Le modèle économique allemand semble s’imposer comme solution à la crise en Europe.
Mais il paraît être aussi le creuset des divergences politiques sur l’avenir de celle-ci.
N’y a-t-il pas d’autres voies ?
Guillaume Duval a vécu et travaillé en Allemagne. Dans son dernier livre, il met en cause l’efficacité supposée des réformes « Schröder » sur le long terme et milite plutôt pour un pacte de croissance européen.
Son dernier livre : Made in Germany, le modèle allemand au-delà des mythes – Le Seuil
{{synthèse par Bernard Wolfer}}
cDans l’Europe en crise, l’Allemagne semble se distinguer. Au point qu’elle est devenue un modèle d’économie qu’il faudrait suivre, remplaçant les pays scandinaves ou le Danemark, les pays modèles socio-démocrates des années 80. L’obligation de se réformer à l’exemple des allemands apparaît d’autant plus grande que ce serait le social-démocrate Schröder qui aurait permis la réforme dont bénéficie aujourd’hui l’Allemagne. Un tel constat obligerait aussi bien les gauches que les droites européennes.
Guillaume Duval contredit pour l’essentiel cette analyse en relativisant aussi bien l’ampleur des réformes Schröder que la réussite allemande actuelle.
Il rappelle d’abord que l’Allemagne n’a jamais été un pays social démocrate. L’ordo-libéralisme qui caractérise sa politique économique depuis les années trente est tout au mieux un compromis entre libéralisme, rigueur budgétaire et monétaire et enfin accords sociaux dans ce cadre. Si Schröder dirige la première coalition SD sans la droite, c’est en ayant vaincu l’aile gauche, keynésianiste du SPD d’Oskar Lafontaine. Celui-ci démissionnera d’ailleurs de son poste de ministre des finances en désaccord avec sa politique libérale et s’opposera à lui lors de la mise en place des projets Hartz-Schröder. C’est donc une social-démocratie à la « Blair » que représente Schröder, au mieux.
Pendant sept ans de coalition rose-vert, l’Allemagne a connu plus de pauvreté et plus d’inégalité. La flexibilisation de l’emploi a conduit à créer plus de cinq millions de petits boulots, précaires. La diminution des dépenses publiques a compromis l’avenir en ce qu’elle s’accompagne d’un désinvestissement important, notamment pour les jeunes enfants, les familles et ne prépare pas encore aujourd’hui à une modernisation du tissu productif allemand. Pendant ce temps, la dette publique a explosé.
Les réformes Hartz du marché du travail semblent à beaucoup être à l’origine de la bonne santé actuelle de l’économie allemand, habilement gérée par A. Merkel. Mais à y regarder de plus près, celle-ci le doit plutôt à
– Une démographie déclinante qui pour le moment limite la masse salariale, mais qui à terme risque d’induire une paupérisation massive des retraités.
– Un coût de l’immobilier quasiment trois fois moindre qu’en France, qui permet une certaine modération salariale. Ce cout est le résultat de politiques de logements anciennes, notamment dans l’est et du déclin démographique.
– La réunification a couté bien moins qu’on ne la cru, la politique monétaire rigoureuse allemande ayant été en fait inflationniste dans le cadre européen, notamment avec la mise en place de l’Euro.
– Schröder n’a pas touché à la codétermination patrons syndicat ce qui a limité les fermetures d’usine et a conservé la base productive traditionnelle, tourné en particulier vers l’exportation de machines.
Dans les faits, les réformes du marché du travail ont été peu effectives (sauf pour les petits boulots, c’est à dire les nouveaux boulots). En évitant cependant les licenciements et les fermetures d’usines l’offre allemande s’est maintenue, à un cout plus faible qu’ailleurs : Mais ceci tient plus au maintien des liens anciens entre syndicats et patronat qu’aux réformes « Hartz-Schtöder ».
L’Allemagne a aussi profité de sa situation monétaire particulière avec la création de l’Euro. Les taux d’intérêts pour le paiement de ses dettes sont restés plus bas qu’ailleurs, estimation ainsi faite de 70 milliards d’économie relative. Dans ses exportations, l’Allemagne a également bénéficié de la baisse du dollar par rapport à l’Euro, alors que dans le reste de l’Europe, le choc de compétitivité a été négatif. Cette différence de situation explique largement le peu d’intérêt de l’Allemagne à intervenir pour réduire la crise de l’Euro : Elle est celle qui a le plus intérêt à avoir un euro fort.
Mais cette politique peut se révéler suicidaire pour l’Europe. En favorisant la récession, elle risque de ne pas permettre de résoudre la crise des dettes et d’augmenter le chômage. Par voie de conséquence de diminuer la consommation des européens, principaux acheteurs des produits allemands.
Si l’on ajoute à cela que l’épargne allemande s’est plutôt placée dans des produits toxiques (en Grèce en particulier), on comprend le peu d’empressement du gouvernement allemand à négocier la dette grecque par crainte de perdre une part importante de ce que ses banques y ont prêté.
Enfin, ayant peu investi dans sa propre économie l’Allemagne va se retrouver avec un tissu industriel vieillissant, peu adapté a la compétitivité à venir. Sa conversion énergétique avec l’abandon du nucléaire va augmenter ses coûts. Ainsi ce qui apparaît à certains comme un modèle d’économie et de politique à suivre, à cause de bons résultats actuels, doit plutôt être considéré comme un bon emploi d’une rente de situation qui ne pourra pas se maintenir. L’Allemagne risque tout aussi bien de connaître une crise à terme, de l’emploi, de ses exportations, de sa dette, en même temps qu’un appauvrissement global et d’une croissance des inégalités. Le modèle « social » allemand pourrait se trouver profondément remis en cause.
Seul satisfécit ? La réforme scolaire et le maintien d’une politique d’apprentissage à tous les niveaux qui peut améliorer les capacités d’adaptation de la population allemande.
Ce qu’on peut regretter, c’est que l’Allemagne, toute à ses succès, n’imagine pas qu’elle les doit en partie à sa place dans l’Europe et que ne pas aider l’Europe à régler sa crise autrement que par l’austérité pourrait lui couter à assez court terme ses avantages.
Alors que l’Europe reste la région la plus industrialisée du monde et l’une des plus innovante, il serait dommage de ne pas investir en commun dans de grandes actions européennes, notamment sur l’énergie, les transports, la recherche. Conduire en Europe, avec des budgets importants de vraies politiques d’investissements. Et peut être accepter une politique monétaire et bancaire plus coopérative.
Synthèse par Bernard Wolfer