Deux questions essentielles dans le débat présidentiel :

Comment répondre aux défis posés par la société capitaliste mondiale d’aujourd’hui ?
Comment relancer l’Europe ?

Saluons d’abord le rééquilibrage du débat présidentiel, quelque peu écrasé auparavant par l’omniprésence du principal candidat de la Droite. Rien n’est joué et les positions des candidats flottent au gré des sondages reflétant les changements d’opinion des électeurs capricieux. Tout est encore possible et l’on se gardera bien de faire un pronostic précis. Mais l’affirmation au cours de la deuxième quinzaine de février du discours de Ségolène Royal, à la fois, quant à la forme et au contenu, ont permis au débat de prendre de la consistance. Il y a là un message d’espérance.

Cependant, comme l’a fort justement souligné Olivier Mongin sur France-Culture le 12 février, ce débat ne prendra de la hauteur et sa véritable dimension que lorsque les candidats oseront prendre à bras le corps deux sujets essentiels.

D’abord, il leur revient de proposer à nos concitoyens une vision historique qui leur permette de se situer dans un monde en profond changement qu’ils ne comprennent pas. Dans quel type de « capitalisme » vivons-nous ; quelles contraintes nous impose-t-il et avec quelles conséquences ?

Alors que les tenants de la vision néo-libérale de la mondialisation, que l’on peut qualifier désormais de classique, nous décrivent un avenir radieux, plusieurs économistes – parmi lesquels Michel Aglietta , Jean-Luc Gréau , Frédéric Lordon et, sans en tirer toutes les leçons qui en découlent, Patrick Artus et Jean Peyrelevade – ont la lucidité et le courage de nous faire entrevoir le gouffre vers lequel celle-ci nous entraîne. Il s’agit de la dictature du « financement actionnarial » qui prétend exiger, au profit des actionnaires – et des plus puissants d’entre eux : fonds d’investissement et fonds de pension – des taux de rendement de l’ordre de 15%, aussi léonins qu’économiquement absurdes (même s’il est considéré comme non politiquement correct de le dire) et qui ne peuvent conduire à terme qu’à la destruction des entreprises ainsi pressurées et à celle des emplois qu’elles créent. Il faudra bien oser ouvrir ce dossier si l’on veut examiner lucidement les modalités et les conséquences du fonctionnement du système financier aujourd’hui mondialisé.
Nous n’insisterons pas longuement ici sur les conséquences négatives d’une concurrence mondiale débridée et non régulée, ni sur les effets, désormais mieux connus, du développement de ce capitalisme et cette mondialisation sur l’écosystème de notre planète, mettant en danger la survie même de celle-ci.

Il revient donc aux candidats à l’élection présidentielle d’exposer clairement ces problèmes à nos concitoyens et de dire comment ils entendent répondre aux défis que ces derniers constituent, c’est à dire promouvoir un véritable développement durable. Cela apparaît d’autant plus évident que l’on est en présence de deux projets nettement différenciés : le projet de Ségolène Royal fondé sur les notions de justice et de solidarité s’opposant au projet demeurant « libéral » de Nicolas Sarkozy, On peut, en effet, légitimement s’interroger sur la cohérence des propos de ce dernier qui mêlent à un fond de discours économiquement et résolument libéral des traits, tirés du gaullisme « social » historique, quelque peu contradictoires. Les éléments « phares » de la doctrine libérale : « flexibiliser » le marché du travail, réduire les impôts pour « libérer » l’initiative et la créativité, privatiser et élargir toujours davantage l’espace marchand, accroître la concurrence, etc…sont bien connus. Une telle politique, dans le contexte actuel, peut conduire, certes, à faire de la croissance, à créer de la « richesse », selon les termes consacrés ; mais elle creuse les inégalités, engendre de la pauvreté et de la précarité au bas de l’échelle ; elle crée des profits, mais pas forcément du travail pour tous, comme aimerait à le faire croire Nicolas Sarkozy. C’est ce qu’enseigne l’expérience de nombreux pays, notamment celle des pays de l’Europe centrale et orientale où la « transition » a constitué un véritable « laboratoire » à cet égard, avec les conséquences politiques que l’on observe aujourd’hui.

Mais revenons aux propos d’Olivier Mongin : aucun projet digne de ce nom ne pourra être accompli dans le cadre d’une vision purement et seulement nationale des choses (et du destin de la France dans le monde). Ceci pose clairement la question de l’Europe. Notre pays ne pourra agir qu’au sein de l’Union Européenne et en s’appuyant sur celle-ci. Il est temps de renouer avec notre destin européen. D’où l’urgence d’une relance de l’Union : il s’agit de doter celle-ci des moyens de fonctionnement efficaces dont elle a besoin pour exister et peser dans le monde. Il y a le feu à l’Europe. Il convient donc de cesser de nous interroger de façon « nombriliste » sur ce qu’elle doit être, comme si nous étions les seuls en Europe. La majorité de nos partenaires de l’Union ont déjà ratifié le Traité Constitutionnel. Nous ne pouvons affecter de l’ignorer. Le peuple français a fait savoir qu’il n’acceptait pas la confirmation des traités existants dans sa partie III. Prenons en acte. Mais nous savons très bien qu’il n’y a pas la même opposition à l’égard des parties I et II. Alors, comme beaucoup l’ont déjà suggéré, proposons à nos partenaires de reprendre la ratification (de préférence, tous ensemble et en même temps) sur la base de la partie I (le Traité ainsi réduit pourrait prendre le nom de « Traité Institutionnel ») à laquelle on pourrait ajouter la partie II (la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union). Ceci étant fait et « sauvant l’Europe », il nous resterait à convaincre nos partenaires d’aménager les traités existants sur les « politiques » (regroupés dans la partie III) de façon à mieux répondre aux graves défis auxquels nous sommes confrontés dans le monde d’aujourd’hui.

Dans le débat présidentiel, l’Europe ne saurait être un sujet traité par prétérition et de façon annexe. Il est au cœur de notre destin.

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