“Le Moyen-Orient en état de guerre permanente”

{{● La situation au proche orient :}}

Pour Alain Gresh1[[. Ancien Rédacteur en chef puis Directeur adjoint du Monde diplomatique, Alain Gresh, né en Egypte, préside l’Association des journalistes spécialisés sur le Maghreb et le Moyen-Orient (AJMO). Journaliste et écrivain, Il a écrit de nombreux livres sur le sujet, notamment en collaboration avec Dominique Vidal et Tariq Ramadan. En 2010, il a publié “De quoi la Palestine est-elle le nom ?” aux Editions Les Liens qui libèrent.]]
, le pétrole est la première malédiction du Proche-Orient. C’est ce qui en fait une zone essentielle, source de toutes ingé- rences extérieures. La seconde malédiction, c’est sa situation géographique, au carrefour de l’Europe et de l’Asie, du canal de Suez et dans le passé, de l’Union soviétique, devenue Répu- blique russe, source de nombreuses interven- tions étrangères. L’autre fait déterminant, c’est le conflit israélo-arabe qui perdure depuis 1948.

Avant 1945, le Proche-Orient était l’objet d’af- frontements entre les Français et les Anglais d’un côté, les Allemands et l’empire ottoman de l’autre, avant de passer sous contrôle euro- péen. Après la guerre, ce sont les Américains et les Russes qui se le sont disputés. Depuis
1990 et la fin de l’Union soviétique, la Russie a, au moins dans un premier temps, abandonné la partie, tandis que les U.S.A. développaient successivement deux stratégies nettement dif- férentes : la première, consistait, pour lutter contre le terrorisme, à prendre le contrôle de la région, comme en Afghanistan ou en Irak. La deuxième, après l’échec de la première, a
été marquée par un désintérêt certain – pour des raisons à long terme, cette région n’étant plus décisive dans l’affrontement avec l’autre grande puissance – et parce que, depuis 1973 au moins, plus aucun pays, y compris l’Irak de Saddam Hussein, n’a pas voulu ou n’est pas par- venu à empêcher les exportations de pétrole.

Il est difficile de dire quelle sera la nouvelle stra- tégie américaine à la fin de la présidence Oba- ma, le souhait personnel de ce dernier, prenant en compte le coût économique et humain difficilement acceptable que représenterait la prise de contrôle de la région. Son option sera peut-être d’intervenir le moins possible. De ce fait, la Turquie, désormais non alignée sur un bloc, mais aussi l’Iran et l’Arabie saoudite, pourtant influentes dans la crise Syrienne, ont le senti- ment d’être mises à l’ écart par les Etats-Unis, en particulier vis à vis de la situation yéménite.

Aujourd’hui, les camps semblent moins bien dessinés, au moins en ce qui concerne les trois pays précités. Les Turcs ont, à l’inverse des Séou- diens, des alliances avec les Frères musulmans, ce qui constitue une situation moins contrô- lable, en ce sens qu’aucune des deux grandes puissances ne peut être certaine de ce que fera son allié. Un troisième élément à prendre en compte est la situation interne d’immobilisme. A l’inverse de la plupart des autres régions qui ont connu des changements importants: chute des dictatures en Amérique latine ou en Asie, fin du communisme dans les pays de l’Est, le Proche-Orient et le Maghreb étaient immobiles car, un peu comme en Russie, des cliques autoritaires au pouvoir avaient affai- bli les Etats en privatisant les richesses natio- nales à leur profit. De tels délitements et pertes d’autorité ont conduit aux soulèvements arabes.

L’autre élément qui a contribué à la révolution, ce sont les mouvements extrêmement puis- sants tels ceux de l’Egypte, du Yémen, de Tuni- sie, venus de la société civile, mais dans des contextes où il n’y avait pas de forces ni de pro- grammes politiques, sinon celle des Islamistes et la possibilité, soit de retour à l’ancien régime comme en Egypte soit des situations de guerres civiles comme en Syrie ou en Lybie. En Syrie, c’est la situation d’une minorité religieuse, les alaouites et un pouvoir prêt à une violence sans limites qui ont fortement contribué à la mise en place de la militarisation de groupes extré- mistes du type Al-Qaïda ou l’Etat islamique.

Il y a lieu de s’interroger objectivement sur le résultat obtenu en Libye après les interventions françaises et britanniques et ce malgré le fait qu’elles ont empêché la répression san- glante d’un mouvement populaire car ajouter la guerre à la guerre aboutit, un jour ou l’autre, à donner le pouvoir à ceux qui ont des armes. Au lendemain de la chute de Kadhafi, il y a eu le début d’un printemps libyen. Quatre millions de gens ont voté mais cela a peu duré. Dans les années cinquante et soixante, lors des insur- rections, les partis avaient des programmes politiques : nationalistes arabes, communistes, baasistes. Aujourd’hui, plus personne n’a de programme. Le libéralisme économique do- mine tellement qu’aucune des forces qui ont gagné ne dispose d’un autre programme ca- pable d’instaurer plus de justice sociale, alors que cette dernière constituait l’une des princi- pales raisons du soulèvement de la population.

Il convient aussi d’analyser les échecs. Il est clair que partout où il y a eu des élections libres, ce sont les islamistes qui ont gagné. On est passé des Printemps arabes au monde islamiste et cela pose la question d’un choix à faire entre deux voies : celle des dictatures telles qu’elles ont été, empêchant l’arrivée des islamistes ou de celle consistant à considérer que la démo- cratie est le seul moyen réel de combattre l’isla- misme. Cette dernière voie, celle qu’a emprun- tée la Tunisie, semble la bonne, d’autant plus que n’ayant jamais gouverné, les islamistes au pouvoir se sont rapidement discrédités et que,
à l’inverse, celle qu’a suivie l’Egypte a abouti à
une situation presque pire que la précédente.

{{● La guerre contre le terrorisme :}}

Pour l’auteur de “De quoi la Palestine est-elle le nom ?”, le terrorisme, n’existe pas en soi. Le mot est surtout utilisé pour discréditer un en- nemi. C’est plutôt une forme d’action, condam- nable ou non. Pour d’autres, c’est une forme de guerre. A titre d’exemple, les forces Kurdes, dont on a vanté les mérites à Kobané, appartiennent, en fait, au PKK et sont soutenues militairement, en Irak, par le gouvernement français, mais si vous déambulez à Paris avec un pancarte van- tant les mérites de ce même PKK, vous aurez sans doute affaire aux autorités car ce parti est considéré comme terroriste par les européens et par les U.S.A.

Il y a des organisations dangereuses comme Al-

Qaïda ou Daesh qu’il faut combattre et analy- ser politiquement. Il faut aussi expliquer pour- quoi ces mouvements progressent car cela peut permettre de développer une stratégie efficace contre ces organisations.

On peut aujourd’hui faire le bilan de la guerre de 2001 initiée par George Bush junior : Il n’y a jamais eu autant d’attaques violentes à travers le monde depuis. Au lendemain des attentats de Charlie-Hebdo, le gouvernement français a fait la même erreur car ces types de réactions pro- voquent un chaos plus grand qu’avant, mettent plus de jeunes encore au combat. Pour Alain Gresh, nous alimentons ainsi le terrorisme avec une guerre des civilisations.

De la même manière, Al-Qaïda est née de la guerre de L’URSS en Afghanistan et du soutien des Etats-Unis aux Moudjahidines en vertu du principe que l’ennemi, étant les U.S.A., il faut les faire venir pour mieux les tuer.

D’Al-Qaïda est né l’Etat Islamique. via une diffé- rence d’approche et des questions de personnes. Daesh appelle à tuer les Chiites et veut instal- ler un Califat, fascinant les jeunes au nom de la guerre de l’Occident contre l’Islam. Boko Haram luttait, à l’origine, contre la corruption au Nigé- ria. Nous lui avons donné du crédit auprès des populations avec l’échec des forces politiques et en privilégiant une fois encore les seules solu- tions militaires.

Autre exemple, nous dit l’ancien Directeur ad- joint du Monde diplomatique, certains Fran-
çais préconisaient l’intervention militaire contre l’Iran. Serait-ce toujours à nous de prendre de telles décisions ? L’utilisation par l’Occident du militaire est de plus en plus facile à faire. Pour autant, l’idée que le militaire est une solution simple est une fausse bonne idée.

{{● Vers une guerre des civilisations}}

En conclusion, il nous faut parler de la guerre des civilisations. Elle est en cours, elle est in- quiétante en ce sens que nous avons affaire à un problème essentiel avec L’Islam et qu’il faut l’affronter par ce que nous sommes face à un ennemi multiforme.

Tel Edward Saïd, on peut dire que l’Islam est une création de l’Occident. L’Islam n’existe ni en termes religieux ni en termes historiques et l’essentiel de la vie des gens, des lois qui les ré- gissent, n’a rien à voir avec l’Islam et lorsqu’un Etat accepte de ne pas punir ce type de crimes, il le fait la plupart du temps sur la base d’une règle copiée sur le Code Napoléon, à la différence près que nous l’avons fait évoluer, et pas eux.

L’ idée que l’Islam est dangereux est prégnante à droite mais aussi, de plus en plus, à gauche et la laïcité tend à devenir un instrument de lutte contre l’Islam.

« J’ai dévié » dit Alain Gresh ? Non. Le combat en France ou en Irak est le même. C’est la guerre entre deux civilisations qui se disent telles. Ce qui est très dommageable pour nous et pour la situation internationale.

Synthèse par Jean-Michel Eychenne,
membre du Cercle

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