Premières réflexions sur les services publics
Ce sujet est caractéristique des débats actuels entre libéralisme et socialisme aussi bien en France qu’en Europe. La constitution d’un marché unique et de l’Europe rendent plus que jamais nécessaire l’analyse approfondie de cette opposition dans ce domaine. La propension du capitalisme de toujours étendre sa sphère d’influence en a fait depuis longtemps une de ses cibles principales : soi-disant inefficaces, souvent déficitaires, avec un personnel cumulant des avantages acquis indus, …. « Les services publics devraient être privatisés pour le bien de tous ! » Malheureusement, les problèmes des chemins de fer Britanniques ou de France Telecom, les affaires de corruption liées aux concessions de la distribution de l’eau militent pour un peu plus de discernement. Définition du champ des services publics Tout d’abord, il faut définir ce qu’on appelle service public : est-il lié au statut de ses agents ? reflète-t-il un modèle économique différent avec notamment une forte intervention de l’Etat ? regroupe-t-il des domaines où l’intérêt général doit prévaloir vis à vis des intérêts particuliers ? … De même si l’on cherche à lister les activités pouvant relever du service public, on recense des domaines très variés : services régaliens (police, justice, défense) des services fournis « presque gratuitement » par l’Etat : santé, éducation, culture (audiovisuel, musées, …), … des secteurs stratégiques (énergie, spatial, …) des services où une péréquation des investissements et des coûts est réalisée (énergie, télécommunications, eau, infrastructures et offre de transport, …) des services de protection sociale : chômage, retraite, famille, … …. En revanche, des secteurs limites comme les coopératives ou les associations n’en font pas partie Services publics et spécificité française Dans un premier temps, on pourrait essayer de trouver quelques invariants caractérisant les services publics : la solidarité et l’égalité. C’est aussi bien permettre à tous de se soigner ou de recevoir une éducation que d’égaliser le prix de l’électricité ou des télécommunications quel que soit l’endroit du territoire où l’on se trouve ou quelle que soit la consommation une économie régulée qui gère ces aménagements. la sécurité. Consacrer suffisamment de ressources à l’entretien des équipements (chemins de fer) ou à la sécurité (centrales nucléaires). un modèle social de gestion interne. Les libéraux attaquent souvent des entreprises publiques comme EDF à cause de certains avantages. Peut-on reprocher quelques avantages annexes à quelqu un qui gagne 1500 par mois ? A l inverse, il faudrait chercher à généraliser certaines pratiques sociales des services publics. la transparence et la gestion dans l intérêt général devraient être la règle. Ceci n’est pas toujours respecté mais la corruption liée à la privatisation de la distribution de l’eau ou les affaires Enron et Worldcom montre que le secteur privé n’est pas exempt de problèmes. On constate que cette vision de service public est très différente de la vision anglo-saxonne (Beveridge notamment) d’un « filet de sécurité » destiné aux « pauvres ». L’affrontement entre service public de haut niveau / solidarité et péréquation d’un côté et rentabilité privée / charité de l’autre, est total. Le défi lancé au service public à la Française est d’éviter l’exclusion (faut-il des billets de train gratuits pour les chômeurs ou les RMIstes ?). Dans tous les domaines liés à la solidarité, un grand défi pour la gauche est d’aider les plus pauvres et de lutter contre l’exclusion sans désespérer les « moins pauvres » ou les « pas riches ». Les problèmes classiques d’effets de seuil ou de trappe à pauvreté ou à inactivité doivent être étudiés en détail. Rappel historique : évolution des services publics en France De nombreux services publics ont été crées après la seconde guerre mondiale : il sont donc liés à la reconstruction de la France. Comment se déplacer dans une France rurale où les voitures et l’essence sont rares et les routes défoncées ? Grâce au chemin de fer ! D’où un développement avec des objectifs de rentabilité inexistants et un niveau de service souvent faible. La situation actuelle est très différente : contraintes financières, segmentation de la clientèle (comment répondre à des besoins différents avec un service public commun ?), exigence de confort et d’efficacité de la part des clients, concurrence (route, avion, …) Ceci implique une mutation forte des services publics pour répondre aux besoins de leur clientèle Evolution des services publics en Europe depuis 15 ans La volonté d’accroître la concurrence (en liaison avec le marché unique) a poussé l’Europe à prôner la privatisation de nombreuses entreprises (télécoms notamment) et à ouvrir sélectivement les marchés nationaux en cassant les monopoles. Ces décisions ont fortement changé la face de plusieurs industries en Europe : le prix pour le consommateur de certaines prestations a diminué parfois significativement comme dans les télécommunications. Dans d’autres cas comme pour l’eau, le prix a fortement augmenté. l’ouverture des marchés étant sélective, les segments de clientèle les plus rentables (gros clients ou zones denses) sont les premières cibles des nouveaux entrants. Lorsque le coût du maintien d’un service public de qualité est sous-estimé, on assiste soit à une forte augmentation des prix pour le consommateur soit à des difficultés pour investir des opérateurs historiques. plusieurs entreprises encore liées à des Etats se comportent comme des entreprises privées classiques en dehors de leur territoire national (réduction d’effectif, écrémage du marché, menace de dépôt de bilan, …). Certaines mésaventures ont été causées par leur manque de compétences à gérer des environnements concurrentiels à l’international. Elles ont alors parfois gaspillé les ressources accumulées sur leur territoire national. on risque d’arriver dans 10 ans à une cartellisation de certaines industries avec 5 à 10 sociétés Européennes principales (énergie, télécommunications, transport aérien, …). On aura alors remplacé des monopoles publics par un oligopole privé. Ceci représente un risque pour les petits pays qui seront privés de tout droit de regard sur la stratégie suivie par ces mastodontes. pour minimiser le coût du « service public », la Commission envisage un service minimum qui, dans de nombreux cas, sera destiné aux personnes les plus défavorisées. Ce sera donc un service au rabais (cf la santé en Grande Bretagne). Cette évolution en Europe n’est pas arrivée par hasard : c’est le reflet de la volonté de libéralisation maximale des marchés impulsée au niveau mondial par les USA et les organisations internationales comme l’OMC. Les nouveaux accords en négociation (ACGS) visent à amplifier ces mouvements. Quelle évolution pour les services publics ? Les changements d’environnement impliqueront une évolution des services publics. Toute réflexion sérieuse passera par une analyse des faiblesses réelles ou prétendues des services publics pour déterminer les améliorations indispensables mais aussi les points sur lesquels une attitude ferme est nécessaire L’inefficacité prétendue de nombreux services publics proviendrait des positions de monopole. Pourquoi certains services publics ont-ils été crées sous cette forme ? C’est lié à la période (juste après la guerre) et à la philosophie sous-tendant la notion de service public : solidarité, égalité et continuité du service public, gestion de la pénurie et des arbitrages notamment liée à l’aménagement du territoire effets d’échelle et nécessité d’investissements importants que seule la puissance publique pouvait se permettre (énergie, transports, ….) Toutefois, l’inefficacité de certains monopoles est loin d’être démontrée : l’électricité produite par l’EDF est compétitive et le coût de fonctionnement de la Sécurité Sociale est comparable à celui d’assurances privées. Quelles sont les fragilités ou les faiblesses des services publics ? certains concernent des domaines rentables que les intérêts privés veulent accaparer avec un minimum de contraintes il faudra débattre du service minimum et du droit de grève. Bien sûr, la bonne solution consiste à diminuer la gravité des conflits la difficulté à faire passer certaines réformes de bonne gestion et le corporatisme de certaines catégories. Cette situation a été renforcée dans le passé par une approche technocratique de certaines directions qui connaissaient mal la réalité du terrain. Le niveau du service au client devra être amélioré mais est-il vraiment moins bon que celui des sociétés privées ? La difficulté pour une entité nationale de bien prendre en compte les spécificités locales (la régionalisation des TER semble avoir été un succès) Le défi consiste à adapter au marché unique (donc à une concurrence croissante) et au développement de la construction européenne l’organisation des services publics. Comment tirer parti de ce qui est meilleur dans d’autres pays et de l’adapter en France ? Un modèle alternatif et efficace Comme les plans de la Commission risquent de créer des situations difficiles, il convient de réfléchir à un modèle alternatif qui pourrait reposer sur : une définition large de la notion de service public (pourquoi ne pas nationaliser la distribution de l’eau ?) un service de haut niveau (notamment pour les domaines avec une composante sécurité forte) une ouverture maîtrisée à la concurrence privée avec une charte précise et quantifiée (ne pas renouveler la désastreuse expérience de la concession des licences UMTS). Faut-il réguler la rentabilité des intervenants ? une tarification des prestations luttant contre l’exclusion la promotion de la coopération entre services publics nationaux la participation des entreprises de service public à des actions de codéveloppement (avec des profits régulés) responsabilité sociale et environnementale, …. Contrairement à ce qui a souvent été écrit, aucun traité communautaire n’impose la privatisation des services publics. Ce sont les gouvernements, notamment Français, qui ont décidé des privatisations. Comme d’habitude, cette décision a conduit à privatiser les profits et à garder les entreprises déficitaires dans le giron public ! En outre, les services publics doivent être gérés le plus efficacement possible. Si un nouveau logiciel permet à la Sécurité Sociale de remplir une tâche donnée avec moins de personnel, il doit être mis en place. Ce type d’efficacité est très différent de la décision de fermer une ligne de chemin de fer rurale déficitaire. La défense du service public n’est ni le corporatisme ni le repli sur soi. Premières conclusions La notion de service public efficace et de haut niveau doit être défendue contre les attaques du libéralisme (au plan mondial via l’OMC et l’ACGS) ou de la Commission Européenne. Le maintien ou le développement de tels services est au cœur du projet Européen et facilitera la transition des nouveaux entrants de l’UE.. De façon plus globale, le développement de services publics concernant la santé, l’éducation, les transports, … est un élément clé d’un modèle de développement durable applicable notamment aux PVD. L’amélioration du service public (en tenant compte de ce qui se fait dans d’autres pays) et la correction de ses faiblesses sont nécessaires pour pouvoir mieux le défendre. Définir finement les missions du service public (sans vision réductrice de type filet de sécurité ou en ce qui concerne son périmètre) et écrire une charte des services publics européens sont deux tâches prioritaires à court terme. Ces quelques réflexions doivent être discutées en interne pour être améliorées, voire profondément remaniées. Ensuite, il faudra essayer de trouver des informations sur la situation des services publics hors de France et, surtout, interroger des spécialistes étrangers pour comprendre ce qui pourrait être appliqué en France et pour étoffer le contre modèle par rapport à la politique libérale de la Commission. Le périmètre envisagé concerne l’Europe mais il faudra tenir compte des projets des organismes internationaux comme l’OMC.
Michel CABIROL membre du Cercle