« La crise en Europe : comment en sortir ? »

{{{« La crise en Europe : comment en sortir ? »}}}

Henri Sterdyniak

Directeur du Département Économie de la mondialisation de l’OFCE
Professeur associé à Paris- Dauphine – Co-auteur du « Manifeste des économistes atterrés »

La séance du 21 octobre 2010 du Cercle Condorcet de Paris a été consacrée à une conférence d’Henri Sterdyniak sur « La crise en Europe et comment en sortir ? » dont on peut estimer qu’elle a tenté de répondre à la proposition d’Edgar Morin (Ma gauche – p 23) : « Il faut revenir aux trois questions que posait Kant il y a deux siècles : « Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? ».

En introduction, l’intervenant précise l’inspiration du « Manifeste ». La crise n’a pas changé la manière dont est pensée la crise économique et la manière dont les économistes travaillent. Les milieux financiers essaient de repartir comme avant. Les marchés financiers, l’économie européenne et l’économie mondiale s’engagent ainsi dans une impasse.

L’Europe est particulièrement frappée. Elle a subi la crise financière et la dette des pays du sud européen. La zone euro moins financiarisée, et au déficit plus faible que celui des Etats-Unis aurait dû être moins atteinte, ce n’est pas le cas. Ce qui pose la question de la fragilité de la construction européenne. La situation actuelle est gérée à partir de positions théoriques extrêmement contestables. Ce sont elles que le « Manifeste des économistes atterrés » met en cause. En particulier il conteste l’efficience des marchés financiers, et la configuration de la construction européenne et à partir de ces analyses propose d’autres issues à la crise de la dette dans la zone euro.

{{Une efficacité contestable des marchés financiers}}

Le rôle des marchés financiers serait selon la représentation dominante, de faire apparaître les valeurs fondamentales et d’y ramener par leur fonctionnement. Cette analyse repose sur l’assimilation contestable des marchés financiers aux marchés de marchandises.
Sur les marchés financiers, contrairement aux marchés de marchandises, la hausse des prix entraîne la hausse de la demande et suscite le processus de formation des bulles financières. Ces phénomènes cumulatifs génèrent l’instabilité financière. Sans référence aux limites naturelles de la production, ces marchés sont auto-référents et permettent une rentabilité fabuleuse. Faute d’une croissance de la demande qui serait suscitée par une croissance des revenus les marchés anglo-saxons ont sans cesse besoin de bulles financières. L’ambiance de casino prévaut. Cette situation ne peut être durable. De là la proposition des économistes atterrés de réduire l’importance des marchés financiers Ce qui suppose que l’activité de marché des banques soit contenue. Deux instruments sont proposés : taxer les transactions financières pour réduire la volatilité des cours, réduire les rémunérations des acteurs des marchés financiers pour en limiter l’attractivité.

{{La construction européenne}}

La construction européenne apparaît comme une expérience ambiguë. Elle est inspirée au départ par une vision sociale-démocrate, la promotion d’un modèle social européen, compromis entre socialisme et capitalisme, avec pour visée de maîtriser la mondialisation financière, la demande, le taux de change, l’écologie.

Cette spécificité européenne n’est plus défendue par les instances européennes dont le but est de faire évoluer l’Europe vers une Europe libérale pratiquant la concurrence fiscale et sociale avec moins d’impôts mais aussi moins de services publics. Le principe est affiché de libre circulation des personnes, des capitaux, des services et des marchandises. Cet objectif se heurte aux spécificités nationales, mais la Commission européenne cherche à imposer des réformes en ce sens. Cependant l’Europe a été en pointe pour la lutte contre le réchauffement climatique, l’égalité homme-femme, la modernisation de la protection sociale. L’ambiguïté institutionnelle demeure. Pour la lever, il faudrait que l’Europe affiche son modèle social avec la protection de tous les moments de la vie et adopte une stratégie courageuse d’harmonisation fiscale, alors que dans les années qui ont précédé la crise les pays membres ont eu tendance à pratiquer la concurrence fiscale. Aucune politique conjoncturelle n’a été mise en oeuvre, en raison de l’accrochage aux normes de Maastricht. Ces normes ont empêché l’Europe de mettre en place une stratégie de croissance.

Depuis 2000 une course à la compétitivité est engagée. Les pays du sud de l’Europe ont connu dans la période une forte croissance favorisée par un endettement important. Les dépenses publiques ont régressé en Europe, accompagnées d’une baisse des intérêts sur la dette publique qui a été absorbée par la baisse des impôts.

Deux points sont soulignés par Henri Sterdyniak : les tensions européennes résultent d’un pacte de stabilité mal conçu, la Commission n’a pas su mettre en place une politique commerciale et a laissé se creuser une opposition nord/sud+Irlande.

Au moment de la crise, l’Europe a été beaucoup moins active que les Etats-Unis. Ceux-ci ont engagé 4% de leur PIB dans la lutte contre la crise, l’Europe 1,6% seulement.

La Commission n’a rien appris et n’assume pas le tournant du système productif vers l’économie d’énergie. Le programme Europe 2020 n’a ainsi eu aucun retentissement.

{{La crise de la dette dans la zone euro}}

Statutairement la BCE ne peut pas acheter directement la dette des Etats membres. Les marchés n’ont pas vu le problème jusqu’en juin 2007. Dans un système de monnaies nationales, si la dette d’un Etat est mal perçue par les marchés, le taux de change de sa monnaie se déprécie, la régulation est quasi automatique. L’Euro ne permet plus le jeu de ce mécanisme. Les marchés obligent la zone à évoluer.

Deux stratégies étaient possibles, celle de l’ambiguïté sur la possibilité de soutien aux pays exposés, celle du soutien effectif aux pays attaqués. Le risque était que si des pays quittaient la zone celle-ci soit fragilisée. Un des principes du Traité est que chaque pays soit responsable de sa dette. De là l’exigence de politiques d’extrême rigueur. Mais la réduction des dépenses publiques est contraire au modèle européen et les masses énormes de capitaux disponibles ne trouvent pas de placements raisonnables. En réduisant leur dette et leur déficit les pays vont vers une cure d’austérité épouvantable en Europe.

Il est indispensable de créer des agences de notation indépendantes et la BCE doit continuer à prêter à taux bas. C’est précisément parce que des politiques restrictives ont été mises en place que les dettes publiques continuent à s’élever. Une baisse de 1% des dépenses publiques entraîne la baisse de 2% de la croissance ainsi que celle des recettes fiscales. Dans la zone euro la crise a déjà coûté 8 points de croissance. Il serait préférable de financer la politique industrielle par l’emprunt auprès des ménages et le développement de l’économie dans une perspective écologique, mais la Commission a proposé un vaste programme de restriction de la dette et de la dépense publique. Elle veut aussi impulser des réformes structurelles et en particulier la révision du droit du travail. Il serait préférable de recentrer les pays sur leur demande intérieure car l’accumulation des excédents dans certaines économies remet en cause la mondialisation.

Or actuellement le projet allemand renforcé par la crise consiste à durcir la discipline budgétaire, or les règles de discipline budgétaire européenne sont copiées sur le modèle allemand. Le projet français est orienté vers plus de coordination, avec une stratégie de croissance appuyée sur une politique industrielle, mais la France est relativement isolée en Europe.

La discussion animée dans un premier temps par les questions d’Alain Boyer et de Michel Cabirol porte sur l’hétérogénéité européenne et l’absence de structure fédérale.

Henri Sterdyniak souligne que l’Europe n’est pas une zone monétaire optimale en raison de son hétérogénéité, qu’il faut donc la gérer et en penser la coordination.

L’Espagne, le Portugal, la Grèce ont connu une croissance vigoureuse grâce à des taux d’intérêt très bas, mais ne les ont pas utilisés pour des choix porteurs. L’hétérogénéité des économies demanderait un pilotage extrêmement fin dont la Commission est incapable, il faudrait pour progresser lancer des projets à l’échelle européenne, développer une stratégie alternative.
Le débat s’oriente alors vers l’Allemagne avec les questions de Fadila Amrani et de J.L.Schaffhauser. La première s’interroge sur la possibilité de trouver des alliés à l’Est, J.L.S fait observer que l’Allemagne fait l’essentiel de ses excédents en Europe et aux Etats-Unis et réalise 48% de son PIB à l’export. Elle subira donc les conséquences de la baisse des pouvoirs d’achat européens.

J.P.Dessertine revient sur le « Manifeste ». Selon lui il ne permet pas de comprendre la dynamique de ce qui s’est produit et de ce qu’on pourrait faire. Comment se sont constituées les dettes auto-entretenues ?

Les marchés financiers sont toujours des jeux à somme nulle. Si les capitaux y ont afflué c’est parce que la rentabilité du système productif était insuffisante.

L’intervenant répond que les retraites par capitalisation ont alimenté les marchés financiers comme l’inégalité considérable des revenus dans les pays émergents. L’instabilité pourrait être réduite par un retour au fonctionnement traditionnel des crédits. Le jeu des marchés n’est pas à somme nulle parce que leur rentabilité est très attractive.

Il faudrait mettre en place des organismes de gouvernance internationale, cette perspective a été fortifiée par la crise.

Guy Benedetti interroge alors : « Qui a intérêt à l’Europe telle qu’elle est ? Quels sont les Etats qui voudraient de l’Europe telle qu’elle résulterait des propositions du Manifeste ? »
Henri Sterdyniak observe que l’on peut constater l’existence d’acteurs des marchés dont les conséquences de choix sont visibles. Il y a des classes dominantes qui pensent que l’Europe doit évoluer vers le modèle anglo-saxon. Deux visions de l’Europe s’affrontent : une société apaisée à la scandinave ou une société à l’américaine.

Synthèse Françoise Renversez

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