La solidarité, une idée politique au coeur du pacte républicain ?

Marie-Claude BLAIS1
Philosophe
Maître de Conférences à l’Université de Rouen
[[1. Auteur de : « La solidarité- Histoire d’une idée. » –
Gallimard 2007 – Bibliothèque des idées]]

La notion de « solidarité » a acquis, jusque dans le traité européen, le statut d’un principe de droit. Elle donne son nom à des ministères et à des lois (SRU, PACS, RSA). Mais que veut-elle dire au juste ? S’agit-il d’un sentiment de sympathie qui nous porte à l’entraide, ou bien d’une situation de fait, celle de l’interdépendance entre tous les hommes, ou encore d’une valeur morale, voire d’une obligation ? D’où nous vient ce mot qui semble appelé à se substituer au troisième terme de notre devise républicaine ? C’est pour répondre à ces questions que le philosophe se fait historien et entreprend de rechercher les conditions d’apparition et d’élaboration d’une idée.
Il constate très vite que la notion de solidarité traverse tout le XIXe siècle : elle exprime en effet la difficulté de penser le lien social au sortir de la Révolution française. Avant 1789, les individus étaient liés par des appartenances corporatives ou héritées. Ils sont devenus libres et égaux en droit. La solidarité s’est trouvée requise pour penser un problème désormais crucial : qu’est-ce qui peut faire lien entre des individus désormais indépendants ? Issue du droit (l’article 1202 du Code civil de 1804 définit la solidarité comme «un engagement par lequel les personnes s’obligent les unes pour les autres et chacune pour tous»), elle se répand d’abord dans les milieux progressistes de la Restauration, puis dans la philosophie de la République et dans la science sociale naissante, et connaît une immense consécration politique autour de 1900. Ce sont ces étapes que je voudrais retracer à grands traits, avant d’examiner quelques problèmes d’aujourd’hui.

I. Genèse de l’idée
L’idée fut lancée dans la sphère politique à la fin du XIXe siècle par Léon Bourgeois, éphémère président du conseil (de novembre 1895 à avril 1896) et futur prix Nobel de la paix. Dans un petit livre publié en 1896, Solidarité, le militant radical, depuis longtemps engagé dans l’éducation sociale (il a succédé à Jean Macé à la Ligue de l’Enseignement) ne propose rien d’autre qu’une voie médiane entre les deux grandes causes qui divisent les sociétés, le libéralisme et le socialisme . Il entend concilier deux exigences apparemment contradictoires, la liberté individuelle et la justice sociale, La thèse est convaincante : puisque chaque être qui arrive au monde retire des bienfaits de la vie sociale, il a de ce simple fait des obligations envers ses contemporains et ses successeurs. Dès lors qu’il accepte la vie collective et profite du patrimoine commun, chacun doit s’engager à concourir au paiement de la dette commune, à la mesure de ce qu’il a reçu.
La doctrine vise à justifier l’impôt progressif sur le revenu, la législation sur les assurances sociales et sur les retraites, ainsi que la mise en place de services d’intérêt général destinés à « accroître l’interdépendance mutuelle » selon l’expression du juriste Léon Duguit. Elle cherche surtout à donner un contenu à cette république radicale qui se veut anti-collectiviste tout autant qu’anti-libérale. Ce « socialisme libéral », selon les mots de son promoteur, refuse la résolution des conflits par la lutte des classes et opte pour la voie parlementaire.
Cependant, Bourgeois est loin d’être l’inventeur de l’idée de solidarité. Dès les années 1830 apparaît le spectre de la division sociale. Comment penser le lien entre des individus détachés de leurs appartenances corporatives et déclarés libres et égaux ? Devant les révoltes ouvrières et le risque d’éclatement de la société, des Lamennais, Pecqueur, Michelet et bien d’autres en appellent à « l’unité perdue du genre humain » et à l’harmonie universelle. Ils insistent sur la réalité de l’interdépendance entre tous les membres de l’espèce humaine, interdépendance devenue plus flagrante avec la révolution industrielle et ces nouveaux « rails de fer » qui multiplient les échanges entre les hommes.
C’est un imprimeur progressiste, futur député à l’assemblée constituante de 1848, qui donne le nom de « solidarité » à cette loi d’interdépendance mutuelle (Pierre Leroux, De l’Humanité 1840). Il dit l’avoir emprunté au vocabulaire juridique dans le but de remplacer la charité, peu en phase avec les idées laïques et surtout impossible à organiser. Aussitôt, le philosophe Charles Renouvier prédit une immense fortune à cette magnifique idée « à la fois humaine et divine » . Les chrétiens, d’ailleurs, ne tardent pas à revendiquer ce mot dans lequel ils reconnaissent le dogme de la rédemption collective, si bien résumé par la phrase de Saint-Paul : « nous sommes tous membres d’un même corps ». La force de la notion est qu’elle récupère la tradition chrétienne en lui donnant des couleurs laïques. Providentielle ou naturelle, cette loi d’interdépendance nous indique la direction à suivre : nous devons être solidaires.
La notion est d’autant plus puissante qu’elle est attestée par les sciences. Les naturalistes insistent sur la coopération entre les organes de tout être vivant. Saint Simon, le précurseur du socialisme, avait proposé d’étudier le corps social comme « un corps organisé », un corps dont aucun des organes ne peut vivre indépendamment des autres. Mais la solidarité désigne-t-elle un fait ou bien un idéal ? s’interrogent les économistes. « Laissons faire la solidarité naturelle », diront des libéraux comme Frédéric Bastiat, qui refusent toute intervention autoritaire sur le mécanisme des échanges. Cette solidarité qui écrase les faibles doit faire place à une solidarité volontaire, répliqueront les autres, parmi lesquels Charles Gide et Léon Walras . Car la solidarité n’est pas toujours bonne. Il y a une solidarité dans le mal, celle des associations de malfaiteurs, celle du loup et de sa proie. La solidarité qu’il s’agit de développer est une solidarité visant la justice, et destinée à rectifier les effets nocifs de la solidarité factuelle. Cette solidarité-là, inspirée par l’expérience des sociétés de secours mutuels, est à la recherche d’une organisation coopérative et mutualiste. Or les premiers sociologues, Alfred Fouillée (La science sociale contemporaine, 1880) et Emile Durkheim (De la Division du travail social, 1893), soulignent que, dans des sociétés passées sous le régime du contrat, les individus sont de plus en plus autonomes, mais ils deviennent également plus étroitement dépendants les uns des autres. Cette solidarité « organique », contractuelle et coopérative, nécessite l’intervention de la puissance publique pour faire respecter la juste exécution des contrats.
La doctrine politique proposée par Léon Bourgeois a fait son miel de tous ces travaux. Malgré son immense succès (l’Exposition universelle de 1900 fut placée sous l’invocation de la solidarité), elle est cependant confrontée à une contradiction majeure. Théoriquement, « la solidarité n’a pas de frontières », comme le clame le ministre du Commerce Millerand à l’ouverture de l’Exposition : elle a vocation à l’universel ; mais pratiquement, elle ne peut trouver ses conditions d’exercice que dans le cadre d’une communauté politique reposant sur la volonté de ses membres.
Devenue quasiment la philosophie officielle de la troisième République, la doctrine politique de la solidarité ne résistera pas à l’éclat de la révolution socialiste. L’extrême-gauche n’hésitera pas à traiter de « philanthropie de conférenciers » cette doctrine qui fait l’impasse sur la dimension du conflit et sur le lien historique entre les luttes sociales et la démocratisation de la société. On peut en effet ne pas être convaincu par la vision irénique de Bourgeois concernant les rapports sociaux, vision qui fait le pari de la bonne volonté et de l’éducation pour surmonter les désaccords.
Après la première guerre mondiale, la solution réformiste fera pâle figure. La solidarité a cependant connu ensuite quelques regains d’intérêt (à l’extrême droite en 1933, à gauche en 1936). Elle apparaît très timidement dans la constitution de 1946 : « La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ». C’est à partir des années 1980 que l’idée connaît un énorme regain de faveur. Avec l’effondrement du communisme, au-delà de l’analyse de la société en termes de lutte des classes et au-delà des projets de révolution sociale, on retrouve les vertus de cette troisième voie. Dans un contexte de libéralisme débridé et d’accroissement des inégalités, l’invocation de la solidarité, mondialisation financière et environnementale aidant, manifeste l’exigence renouvelée de régulation politique dans un régime de liberté. Peut-on dire cependant que ce renouveau témoigne d’une réelle vision politique, tant est grand le flou conceptuel qui traverse les usages du mot aujourd’hui ?

II. Le renouveau d’aujourd’hui : affaire personnelle ou affaire d’Etat ?
En 1981, peu de temps après la création en Pologne du syndicat Solidarnosc (1980), le président Mitterrand crée un « ministère de la solidarité », qui sera reconduit par la droite. En 1987, une encyclique du pape Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, fait de la solidarité la « vertu chrétienne par excellence » ; la Charte européenne l’adopte parmi les valeurs fondamentales de la communauté, et, partout en Europe, les politiques sociales prennent désormais le nom de politiques de solidarité. La société civile n’est pas en reste : les organisations et entreprises solidaires se multiplient. La solidarité est devenue une idée fédératrice revendiquée à droite comme à gauche. Mais c’est aussi une sorte d’auberge espagnole recouvrant des significations très diverses. Nous ne savons plus vraiment ce que nous mettons sous ce mot.
Il n’est pas sûr que la solidarité soit encore conçue comme un véritable projet politique. On ne trouve guère trace aujourd’hui de ces débats de fond qui ont traversé les années 1900. Le principe connaît d’un côté une banalisation, et de l’autre une telle extension que l’on peut se demander s’il peut encore servir de guide à l’action publique.
Si l’on voulait dresser à grands traits un tableau de la conception de la solidarité aujourd’hui, on pourrait dire qu’il en existe deux versions. D’un côté, une solidarité nationale, au travers de politiques publiques de solidarité – une solidarité plutôt verticale ou « passive » si l’on en juge par le récent projet de revenu de « solidarité active » qui vise à « transformer en profondeur l’exercice de la solidarité ». De l’autre, une solidarité plutôt horizontale, prise en charge par la société civile à travers un important développement de l’engagement humanitaire avec une multiplicité d’actions associatives ou solidaires.
La première version évoque essentiellement une politique redistributive en faveur des populations défavorisées. Elle vise la cohésion de la collectivité nationale et la garantie des droits de chacun. Elle rappelle qu’une société digne de ce nom assure aux individus qui la composent la jouissance effective des droits qui leur ont été préalablement reconnus.
La seconde version se déploie hors de tout espace politique, et met en jeu une compassion très médiatisée pour les victimes, mais aussi une remarquable aspiration au don librement consenti, et même un sens social très développé. On retrouve par exemple, dans les motifs de ce milliardaire américain, Warren Buffet, qui a versé 85% de sa fortune à des fondations philanthropiques, le thème fondateur de la doctrine autrefois défendue par Léon Bourgeois : une grande part de nous-mêmes et de notre propriété est d’origine sociale, et nous devons la consacrer à l’effort commun : « personnellement, dit Buffet, je pense que la société est responsable d’un pourcentage significatif de ce que j’ai gagné. Plantez-moi au milieu du Bangla Desh ou du Pérou, et vous verrez ce qu’est réellement capable de produire ce talent qui est le mien dès lors qu’il faut l’exercer sur un mauvais type de sol ». Autrement dit, le sujet n’est que le dépositaire de biens dont une grande part est commune. Les aptitudes d’un individu sont bien sa propriété, mais elles n’acquièrent de valeur qu’au sein d’un système de coopération sociale. Nous touchons ici aux limites du dogme républicain de la méritocratie, tant il est clair que les mérites d’un individu ne proviennent pas seulement de lui-même. Comment trouver, dans l’école, la formule d’une « juste égalité des chances », une fois que le droit de tous à l’éducation et à la formation a été assuré ?
Ces deux versions s’inscrivent dans un paysage très différent de celui de Léon Bourgeois. La comparaison entre notre situation d’aujourd’hui et le moment 1900 devrait nous permettre d’y voir plus clair dans les nouvelles interpellations que nous avons à affronter. De fait, les deux versions semblent nécessaires et complémentaires, à condition que nous soyons lucides sur les limites et les dérives possibles de chacune d’entre elles.
1. La solidarité politique telle qu’elle était définie par Bourgeois, articulait la liberté personnelle et la responsabilité de tous. Nous voyons apparaître aujourd’hui une autre conception de la solidarité, plus individualiste, axée sur la garantie des droits de chacun. Nous sommes passés de l’idée d’une dette réciproque à l’affirmation des droits individuels. Tandis que la philosophie des droits de l’homme s’est approfondie, les attentes des citoyens en matière de droits ont considérablement évolué. Ils s’adressent désormais à l’Etat, et l’on assiste à une extension sans précédent de la revendication des « droits à », avec une perte de sens des notions d’obligation et de responsabilité mutuelle qui étaient la clé de voûte de la définition originelle de la solidarité. L’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est celui de voir se transformer le devoir social en droits-créances illimités, tout en passant sous silence la communauté politique qui est seule à même de garantir ces droits. C’est pourtant à cette communauté et aux citoyens qui la composent que revient la tâche de redéfinir sans cesse les principes de justice sur lesquels elle s’appuie. Dans son moment politique, la solidarité ne se concevait que s’il y avait une volonté consciente chez tous les citoyens de travailler à une coopération mutuelle. Nous sommes aujourd’hui dans une société où l’Etat est devenu une gigantesque machine à produire des individus, mais où ces mêmes individus ont le droit de ne plus penser qu’ils vivent en société.
De plus, quand les politiques dites « de solidarité » se réduisent à des politiques d’assistance aux plus démunis, elles désignent ceux-ci comme une catégorie à part – les bénéficiaires de l’aide publique – et contribuent peu à donner à tous le sens d’une communauté consciente de ses objectifs. La dimension de la responsabilité collective tend à s’effacer. Le maître mot devient la « responsabilisation » des bénéficiaires. Or, c’est tout un ensemble, qui passe par l’impôt, les assurances mutuelles, le droit du travail, l’éducation et les services publics, qui, dans l’esprit des premiers théoriciens de la solidarité, devait favoriser la prise de conscience de la responsabilité collective. De ce point de vue, l’invocation par les politiques du « principe de solidarité » ne peut qu’être associé à une politique fiscale cohérente, qui ne dispense pas les plus riches de l’effort de redistribution.
2. Une deuxième difficulté concerne le collectif de référence. Certes « la solidarité n’a pas de frontières », comme le proclamait le ministre Millerand en 1900. Et Léon Bourgeois lui-même, engagé dans la création de la Société des nations et militant pour une « politique universelle de la prévoyance sociale », visait l’extension progressive du principe à l’ensemble de la planète. Davantage encore qu’en 1900, nous avons aujourd’hui des raisons d’être sensibles à la dimension mondiale de la solidarité. Cependant, cette dimension ne doit pas faire oublier les communautés réelles à l’intérieur desquelles le principe prend son effectivité. En 1900, le cadre paraît évident : c’est d’abord la nation. À l’heure de la mondialisation, quelle sera l’instance politique capable d’assurer l’application du principe ? Le retour vers les origines de l’idée ne donne pas la réponse à cette question cruciale. Mais elle pourrait au moins suggérer qu’il est possible – et plus que jamais nécessaire – de mener de front l’exigence de liberté et celle de justice, y compris à l’égard des générations futures. Le problème est de parvenir à articuler les différentes échelles d’application de ce principe de solidarité : nationale, européenne, internationale, locale. Le principe de solidarité impose en effet de définir précisément les cadres de son territoire d’application. Car s’il est indissociable d’un idéal de justice, il ne peut pas, à lui seul, en donner les déclinaisons empiriques ou techniques. Il implique le débat et la délibération collective…
3. Nous sommes aujourd’hui confrontés à des défis nouveaux. Avec la mondialisation financière et les menaces sanitaires et environnementales, la solidarité factuelle ne cesse de s’étendre . Nous ne pouvons plus être seulement solidaires de nos contemporains, nous sommes responsables de la terre que nous laissons à nos enfants. Tel est le sens profond de l’idée de solidarité : nous ne formons qu’une seule humanité et nous sommes solidaires de tous nos contemporains comme de toutes les générations futures. Mais nos sociétés libérales sont confrontées à un paradoxe relevé par le sociologue Ulrich Beck : elles font l’apologie du risque entrepreneurial et de la compétition, et dans le même temps elles connaissent une extension sans précédent du principe de précaution. Le glissement de la solidarité à la sécurité tend à mettre en place une société duale : un risque désocialisé pour les riches, et une exigence de sécurisation et de prévention pour les autres.
4. Il faut enfin prendre en compte les dimensions d’altruisme et de sympathie présentes à la racine de l’idée de solidarité. Dès l’origine, les promoteurs de l’idée se sont appuyés sur l’expérience des sociétés de secours mutuel et sur le mouvement coopératif pour défendre une idée de la solidarité conçue comme responsabilité mutuelle reposant sur le concours volontaire des acteurs. Ils ont fait le choix de l’entraide contre celui de la lutte des classes. Leur mérite est de constater qu’il y a dans l’humanité, comme diraient les anti-utilitaristes aujourd’hui, une aspiration au don librement consenti, une exigence de réciprocité dont les termes ne sont pas nécessairement contractualisés. Comment préserver l’entraide et les pratiques de don tout en les intégrant au projet commun de « faire société »? Comment concilier le déploiement des entreprises émanant de la société civile et les garanties d’équité et de durée assurées par la collectivité ? Les dérives sont bien connues : la priorité donnée à la protection de certains groupes au mépris de l’intérêt général, le développement d’une sorte d’égoïsme collectif qui tend à exclure les individus les plus désocialisés et isolés. L’empathie et le compassionnel sont privilégiés par des médias qui émeuvent les citoyens sur les situations de détresse, mais font passer au second plan l’analyse des raisons de ces situations… Il nous reste à trouver l’articulation entre la solidarité politique et les solidarités interindividuelles, ou encore entre ce que Jean Duvignaud appelait « les liens de cœur » et « les liens de raison ».

Pour conclure
Une société solidaire, c’est une société qui cherche en permanence l’équilibre entre l’individuel et le collectif et qui repose sur une volonté de réciprocité et d’échange. Elle implique que les initiatives individuelles et associatives soient favorisées, mais que l’Etat ne se désengage pas pour autant, puisqu’il est le garant de l’équité et de la continuité de la collectivité, et surtout de la délibération collective. Or nous sommes passés d’un Etat social visant à l’émancipation de chacun à un Etat correcteur des défaillances du marché. Sans la responsabilité collective qui passe par la délibération et l’accord négocié, la solidarité relève plutôt d’un saupoudrage visant à colmater les brèches d’une société en proie à un individualisme forcené.
Pourtant, à l’heure de la mondialisation, nous serons plus que jamais solidaires. Reste à choisir comment et dans quel cadre. La solidarité peut-elle retrouver sa dimension de contrat collectif, ou se réduira-t-elle à une version moderne de l’ancienne philanthropie, ou encore à un projet de société construit autour de la peur et de la recherche de sécurité ?

{{Notes}}

1. Auteur de : « La solidarité- Histoire d’une idée. » – Gallimard 2007 – Bibliothèque des idées

2. Léon Bourgeois, Solidarité, A. Colin 1896, rééd. Le Bord de l’Eau éditions, 2008.

3. Voir MC Blais, Au principe de la république. Le cas Renouvier, Gallimard, 2000.

4. Charles Gide est l’exact contemporain de Léon Bourgeois, et probablement son principal inspirateur (“L’idée de solidarité en tant que programme économique”, Revue internationale de sociologie, oct. 1893) Il deviendra son complice le plus actif dans la promotion de la doctrine solidariste et de l’économie sociale. Il fera encore un cours sur la solidarité au Collège de France en 1927-1928 : La solidarité, Paris, PUF, 1934. Léon Walras a formulé une théorie de l’Etat comme l’agent qui met en œuvre la solidarité. Sa définition de la solidarité sert de fondement à une théorie «objective» de la justice sociale. Cette dernière ne dépend pas du bon vouloir des individus (contrairement à la charité, à la philanthropie, ou plus généralement aux attitudes fraternitaires), mais d’une réalité sociale qui transcende le statut des individus. La qualité de citoyen présente en chaque individu est synonyme d’une solidarité morale que la propriété commune des ressources matérialise. Voir « Théorie générale de la société », in Études d’économie sociale, 1896.

5. Ulrich Beck, La société du risque, Paris, Flammarion, 2003

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