solution à ce problème, ne pourra concerner que des quantités très limitées (il y a peu de sites adéquats et le coût de ces rejets est très élevé). Il s’agit donc là d’une autre grave menace pour la planète : un changement dans les modes de consommation s’installera nécessairement, mais il arrivera probablement trop tard.

– Croissance des inégalités : bien que le PIB de la plupart des pays s’accroisse, de même que la proportion d’habitants accédant au statut de classe moyenne avec un revenu leur permettant de vivre décemment, il subsiste d’après les dernières données de la Banque Mondiale 23% de pauvres, et surtout les deux extrêmes du spectre des revenus se dilatent fortement. Il y a de plus en plus de riches et même de très riches, certains ayant réussi à constituer une fortune colossale, face à de nombreux individus en situation de misère au sein d’un même pays. Le ratio des revenus des extrêmes ne cesse d’augmenter. De même les inégalités entre pays riches et pays pauvres n’ont jamais été aussi fortes : des îlots de grande richesse dans un monde de misère. Le libéralisme débridé qui du fait de la mondialisation a sévi dans tous les pays est largement responsable de cette situation. La pire des inégalités est celle devant la mort et la maladie : l’espérance de vie est directement proportionnelle au statut social des individus, et en Afrique elle est inférieure de trente ans en moyenne à celle des pays développés ; 90% des malades du sida sont africains alors que 95% des fonds de lutte contre ce fléau vont aux pays riches. Le commerce d’organes humains provenant des pays du sud pour des greffes dans les pays riches est particulièrement révoltant.

– La situation économique de la plupart des pays occidentaux se dégrade par suite de la prédation du capitalisme financier sur les entreprises. La recherche effrénée du profit maximum à court terme, pour le plus grand bénéfice des actionnaires, conduit à resserrer au maximum les salaires et les charges sociales, à reduire les investissement qui sont nécessaires pour pérenniser les entreprises sur le long terme et à délocaliser les activités vers les pays les moins disants en termes de salaires et de droits du travail. Cette délocalisation s’est effectuée en cascade d’abord vers le Maghreb et la Turquie, puis vers la Chine et l’Inde, et elle se poursuit vers le Vietnam…toujours à la recherche des salariés les moins exigeants. Toutefois, alors que nous, occidentaux, pleurons nos emplois perdus, une frange importante des peuples du Sud voient leur niveau de vie s’améliorer. La puissance des firmes multinationales ne cesse de se renforcer cependant que le rôle régulateur des Etats s’affaiblit, ces derniers devant prendre en charge la casse sociale générée par ce capitalisme.
Jamais la spéculation financière n’a été aussi intense, favorisée par la libre circulation des capitaux et par les nouvelles technologies de communication qui permettent d’exécuter instantanément les transactions partout dans le monde. Elle porte sur le taux de change des monnaies, sur les matières premières, sur l’immobilier, sur les entreprises, générant par dessus la tête des Etats des flux de capitaux plusieurs centaines de fois supérieurs à ceux correspondant à l’économie réelle. Il en résulte de graves perturbations dans le fonctionnement de cette dernière, exacerbant le chômage, les faillites d’entreprises et …l’enrichissement des plus fortunés.

– Autre bouleversement mondial, l’extrême croissance de pays en développement comme la Chine, l’Inde, le Brésil dans une moindre mesure, et le retour de la Russie, entraînant au plan des équilibres géopolitiques mondiaux un déclin relatif des pays occidentaux, Europe et Etats-Unis, dont la domination politique, économique et culturelle s’est exercée sur le monde depuis la Renaissance. En termes de PIB la Chine aura bientôt rejoint les USA. Dans le cas de l’Europe ce déclin s’accompagne d’une chute importante de la démographie qui devrait entraîner des arrivées importantes de migrants des pays du sud. En dehors du Japon et de la Russie, l’Europe est le seul continent à connaître pareil déclin de population. La souveraineté de l’occident s’efface au profit de pays qui ont connu l’humiliation de la colonisation et qui ont le sentiment de prendre maintenant leur revanche, le cas de la Chine étant exemplaire à cet égard. La gouvernance du monde va en être profondément modifiée et les grandes institutions comme le G8, le Conseil de Sécurité ou le FMI devront s’adapter.

– Les valeurs culturelles enfin connaissent une véritable mutation depuis les années cinquante. Tous les peuples, y compris ceux qui sont le plus hostiles aux USA, rêvent d’adopter les mœurs américaines, de vivre et de consommer dans le présent en s’endettant. Le poids des média est devenu écrasant qui diffusent partout la vulgate dominante, ainsi que celui de la publicité qui par ses matraquages incessants infantilise la société et la pousse à consommer des gadgets inutiles en entretenant cette civilisation du jetable. L’essentiel (à savoir l’alimentation, la santé et l’éducation) est sacrifié au profit de l’accessoire (les nouveautés du monde de la communication et de l’informatique, les voyages exotiques, entre autres). Il y a uniformisation des modes de vie et nivellement par le bas. Le sens de l’histoire et la recherche d’idéaux s’estompent. La société perd sa mémoire vivante et sa conscience historique. Après l’effondrement du communisme les rêves de monde meilleur se limitent au mieux à donner au capitalisme un visage moins inhumain. Le monde marchand, le monde de l’argent ont tout envahi et repoussé d’autant la vie spirituelle. La culture est devenue une marchandise comme les autres : les exportations de films et de disques américains constituent la principale rentrée financière de ce pays et lui permettent d’imposer ainsi ses valeurs au reste du monde. La consommation croissante de drogues et d’alcool de la part d’une frange importante de la population n’arrange pas la situation. Les rares réactions à cette uniformisation proviennent de courants religieux plus ou moins intégristes qui au nom du rejet des valeurs dominantes adoptent des positions extrêmes conduisant dans certains cas au terrorisme.
On note une incapacité de l’homme moderne à résister au vide des loisirs et de la TV pilotée par l’audimat et la publicité. Les concerts de musique dite sérieuse n’intéressent plus les jeunes qui se détournent aussi des sciences et des techniques : ils sont davantage attirés par les carrières commerciales, financières ou de communication. Au nom de la modernité et de l’originalité, la création se détourne trop souvent du beau, et la vulgarité domine . La critique est anesthésiée, elle a le culte de l’avant-garde, et trop de soi-disants créateurs se contorsionnent pour inventer du nouveau et épater le public. L’art contemporain suscite plus d’incompréhension que d’émotion : la beauté défigurée par la modernité. Est-ce la conséquence de la démocratisation culturelle et de la perte de la notion de sacré ?
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– Ce bilan, bien noir, serait incomplet s’il n’était pas balancé par des éléments d’évolution favorable
et il y en a heureusement de nombreux :

– La transition démographique est bien engagée, le taux de fécondité des femmes des pays en développement décroît, et au milieu de ce siècle la population mondiale devrait se stabiliser, voire commencer de décroître (elle aura quand même atteint 9 milliards d’habitants).
– De nombreuses couches de population mangent dorénavant à leur faim, même si comme indiqué ci-avant la pauvreté reste très importante : le PIB mondial a fortement crû mais les richesses créées sont plus que jamais inégalement réparties. Des initiatives positives ont vu le jour pour aider les plus pauvres à sortir de la misère, en particulier de nombreuses ONG et des banques de microcrédit (attention aux récupérations par certaines banques capitalistes qui prêtent à des taux usuraires et/ou qui demandent des garanties disproportionnées).
– Le rôle croissant joué dans nos sociétés contemporaines par les femmes qui s’affranchissent de la tutelle des hommes est un facteur de progrès, surtout dans les pays du tiers-monde : ce sont elles qui assurent l’éducation des nouvelles générations en leur transmettant des valeurs de liberté et de respect d’autrui, et en général elles gèrent leur foyer avec beaucoup de pragmatisme.
– Les progrès de la médecine, de l’hygiène et de l’alimentation ont permis d’allonger considérablement l’espérance de vie dans les pays développés et l’on peut espérer qu’ils pénétreront progressivement dans le reste du monde.
– Le tissu associatif qui s’est développé en réaction à l’individualisme ambiant n’a jamais été aussi actif et plus généralement la société civile essaie de pallier les déficiences des services publics.
– Les peuples ont partout pris conscience de la vulnérabilité de la Terre et de la nécessité de protéger l’environnement, même si les actes restent encore très en retrait des intentions.
– Dans de nombreux pays les dictatures reculent, que ce soit en Europe de l’est, en Amérique du sud, en Asie du sud-est et dans certaines parties de l’Afrique, et s’installent des démocraties qui, bien qu’imparfaites, n’en constituent pas moins un progrès important.
– Les grands conflits militaires comme ceux que le vingtième siècle a connus ont disparu, ce qui n’exclut nullement une recrudescence de la violence (organisations criminelles et groupes terroristes) ni des conflits locaux interethniques ou territoriaux. Plusieurs de ces derniers pourraient être réglés si le dialogue et les solutions politiques prévalaient sur les armes. De ce point de vue le dernière administration américaine n’aide pas à la résolution de ces crises.
– Des solutions alternatives aux énergies fossiles basées sur le solaire, la biomasse et peut-être sur le nucléaire de quatrième génération devraient dans quelques décennies assurer un relais aux énergies fossiles déclinantes.
– On peut espérer que sous la poussée des pays en développement la gouvernance mondiale sera rééquilibrée et tiendra mieux compte des besoins des pays pauvres.
– Des courants de pensée encore dispersés cherchent à bâtir une nouvelle idéologie et un programme politique susceptibles de faire front au néolibéralisme.

Quel bilan tirer de tous ces éléments : à court et moyen terme la situation générale devrait à notre avis continuer de se dégrader. Nous sommes moins pessimistes pour le long terme, à l’échéance de quelques décennies, en raison de tous les facteurs de progrès cités ci-avant. L’histoire montre que l’humanité a toujours su bâtir de nouvelles civilisations sur les ruines des anciennes. Mais même si la situation des peuples s’améliore après de profondes modifications des modes de vie et de consommation, davantage de solidarité et une meilleure gouvernance, la planète n’en restera pas moins polluée pour longtemps et appauvrie.

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