Nous sommes conviés à vivre le temps le plus fort de notre démocratie comme un événement relativement mineur. Alors que pour la première fois se succèdent l’élection présidentielle et les élections législatives, pour des mandats de même durée, nous sommes réduits à un choix d’homme et non à un choix de politique, de projet politique et encore moins de projet de société. Tout se passe comme si le président n’était plus destiné qu’à être un simple gestionnaire d’un moment politique. La fonction présidentielle s’en trouve ramenée à un rôle modeste, éloigné du modèle de “roi républicain” incarné par les premiers présidents de la Vème République. En soi, ce pourrait être un bien, le signe d’une société apaisée.
Cette situation est sans doute due à une situation très originale : les deux principaux candidats sont en fait deux sortants. Ils ont dirigé le pays pendant cinq ans, et l’un d’entre eux seulement sera le nouveau président. Dans cette lutte de succession inédite, peut-il être question de bilan et de projet politique nouveau ? La cohabitation a figé les débats.
De plus, ce rendez-vous de la France avec son destin politique serait devenu sans enjeu. Les politiques auraient montré, depuis une dizaine d’années leurs faibles marges de manœuvres : la politique nationale ne serait susceptible que de faibles ajustements face aux enjeux économiques mondiaux. Les vrais enjeux seraient ailleurs, dans l’entreprise, dans le monde, aux USA, en Europe. Comment penser une alternative, une autre façon de gouverner un pays si les pouvoirs délégués à la nation et à ses dirigeants sont faibles ? Ceci justifierait ce repli des citoyens vers la vie individuelle, communautaire ou ” tribale ” : les vrais projets ne seraient plus de société, mais individuels, familiaux ou de groupes d’appartenance. La société, plus individualiste s’autonomiserait du politique, du collectif.
Mais si la politique et les politiques ont perdu leur aura, leur crédibilité, pour une part, ne peut-on se demander si les citoyens n’auraient pas perdu tout désir de société meilleure ? Tout simplement une majorité serait satisfaite de la société telle qu’elle existe, et ne souhaite pas qu’elle change. Nous serions devenus une République des “satisfaits” (comme Galbraith parlait des américains).
Ceci expliquerait que cette élection peut apparaître comme un spectacle démocratique, complètement mis en scène, sans aucune surprise réelle, et dont le dénouement, anodin, est laissé au vote des spectateurs, comme dans certains shows théâtraux ou télévisés.
Il y a pourtant quelque légèreté à croire que le désenchantement de la politique manifesté par la réduction immense des enjeux qu’elle maîtriserait correspond à un ré-enchantement du monde. Le monde est loin d’être radieux. Les élections prochaines devraient être l’occasion de débats de société, sur la France, l’Europe et le Monde. Mais ne risquent-elles pas de se réduire à l’affrontement de deux interprètes des sentiments français plus que de leurs rêves, de leurs souhaits et surtout de leur volonté ?
L’élection présidentielle de 2002, un spectacle démocratique ?