Le texte qui suit est une note de lecture établie par Robert BISTOLFI (membre du Cercle ), à partir de l’ouvrage de l’intervenante : Laïcité, mode d’emploi. Il nous a paru être une bonne synthèse des idées exposées par Dounia Bouzar devant le Cercle. Le décryptage de l’intervention qui développe et illustre d’exemples concrets tous ces points, doit être communiqué à tous les membres du Cercle et est consultable sur le site internet.
Sous-tendu par des visées politiciennes, le débat sur l’identité nationale a eu des effets délétères que nous n’avons pas fini de mesurer. L’une des bases du vivre-ensemble républicain – la laïcité –, a été instrumentalisée et l’on constate des rapprochements surprenants : une Riposte laïque associant de francs racistes et quelques « hommes de gauche » inconscients ; un Front national new-look asseyant son islamophobie sur une défense purement opportuniste de la laïcité… Dans ce contexte, la publication par Dounia Bouzar de Laïcité mode d’emploi apporte une bouffée d’air frais avec un appel salutaire à la raison. L’auteur n’entre pas dans des querelles byzantines sur ce qu’est la vraie laïcité ; l’armature de la loi de 1905 et les lois en vigueur définissent un cadre suffisamment clair pour permettre une approche rationnelle et intelligente des problèmes pratiques que l’on connaît dans une société française qui peine à assumer sa diversité culturelle : le foisonnement de demandes concurrentes y réclame à la fois fermeté sur les principes et doigté dans le traitement des problèmes concrets. Dounia Bouzar doit ces deux qualités à la fois à son statut d’anthropologue du fait religieux et à son parcours au ministère de la justice, plus précisément à la Protection judiciaire de la jeunesse. Elle dirige aujourd’hui un cabinet de recherche et de conseil dont les interventions de médiation dans les entreprises comme dans les collectivités territoriales sont appréciées.
C’est l’aboutissement de cette expérience de terrain que Laïcité mode d’emploi expose aujourd’hui en évoquant des questions nouvelles auxquelles les administrations publiques et les entreprises ont pu être confrontées, questions dont l’intitulé des chapitres dit la sensibilité. Pour les administrations : Financement public et associations religieuses ; Statut du fonctionnaire et neutralité, gestion des activités municipales, des élèves, des usagers de l’hôpital. Pour les entreprises : Gestions du comportement, des pratiques religieuses, des signes religieux. Sous chaque rubrique, des cas concrets sont évoqués, dont la variété est surprenante : ici, des riverains s’opposent à la construction d’une mosquée ; là des fonctionnaires veulent fêter Yom Kippour et l’Aïd ; ailleurs un salarié qui fait Shabbat n’accomplit pas sa mission ; ailleurs encore, une secrétaire vient travailler en foulard…
Dans l’approche de situations dont l’énumération complète tiendrait de l’inventaire à la Prévert et pourrait décourager, Dounia Bouzar prend appui sur un double garde-fou : elle part du droit (ce que disent les lois nationales et internationales, ainsi que la jurisprudence), et dans ce cadre elle s’attache à faire émerger des réponses concrètes conciliant le respect de l’ordre public avec la liberté de croyance et de pratique. Ce qui est visé, c’est la construction d’une communauté de citoyens se reconnaissant mutuellement dans leurs différences. Le droit bien sûr, mais aussi la durée et la patience d’éducateur du médiateur apparaissent essentiels dans cette pratique d’un « accommodement raisonnable » à la française. On le voit, l’auteur ne fournit pas des recettes mais des principes pour une approche visant à dénouer les conflits plutôt qu’à les trancher trop abruptement par une application étroitement mécanique d’un règlement. Son livre d’alerte et de proposition est plus qu’opportun face aux dangereuses simplifications qui prévalent trop souvent. ■
Note de lecture de {{Robert Bistolfi}}
Bibliographie
Dounia BOUZAR : Laïcité mode d’emploi, cadre légal et solutions pratiques : 42 études de cas, Eyrolles, Éditions d’Organisation, 2010.
Dounia BOUZAR : La République ou la burqa, les services publics face à l’islam manipulé, Albin Michel, 2010.