Cela a retenti comme un coup de tonnerre ! Selon un sondage concernant les élections européennes, le Front National devancerait l’UMP et le Parti Socialiste arriverait en troisième position.
Et ce phénomène n’est pas spécifique à la France. L’hypothèse selon laquelle le regroupement des partis « populistes » dans l’Union européenne obtiendrait la majorité relative au Parlement européen l’an prochain ne saurait être écartée.
Voilà à quoi ont mené bientôt quatre ans de politiques suicidaires en Europe. Et ceci ne peut pas être imputé uniquement à l’aveuglement néo-libéral des eurocrates de Bruxelles, mais résulte de la décision des chefs d’Etats et de Gouvernements réunis en Conseil.
Comment, en effet, s’étonner de ce que quatre ans de politiques d’austérité, qui n’ont laissé aucun espoir aux populations, aient réussi à tuer l’idée noble et généreuse de l’Europe !
N’est-il pas surréaliste et impudent d’entendre les dirigeants de la Grèce se féliciter de ce qu’ils peuvent envisager une « reprise de la croissance » de 0,6% en 2014, après que le PIB de leur pays ait chuté de plus de 25% depuis le début de la crise, et que le taux de chômage des jeunes ait atteint le chiffre record de 50% ! Et l’on pourrait citer d’autres exemples de cet acabit en Espagne et au Portugal. Non seulement, « la crise n’est pas finie » et l’Europe n’est pas réellement assainie comme on voudrait nous le faire croire et comme en témoignent les niveaux toujours très élevés de la dette, mais elle sort de cette « cure » anémiée et aigrie, en quelque sorte « rapetissée » dans son essence. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’elle ne suscite aucun enthousiasme de la part de ses citoyens (en particulier des plus jeunes) et soit, au contraire, l’objet d’un rejet de plus en plus généralisé. Ses dirigeants portent une lourde responsabilité à cet égard, eux qui ont préféré les palliatifs et les recettes à courte vue, les « petits pas », quand il ne s’est pas agi de reculs (cf : le budget européen), au lieu d’affronter franchement les défis de la construction européenne.
Ceci nous rapproche fâcheusement de la politique de la « table rase », mise en évidence par Naomi Klein, visant à remplacer les services et entreprises publiques, quasi détruites, par des entreprises privées, qui a eu son heure de gloire lors du passage des pays de l’Europe de l’Est à l’économie de marché.
Il est temps de sonner le tocsin. Le démantèlement de la zone euro et, au-delà, le retour aux vieux clivages nationalistes en Europe sont à nos portes.
Il est plus que temps de réagir en changeant de politique économique et sociale en donnant une nouvelle et vigoureuse impulsion à la construction d’une Europe réellement unie (et non la parodie que l’on nous en présente), grâce à une démarche hardie fondée sur la rénovation des infrastructures, des innovations, une transition énergétique justifiant les investissements porteurs du renouveau futur de l’activité économique et la création des institutions le permettant.
Mais, en premier lieu et dès maintenant, il appartient aux gouvernants des pays de l’Union de mobiliser par leur parole les citoyens de ces pays en leur montrant ce que peut leur apporter une union bien pensée et bien construite, au lieu de s’en remettre à des propos nationalo-centrés. Il leur appartient de le faire avant les élections européennes, faute de quoi celles-ci risquent de conduire à un Parlement européen incapable de jouer le rôle novateur que l’on attend de lui ou, pire, ferment de déliquescence de l’Europe. Adieu alors le rêve de voir ce Parlement élire un Président de l’Europe capable de conduire celle-ci et prenant la mesure des enjeux ! Et ceci vaut d’abord pour notre pays où tout est fait pour éviter un débat public sur l’Europe de crainte qu’il ne réveille les vieux démons de la campagne pour la ratification du Traité Constitutionnel.
La cote d’alerte est dépassée. Le risque est grand de voir l’Europe redevenir une « mosaïque » de petits Etats à l’échelle de la mondialisation, une « grande Suisse », comme l’a dit Hubert Védrine. Ce qui plairait sans doute à beaucoup de ses citoyens, mais signerait son arrêt de mort, au milieu des empires qui se constituent ailleurs.
Jean-Pierre Pagé