L ’eau est la matrice de la vie. C’est grâce à elle que notre planète, désignée à juste titre planète bleue, constitue un biotope sans égal : là où elle disparaît s’installent aridité et désertification. Grâce à des cycles favorables, alternant évaporation, précipitation, infiltration et écoulement, elle était jusqu’à présent régulièrement régénérée, au mieux de son utilisation par l’homme, ce qui la rendait pratiquement inépuisable contrairement aux carburants fossiles. Mais de nombreux facteurs contribuent depuis quelques décennies à menacer son utilisation : fondamentalement la croissance démographique, mais aussi le développement économique effréné, la pression sur la demande exercée par les mégalopoles et leurs banlieues, les pollutions de toute nature, les gaspillages et soutirages excessifs. De ce fait l’accès à l’eau potable de qualité est devenu un problème majeur pour de nombreuses populations. Le problème est davantage qualitatif que quantitatif : l’eau est très mal répartie.
Les agences de l’eau estiment que 10 à 20 % de la consommation sont déjà assurés dans certaines régions à partir de réserves non renouvelables. En fait la consommation mondiale a été multipliée par six en un siècle, alors que les ressources en eau de consommation ont plutôt diminué. Les causes sont clairement identifiées : outre le changement climatique et les pollutions, la déforestation est directement incriminée : les arbres jouent en effet un rôle clé dans la rétention de l’eau par les sols, et son évaporation progressive permet de réguler le régime des pluies. La transformation des terres agricoles en zones urbaines avec des sols plus ou moins cimentés contribue aussi à cette dégradation. Le changement climatique qui exacerbe les phénomènes extrêmes, rendant les zones arides encore plus sèches et inondant les zones humides, accentue encore les inégalités de répartition de l’eau. Mais c’est bien évidemment la croissance démographique et les nouvelles habitudes de consommation qui sont responsables au premier chef de cette crise. Et dans beaucoup de régions l’eau reste gratuite, ce qui ne facilite pas son utilisation raisonnée. Depuis les années 70 les zones sèches seraient passées de 15 à 30 %.
Plusieurs régions, en particulier l’Australie, souffrent de fortes sécheresses et d’une pluviométrie catastrophique depuis plusieurs années ; de nombreux fermiers abandonnent leurs terres. La question de l’accès à l’eau est devenue prioritaire, et d’énormes travaux de construction de nouvelles infrastructures et d’unités de traitement des eaux usées sont lancés un peu partout.
Il est fréquent, pour compenser le déficit hydrique, de recourir pour l’irrigation ou les besoins domestiques à un pompage à tout-va dans les rivières ou les nappes phréatiques, mais on ne saurait modifier le débit d’une rivière ou décharger une nappe captive sans en subir à terme les conséquences, d’autant que ces soutirages entraînent souvent des intrusions d’eau salée rendant l’eau impropre à la consommation. Autre cause de pollution, tous les rejets d’eaux industrielles souvent chargées en métaux toxiques. Les dégâts les plus visibles sont ceux créés par les rejets d’eaux chargées en nitrates provenant de l’usage intensif d’engrais agricoles et de pesticides, provoquant par eutrophisation la prolifération d’algues vertes plus ou moins toxiques sur les plans d’eau et les rivières. Dans les PVD 90 % des eaux usées sont rejetées sans traitement.
{{Quelques chiffres}}. Sur la totalité des eaux présentes sur la Terre l’eau douce n’en représente que 2,5 %, et seulement 15.000 milliards de m3 sont utilisables par l’homme. Cette eau est {{très mal répartie}} : abondante en Amérique du Sud et du Nord, en Afrique centrale et en Europe, elle est plus rare en Asie du Sud-Est, en Australie, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord où la demande est très forte. C’est l’Afrique subsaharienne qui manque le plus d’eau. Les habitants des steppes et zones arides qui représentent 22 % de la population mondiale n’ont accès qu’à 2 % du total. Inversement les populations des zones tropicales représentant 17 % du tout disposent de 50 % de la ressource. D’après l’UNICEF actuellement 1,1 milliard d’habitants n’ont pas accès à l’eau potable (dont 300 millions d’Africains et autant
d’Asiatiques), et 2,6 milliards ne disposent d’aucun assainissement, ce qui entraîne la mort de 2,2 millions de personnes chaque année. Plus de 800 millions de personnes souffrent de malnutrition du fait de la sécheresse. On estime que 4 milliards d’habitants devraient vivre sous stress hydrique en 2025. D’après certains spécialistes le manque d’eau potable et sa mauvaise qualité tuent dans le monde d’ores et déjà {{dix fois plus}} que tous les conflits armés : la crise de l’eau va devenir le problème majeur du XXI° siècle.
La consommation mondiale d’eau est estimée à 2000 milliards de m3 par an. Il est important de bien distinguer ici les prélèvements des consommations : les premiers correspondent à l’eau retirée du milieu naturel, alors que la consommation est la différence entre ce qui est prélevé et ce qui retourne dans le milieu naturel après utilisation, soit directement, soit après traitement. Et là les chiffres sont accablants pour l’agriculture : celle-ci prélève pour l’irrigation 2.750 milliards de m3/an sur un total de 4000 et en consomme 1.850 sur un total de 2000, alors que les chiffres correspondants pour les eaux industrielles sont de 800 et 90 milliards de m3/an, et de 450 et 60 milliards de m3/an pour les usages domestiques. Autrement dit ces derniers ne représentent que 10 % des prélèvements et 3 % des consommations (20 % et 5 % respectivement pour les usages industriels), tandis que l’agriculture prélève 70 % du total et consomme plus de 90 % du tout. Et dans les années à venir, du fait de la croissance de la population, les besoins de l’agriculture devraient encore augmenter.
Cette consommation connaît de fortes inégalités, variant pour les seuls usages domestiques de 50 litres/jour et par habitant dans les pays en développement à 350 aux USA, la position de la France étant intermédiaire avec 130 litres. C’est l’Australie qui consomme le plus. Le minimum vital par individu est estimé à 3 litres/jour pour la boisson et 30 litres pour son hygiène, hors tout besoin pour la production alimentaire. La production de 1 kg de viande de bœuf demande quinze fois plus d’eau que celle de 1 kg de blé, et celle de 1 litre d’agrocarburant nécessite 1000 litres d’eau.
Les tensions pour l’accès à l’eau ont toujours existé. Heureusement dans la plupart des cas les protagonistes ont su trouver un accord pour le partage de la ressource. Cependant avec l’accroissement simultané de la population et du niveau de vie d’une part, et la raréfaction relative de l’eau propre d’autre part, les tensions se trouvent exacerbées et génèrent des {{conflits géostratégiques}}. Les plus aigus sont les suivants :
* Entre l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie à propos du Nil : les besoins de l’Egypte pour l’irrigation et la consommation absorbent l’essentiel du débit de ce fleuve, et l’Ethiopie qui fournit 86 % de ce débit ne dispose en fait que de 0,3 % pour alimenter sa population de 75 millions d’habitants, l’Egypte s’opposant à tout aménagement en amont du fleuve. Il y a là une menace sérieuse de conflit régional.
* Entre Israël, le Liban, la Syrie, la Jordanie et la Cisjordanie à propos du bassin du Jourdain, de la Mer morte et du Plateau du Golan, rendant en particulier la situation des Palestiniens intenable. Dans cette zone très aride Israël conduit une politique d’irrigation économe en eau, développe largement le dessalement de l’eau de mer par osmose inverse, et envisage de créer un canal pour alimenter la Mer Morte à partir de la Mer Rouge à raison de 2 milliards de m3/an. Mais pour assurer une totale sécurité à son approvisionnement en eau il mène une politique de confiscation très agressive au mépris des intérêts de ses voisins, sauf avec la Jordanie où le partage des eaux obéit à des accords équilibrés.
* Entre la Turquie, la Syrie et l’Irak : avec 23 barrages implantés sur l’Euphrate la Turquie absorbe 22 milliards de m3/an pour irriguer ses terres, réduisant de 66 % le débit en aval, aux dépens de la Syrie et de l’Irak. Elle estime que les ressources du fleuve lui appartiennent aussi légitimement que le pétrole appartient aux pays arabes. La Syrie fait de même aux dépens de l’Irak qui est dans une situation catastrophique depuis l’invasion américaine. Ce dernier pays connaît de surcroît de sérieux conflits avec l’Iran au sujet de la gestion des eaux en aval dans le delta du Tigre et de l’Euphrate (le Chatt el Arab).
* La Chine souffre d’un important déficit en eau surtout en regard de la masse de sa population : le nord-est du pays qui concentre la moitié de la population ne dispose que de 15 % des ressources ; l’eau est rationnée à Pékin et de nombreux quartiers n’y ont même pas accès. La situation est aggravée du fait que les installations de traitement des eaux résiduaires sont très rares. Le déficit en eau est de 20 milliards de m3/an. Conscient du problème le pouvoir central a lancé d’énormes travaux (barrages, conduites d’alimentation, traitement des rejets, unités de dessalement).
Mais surtout la Chine s’est engagée dans des actions conflictuelles avec tous les pays limithrophes pour assurer son approvisionnement. Ainsi pour développer la région du Xinjiang au nord-ouest, très stratégique mais semi désertique, elle a entrepris de détourner une grande partie des eaux des fleuves Irtych et Ili aux dépens du Kazakhstan. Même source de conflit au nord avec la Russie à propos du fleuve Amour, de plus fréquemment pollué par les chinois. Plus graves sont les prélèvements au sud-ouest, en amont du Yangtsé sur les eaux provenant du Tibet, pour alimenter le Fleuve Jaune, qui vont appauvrir d’autant le Brahmapoutre et provoquer des pénuries d’eau en Inde et au Bangladesh. Autre problème créé par la Chine : les ponctions sur le Mékong au sud avec aménagement de nombreux barrages et travaux pour rendre le fleuve en partie navigable. Le Cambodge, passé sous influence chinoise, devrait en profiter (en échange d’un accès de la marine chinoise aux ports cambodgiens), mais le Vietnam est menacé de pollution et dans ses activités de pêche et de défense ; dans ce cas la pression s’exerce le long du fleuve-frontière et non pas sur l’amont du fleuve.
A noter que la Chine expérimente avec quelques succès la technique d’ensemencement des nuages avec des aérosols pour provoquer des pluies artificielles (activités classées secret-défense).
-* Mêmes tensions pour l’accès à l’eau entre Le Tchad et le Cameroun concernant la gestion des eaux du lac Tchad ; entre le Sénégal, le Mali et la Mauritanie à propos du fleuve Sénégal ; entre Uruguay et Argentine à propos de la Plata ; entre Californie et Mexique à propos du fleuve Colorado, etc.
-* Il est vraisemblable que tous ces conflits ne déboucheront pas sur des confrontations armées, beaucoup se concluront par des accords de partage, mais cela n’empêchera pas de fortes tensions avec d’éventuelles représailles politiques ou économiques.
{{Quelles solutions pour améliorer la situation}} :
-* Il convient en priorité de s’attaquer au principal poste de consommation, c’est-à-dire l’agriculture, en généralisant le goutte à goutte pour l’irrigation, en sélectionnant mieux les plantes alimentaires moins gourmandes en eau et celles qui supportent le stress hydrique, en limitant l’élevage du bétail (33 % des terres arables sont utilisées pour produire l’alimentation du bétail qui consomme 57 % des production de céréales) ; toutefois, comme cette dernière activité est souvent la seule accessible aux populations pauvres, l’effort devrait porter essentiellement sur les populations des pays riches qui devraient réduire leur consommation de viande. La construction de barrages sur de nombreux fleuves devrait permettre de développer une culture par irrigation dans les régions arides. Encore faut-il trouver un moyen de lutte contre l’évaporation qui entraîne la perte de quantités importantes d’eau stockée. Mais il ne faut pas négliger les solutions simples, accessibles aux plus pauvres, comme les citernes pour recueillir l’eau de pluie ou les petits barrages de rétention de ces eaux. Tout ceci passe par des actions de formation des agriculteurs, et des aides financières à la charge de la Banque Mondiale. Il conviendrait aussi de subventionner les agriculteurs pour limiter l’emploi des pesticides et des nitrates.
-* Il faut mettre fin à une déforestation abusive (Amérique du sud, Afrique centrale et Asie du sud-est).
-* La lutte contre les pertes dans les conduites d’acheminement et dans les réseaux de distribution de l’eau, qui correspondent dans certains cas à 50 % du débit, pemettrait de récupérer des quantités considérables d’eau.
-* Il ne faut pas négliger l’exploitation des nappes aquifères souterraines qui, à faible profondeur, sont en général douces ; au-delà de 600 m elles sont souvent salées.
-* Le traitement systématique des eaux usées avant rejet dans les nappes phréatiques ou les rivières s’impose, même si il exige des investissements importants.
-* Les compteurs aves tarifs progressifs doivent être généralisés pour une utilisation raisonnée de l’eau. Celle-ci devrait être facturée à un tarif socialement supportable.
-* Le développement des unités de dessalement de l’eau de mer lorsque cette dernière est disponible et lorsqu’il existe une source d’énergie économiquement acceptable devrait contribuer à atténuer le déficit en eau.
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{{Annexes}} : Les quantités d’eau nécessaires à la production en zone tempérée pour 1 kg de blé sont de 1000 litres, pour 1 kg de riz inondé ou de coton : 5000 litres, pour 1 kg de bœuf : 15000 litres, et pour 1 kg d’acier : 100 litres.
De nombreux pays connaissant des déficits en eau ont recours au {{dessalement}} de l’eau de mer. Deux techniques sont utilisées : l’évaporation thermique (distillation) et les membranes à osmose inverse. La seconde est plus économique : l’eau de mer pénètre à 35 g/l dans des unités sous une pression d’une centaine d’atmosphères et filtre au travers de membranes ; elle est évacuée à 30 g/l tandis que l’eau récupérée est à 0,4 g/l. L’eau revient à environ 1 €/m3, ce qui la réserve aux usages domestiques. Israël produit ainsi 300 millions de m3/an et l’Arabie Saoudite 1 milliard de m3/an.
{{Quelques références}} :
-** L’eau, géopolitique, enjeux stratégiques – Franck Galland – CNRS Editions – 2009
-** Réparer la planète – M.Rouer et A. Gouyon – Editions JC.Lattès – 2007
-** L’eau, un trésor en partage – G de Marcily – Editions Dunod – 2009
-** L’avenir de l’eau – Eric Orsenna – Editions Fayard – 2009
-** L’eau : pour une culture de la presponsabilité – A. Frérot – Editions
Autrement – 2009
-** Géopolitique – A.Chauprade – Editions Ellipse – 2008.
Novembre 2009