La crise de la Grèce, de la zone Euro et de la démocratie

JAMES GALBRAITH .[[ James Galbraith, Professeur à l’Université du Texas, qui a travaillé et publié avec Yanis Varoufakis ancien ministre des finances du gouvernement Syriza, a présenté le 25 octobre 2015 au Cercle Condorcet de Paris un état des lieux de la Grèce et de la position des instances européennes à son encontre.]]

James Galbraith considère que la Grèce n’est plus un pays indépendant, car elle subit une politique de colonisation. En effet, il est interdit au gouvernement grec d’avancer des projets de lois sans l’accord préalable des créanciers. Il lui est aussi interdit d’avoir des débats publics sur des questions touchant au mémorandum de juillet. Le Président de la Commission européenne a déclaré que, quel que soit le résultat des élections, la politique serait la même.

{{La situation politique est celle d’un protectorat.}}

Il est procédé à une liquidation des biens de l’État, des entreprises et des particuliers, facilitée par une réforme judiciaire permettant les évictions sans souci du bas prix des ventes. Les entreprises grecques considèrent que le système mis en place favorise les entreprises multinationales. C’est ainsi que les Grecs ont été obligés d’étendre la période de « fraîcheur du lait » de 3 à 7 jours, ce qui permet aux laitiers hollandais d’exporter du lait en Grèce. De même la réforme de l’industrie pharmaceutique a été favorable aux multinationales qui bénéficient d’un régime fiscal différent.
La politique macroéconomique imposée à la Grèce est une politique de récession combinant un taux de TVA à 23 % avec la réduction des dépenses publiques (celle des retraites représentant ainsi 1 % de la dépense publique). L’objectif est d’atteindre un excédent annuel représentant 3,5 % du PNB, objectif irréalisable. Or la réalisation des objectifs doit être vérifiée tous les 3 mois pour justifier la poursuite des aides.
Au sein de l’Union européenne, alors que les pays de l’Est européen n’admettent pas qu’une autre solution que l’austérité puisse aboutir, l’Espagne et le Portugal, pour des raisons de politique intérieure, ne peuvent exprimer une autre position, l’Italie demeurant silencieuse et la France n’étant pas intervenue vigoureusement dans le débat. W. Schauble, le ministre allemand des finances, a, quant à lui, déclaré qu’il savait que le mémorandum n’était pas bon pour la Grèce, mais qu’il ne pouvait offrir que cela ou la sortie de l’euro. S’il est cependant possible de négocier avec la Commission européenne, en revanche, le FMI ne peut permettre à un pays européen ce qu’il ne permet pas aux autres, alors même qu’il a consenti en 2010 à la Grèce un prêt qu’il n’aurait pas du lui consentir, faute d’autres demandes de prêt.
La dette grecque a ensuite été transférée aux banques, aux marchés financiers et aux Etats. Elle est ainsi passée des banques aux contribuables. James Galbraith indique que les observations de la BCE ont créé l’inquiétude sur les dépôts des banques grecques.

Après les nouvelles élections, la Grèce est parvenue à avoir un gouvernement assez stable. Cette Tsipras peut compter sur ses députés et le gouvernement peut durer quatre ans. Le Parlement fera ce qu’on lui demande de faire. Mais ce n’est pas le Parlement qui met les lois en œuvre. Les « troupes » (magistrats, fonctionnaires…) risquent de faire défaut pour l’application de la nouvelle politique économique – les 48 mesures préconisées par le gouvernement -, car la population se sentent trahie.

James Galbraith pense que c’est l’évolution de la situation politique qui a infléchi la position du gouvernement. De janvier à juillet, Syriza a représenté un modèle pour la gauche européenne, modèle gauchiste, mais très fermement attaché à l’Europe. Tsipras visait à négocier un changement de la politique de l’Europe envers la Grèce. Il s’agissait de modifier les mesures relatives aux pensions, aux droits syndicaux, les privatisations et l’objectif d’excédent primaire.
Ce modèle de négociation a échoué. On ne peut espérer un mouvement de gauche européen pour changer les choses. De là, le plan B. James Galbraith a été choisi comme responsable du plan B pour épauler Varoufakis. La réalisation d’un plan B repose sur l’hypothèse que la France, la Grande Bretagne et l’Allemagne sont capables d’affronter la troïka (le FMI, la Commission européenne et la BCE), puisqu’il s’agit d’obtenir une modification des conditions des prêts consentis à la Grèce.
La question est alors la suivante : comment assurer, d’une part, la valeur de la monnaie avec des réserves nulles et, d’autre part, l’approvisionnement indispensable en pétrole, médicaments et nourriture. Le risque d’une opposition de l’armée peut être écarté. La loyauté des officiers qui respectent Alexis Tsipras a été vérifiée.
La Grèce est un petit pays qui importe une très grande partie de ses biens de consommation. De ce fait, les systèmes de monnaies parallèles qui donneraient une certaine autonomie monétaire ne peuvent pas fonctionner en Grèce comme ils l’ont fait en Argentine. En revanche, la part de l’économie parallèle y est importante, environ 30 % selon les évaluations courantes, ainsi que celle d’un marché informel du travail et elles se sont accrues depuis la dérégulation d’environ 20 %. La politique de la demande ne suffit pas, il faudrait stimuler les productions adaptées aux ressources nationales.

Il faudrait à la Grèce un programme d’investissement dans les secteurs de services de haute qualité hors concurrence avec la Chine et l’Allemagne. Le gouvernement craint les sorties de capitaux. Il faut observer qu’en juillet, les Grecs ont payé leurs impôts. Le plan B ne prévoit pas de paiement de la dette avant 2022, alors qu’il fallait payer le FMI puis la BCE en 2014. Ces perspectives étant ouvertes sur la position grecque, James Galbraith a alors souhaité laisser place aux questions qui lui ont permis d’apporter un éclairage complémentaire sur la situation grecque.

{{Réponse aux questions}}

{{ A la question “Peut-on comparer la situation de l’Islande et celle de la Grèce }} ?”,

J. Galbraith répond que les situations sont très différentes. Les banques islandaises étaient surexposées à l’extérieur du pays, de là la mise en place d’un contrôle des mouvements de capitaux. En Grèce existait une inquiétude sur l’efficacité du contrôle des capitaux et les réactions qu’il pouvait susciter. Après l’application des mesures, le peuple grec l’a bien accepté en adoptant la pratique du retrait quotidien des 60€ autorisés et de l’achat de biens physiques. Les Grecs ont payé leurs dettes et leurs impôts.

{{Autre question : « L’entrée de la Grèce dans l’Union européenne ayant été une erreur, quel est son avenir avec l’Europe? »
}}

Nombre d’économistes disent que les problèmes sont résolus par la croissance en s’appuyant sur l’après-guerre. Durant les cinquante ans qui l’ont suivie, la croissance est demeurée une question difficile, avec des aspects technologiques, la technologie ne créant pas autant d’emplois qu’elle en supprime. Il faut construire des institutions qui protègent la population.

{{« Quel est le rôle des intérêts stratégiques? Celui de l’OTAN ? »}}

Cette question concerne surtout le gouvernement américain . Pour la Grèce, la question a trait aux moyens de sortir de l’austérité. C’est une erreur de se fixer sur les problèmes de demande, il faut mettre en place les moyens d’utiliser cette demande, sinon les emplois n’y pourvoiront pas, ce qui implique une certaine construction des institutions.
« Que se passerait-il dans l’hypothèse d’une sortie de l’Europe? » Il faudrait rétablir le système de paiement interne, et donc une nouvelle banque centrale. Faudrait-il passer à la monnaie nationale? Comment assurer les approvisionnements en pétrole, la nourriture, la médecine? Comment s’assurer que la valeur de la nouvelle monnaie soit protégée. On peut envisager une zone Euro avec une monnaie associée où la BCE jouerait un rôle de stabilisateur comme le FMI.
{{
«Qui sont les détenteurs de la dette grecque?» }}

Les banques françaises et allemandes détiennent 20% de la dette grecque, 15 % sont en mains privées et le reste est détenu par les hedges funds.
Il n’est pas exclu que les créanciers, à un certain moment, cessent de soutenir la Grèce. L’Europe y survivrait difficilement.

Synthèse par Françoise Renversez, membre du Cercle

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