Le 23 octobre 2007, le Cercle Condorcet de Paris a organisé un colloque sur l’Economie Sociale et Solidaire animé par Claude Alphandéry .
Edmond Maire , Jean-Baptiste de Foucauld et Jean Louis Laville ont participé à ce colloque qui a réuni plus de 70 personnes.
Claude Alphandéry, dans son exposé introductif, a placé l’économie solidaire et sociale (ESS) dans son contexte, dans sa réalité puis dans ses limites actuelles.
1- Le contexte
Face à un capitalisme triomphant, l’économie sociale s’est développée pour en soulager les effets pervers ou négatifs, sous forme de services collectifs. Le mouvement social s’est caractérisé dans des mouvements coopératifs ou mutualistes, dès le 19ème siècle. Les mouvements politiques se sont traduit par des politiques sociales, gérées par l’État ou les collectivités publiques.
Le capitalisme moderne a peut-être accru la production de richesse, mais il détruit aussi des emplois ou les précarise. Devant le renforcement des inégalités et des risques subis par les travailleurs, l’État devient insuffisant pour les réduire. C’est dans ce contexte que la société civile donne naissance à de nouvelles initiatives obéissant à d’autres règles tout en n’étant pas caritatives : insertion, services individuels et collectifs pour les personnes en situation de risque.
2- La réalité
Un vaste secteur d’économie solidaire s’est constitué, avec des entreprises contribuant à l’emploi, assurant des services là où les entreprises classiques sont défaillantes, ou incapables d’exister, demandant à ces entreprises solidaires d’autant plus de rigueur.
Mais ces entreprises ont aussi des dimensions éthiques, démocratiques, locales et innovantes qui les caractérisent singulièrement. Ces dimensions constituent un capital social et non financier. Elles vendent, produisent sur des marchés où la solvabilité est souvent réduites, ce qui peut conduire à la nécessité de soutien de l’état ou de collectifs originaux, comme ceux qui se regroupent dans l’épargne solidaire.
3- Les limites
Elles ont un poids économique relativement faible (10% des services). Les entreprises solidaires apparaissent souvent marquées par leurs manques plus que par leurs réalisations, d’autant qu’elles ne se distinguent pas comme un secteur économique à part, dans la plupart des cas. Elles ont cependant des qualités « différentes » comme la non-lucrativité, la territorialité, l’utilité sociale, mais ces qualités sont difficiles à évaluer selon les critères dominants qui ne retiennent que des valeurs économiques.
C’est ainsi que l’Europe ne soutient guère cette ESS car elle n’y voit le plus souvent que charges budgétaire, faible productivité, peu de respect de la concurrence.
Les limites de l’ESS sont encore vues dans le désengagement des États qui paraît pourtant nécessaire à leur existence. Les syndicats de travailleurs mésestiment les ESS en ce qu’elle seraient seulement des modes de règlement de la question sociale sans s’attaquer à ses causes. Le scepticisme sur la capacité de l’ESS à remplir un rôle actif est largement partagé, et la gauche est gênée, car l’ESS semble aller à l’encontre des politiques de redistribution qu’elle a l’habitude de défendre et de mettre en œuvre.
Claude Alphandéry conclut de cela qu’il ne faut surtout pas voir dans l’ESS une initiative au capitalisme, mais simplement une alternative complémentaire, dans les creux du capitalismes, comme un ensemble de contre-feux.
Pour aider l’ESS à exister comme alternative en creux, quelques pistes sont aujourd’hui à suivre :
-Développer les financements publics en leur donnant des légitimations économiques et sociales.
-Encourager le bénévolat
-Développer l’épargne solidaire
Mais ceci ne peut réussir que si ces actions sont inscrites dans une politique d’ensemble qui accorde une place légitime à ‘ESS.
Après le Grenelle de l’environnement, qui vient d’avoir lieu et qui avait une dimension sociale, va bientôt s’ouvrir un Grenelle de l’Économie solidaire : sans doute une occasion à saisir.
Edmond Maire aborde la question de l’ESS par le biais des ressources. L’ESS a besoin de ressources, notamment de capital pour entreprendre. Les circuits financiers ne lui sont d’aucune aide. Le ministère des finances, et en particulier la direction des impôts, commence à être convaincu que l’ESS constitue une source d’emploi, donc de croissance, et que l’épargne salariale solidaire pourrait être encouragée. Il s’agit de créer des comptes d’épargne salariale solidaire dont le produit irait à des ESS. Ainsi France active, qu’il dirige est passée de 2000 emplois (en 2003) à 8200 (en 2006). Si des ressources existent on trouvera de nouveaux domaines d’interventions de l’ESS. L’épargne solidaire (ES) devrait être actée dans un accord de Bercy, obligeant tout plan d’épargne d’entreprise à créer un fonds d’épargne solidaire.
Stéphane Hessel se réfère à André Gorz et à sa critique de la société capitaliste et du travail. Ce qui le frappe, c’est la grande diversité des mouvements solidaires. Il lui paraît nécessaire d’avoir une vision globale de ce qui doit changer dans l’environnement, dans l’insertion, afin de mieux défendre ces voies de développement. Le grand intérêt des ESS tient aussi dans leur éthique, dans leur capacité originelle à créer de nouvelles convivialités, de nouvelles dynamiques. Elles peuvent permettre de combattre le scepticisme ambiant, voire le cynisme, et avec eux la tristesse et le découragement.
Jean-Baptiste de Foucauld s’intéresse à un aspect important de l’ESS : celui des marchés publics. Il estime en effet que l’introduction de clauses sociales dans les marchés publics serait un bon moyen de faire progresser les ressources, et de prendre en charge, dans ce cadre une partie de la question de l’exclusion. Il serait légitime en effet de demander qu’une partie des travaux des marchés publics soient exécutés par des ESS ou par des entreprises normales mais produisant un mieux disant social. Le code d’août 2006 affirme déjà qu’on doit tenir compte des objectifs de développement durable. Les clauses de mieux disant social ont été exclues jusqu’en 2001. Depuis cette date, on peut inclure des conditions d’emplois ou sociales dans les contrats publics. Des collectivités locales se sont mobilisées pour développer ces clauses et ces pratiques, notamment en créant un métier de chargé de mission pour l’insertion sociale afin d’aider les publics en difficulté.
Jean Louis Laville estime que l’économie solidaire constitue une vision de la société avec des organisations et des ressources particulières. Longtemps on a été à la recherche d’une alternative au capitalisme par un changement de la société, utopie, mais qui avait vocation à forcer le réel. On est aujourd’hui obligé d’aller à l’envers de l’utopie, sous la contrainte d’un certain réalisme économique. La social-démocratie ne peut plus se contenter de construire et appliquer des politiques de redistribution des ressources et des revenus. Elle doit revenir à une conception substantive de l’économie et non plus réductrice, suivant en cela l’analyse de Polanyi. Trois dimensions portent cette conception
Le marché, qui est d’abord une construction institutionnelle (on devrait parler de marchés)
La redistribution
La réciprocité
L’ESS peut contribuer à collectiviser (ou au moins socialiser ?) la propriété des choses, à irriguer l’économique avec du social, créer des alternatives, des expériences au service de la vie quotidienne. Mais une telle démarche ne peut pas seulement nationale, elle doit se construire à un niveau mondial pour avoir quelque chance de réussir. Mais il ne faut pas être naïf, le néolibéralisme ne s’intéresse à l’économie solidaire que pour en faire un pansement pour les exclus.
Claude Alphandéry : membre du Cercle Condorcet de Paris, président du CNIAE (Conseil
National de l’Insertion par l’Activité Économique)
Jean-Baptiste de Foucauld : président de « Solidarités Nouvelles Face au Chômage »
Jean-Louis Laville : Professeur au CNAM
Stéphane Hessel : Ambassadeur de France
Edmond Maire : président du SIFA (Société d’Investissement France Ac