Refondation de la Gauche par Gilbert Wasserman

I- Le monde et l’Europe
La réalité mondiale est marquée par deux tendances lourdes :
a) l’accélération mais en même temps l’entrée en crise de la globalisation capitaliste (cf. Enron, Andersen….)
b) l’aggravation de l’hégémonisme américain en même temps que sa mise en difficulté (cf. difficulté à faire partager sa stratégie concernant l’Irak ; victoires de la gauche au Brésil et en Équateur).
Concernant la globalisation capitaliste, on en est au point où les multinationales suppléent les États dans les négociations internationales ( cf. Johannesburg). Dans le même temps la bulle financière a éclaté et le modèle boursier ( fonds de pensions…) est de moins en moins attirant.
Pourquoi parler de globalisation capitaliste, plutôt que de mondialisation libérale ? Par ce qu’il faut appeler les choses par leur nom et par ce que la mondialisation libérale à laquelle nous nous opposons peut être source de confusion. La globalisation capitaliste est sur le plan politique de plus en plus nettement anti-libérale. C’est la notion même de société ouverte qui est mise en cause, sous le couvert du 11 septembre, au profit de dérives sécuritaires, d’auto-limitation des libertés publiques. Le plan Sarkozy en France n’est pas étranger à cette tendance mondiale.
Enfin pour ce qui est de l’anti-mondialisation, ce thème mal explicité peut nourrir cette peur d’une société ouverte et favoriser les nationaux-populismes dont la droite dite libérale finit par se nourrir, d’autant que les nationaux-populismes sont eux – mêmes sur des bases ultra-libérales, mais avec un discours anti-mondialisation.
Fort heureusement nous avons contribué ces derniers mois à faire émerger la notion constructive d’altermondialisation qui fait rapidement son chemin.
Concernant l’hégémonisme américain. Bush a du mal, mais n’a pas renoncé à faire avaliser par la communauté internationale sa guerre préventive contre l’Irak. La situation est paradoxale, le refus de l’hégémonisme américain s’approfondit parmi de nombreux peuples, mais il n’existe ni système d’État, ni grand État en particulier susceptible de contrer cette hégémonisme. L’Europe le pourrait mais refuse pour le moment de s’en donner les moyens politiques. La responsabilité des sociétés civiles, ou plutôt civiques, est donc déterminante pour qu’une contre-offensive ait lieu. De Seattle à Porto Alegre, en passant par Florence ( cette intervention a eu lieu avant le FSE de Florence) se dessinent les contours d’une citoyenneté mondiale mais le chemin est encore long et semé d’embûches.
Le même raisonnement peut être étendu à l’échelle européenne. L’Europe devrait être un maillon pour une autre régulation économique, mais elle est aujourd’hui pour l’essentiel un instrument de la globalisation capitaliste. Elle pourrait être un moyen d’endiguer l’hégémonisme américain mais , on l’a dit, refuse de s’en donner les moyens politiques.
La construction politique de l’Europe est en panne et la Convention présidée par Valéry Giscard d’Estaing a toutes chances d’accoucher d’un projet de constitution a minima et ce au moment où l’élargissement, par ailleurs nécessaire induit des risques considérables d’en rester à une vaste zone de libre échange sans construction politique démocratique, sociale, écologique… Par ailleurs la domination social-démocrate sur l’Europe ( 12 gouvernements sur 15) n’a produit aucun progrès réel et la droite à nouveau dominante ( malgré les exceptions allemande et suédoise) est également en panne sur le plan de la construction politique, d’autant qu’elle est pénétrée par les thèses des nationaux-populistes.
Dans ces conditions, le seul acteur qui puisse relancer la dynamique de construction politique, sociale, démocratique, écologique, culturelle de l’Europe c’est le mouvement social lui – même, sous toutes ses formes, syndical, mouvementiste, associatif. Il doit s’emparer de la question européenne et cesser de se comporter à son égard comme la poule qui a trouvé un couteau.
Y est-il prêt ?
Le mouvement syndical en s’articulant autour de la CES a nettement avancé dans ce sens.
Le mouvement altermondialiste progresse un peu dans sa prise en compte, notamment au sein d’Attac, cependant il a encore du mal à le faire. Le rendez-vous de Florence est une première étape, mais il est essentiel que l’an prochain lors du FSE de Paris-Saint Denis cette dimension de l’implication pour la construction européenne ait fortement progressé.

II- La France
Le moins qu’on puisse dire est que les conséquences de la défaite du printemps dernier sont lourdes et que la construction d’une alternative sera longue et difficile. Conséquences lourdes par ce que les premiers mois confirment que nous n’avons pas affaire à une droite molle mais à une droite dure qui sait faire preuve d’habileté. Elle mène une politique que l’on peut qualifier de classe (fiscalité, 35 heures, arrêt des emplois jeunes, sécurité et criminalisation des pauvres…) tout en faisant semblant d’être à l’écoute de problèmes sociétaux. Elle parvient aussi à compartimenter sa politique pour éviter une explosion du mouvement social, même si le dossier le plus difficile, celui des retraites reste à venir.
La gauche politique tente bien de se faire entendre dans le débat parlementaire mais elle est largement inaudible. Elle n’a mené au fond aucun débat sur les alternatives, sur la construction d’un nouveau projet. Chaque parti est replié sur des enjeux de pouvoir internes dans l’attente des différents congrès.
La grande question qui a émergé du débat post-électoral est celle du rapport de la gauche aux catégories populaires. La gauche s’est largement désintéressée de ces catégories et porte l’essentiel de la responsabilité, mais c’est aussi une part des catégories populaires qui s’est éloignée des valeurs de gauche.
On peut recenser à gauche quatre façons de traiter le problème.
– Celle des sociaux-libéraux (DSK s’en cache à peine dans son dernier livre) pour qui le processus d’éloignement de ces catégories d’avec la politique institutionnelle est définitif et peut être souhaitable car sinon elles seraient appelées à nourrir l’extrême droite. Pour ceux là l’alternance se joue désormais au centre sur les couches moyennes et l’offre politique doit être ciblée de ce côté.
– Celle de courants traditionnels de la gauche qui proposent un recentrage sur les salariés en terme de défense des acquis, des services publics… Mais ils passent à côté des problèmes des ” sans “, de la grande pauvreté d’une part mais également d’aspirations nouvelles comme celles à une certaine individualisation des droits.
– Celle louable de la solidarité particulièrement axée vers les plus défavorisés mais qui peut être aussi une façon d’accompagner de l’extérieur les exclus et non de permettre aux catégories populaires( qui sont loin de se limiter aux exclus) de reprendre par elles mêmes une place dans le champ politique.
– Celle de l’extrême gauche, ou d’une part de celle-ci qui s’autoproclame comme représentante patentée des catégories populaires, parlant à leur place. Cela peut marcher comme stratégie d’agitation mais pas pour construire des perspectives politiques favorables à ces catégories.
Face à cela je développerai trois idées.
a) La gauche n’a pas d’avenir si elle ne construit pas une capacité de reconquête des catégories populaires. C’est une question de sens de nos valeurs, c’est une question majeure de démocratie.
b) La problématique de la nouvelle alliance que Lionel Jospin avait évoquée sans mener réellement cette politique à partir du printemps 2000, reste fondée. Alliance entre exclus, catégories populaires et couches moyennes. Mais c’est à la condition fondamentale que le cœur de la politique de la gauche ne repose pas sur les classes moyennes mais que ce cœur réside dans la lutte contre toutes les inégalités. Cela ne peut se résumer à une simple égalité des chances. La gauche doit savoir en passer par des discriminations positives même si cela heurte le principe formel de l’égalité républicaine.
c) La gauche n’a pas d’avenir si elle ne parvient pas à résorber une part du fossé entre la politique institutionnelle et les citoyens. La démocratie représentative qui demeure nécessaire ne peut aujourd’hui être sauvée que par une forte poussée de démocratie participative.

III – Quelques idées pour la reconstruction/recomposition à gauche.
La formule ” gauche plurielle ” a vécu mais comment la remplacer ?
Tout d’abord la reconstruction n’aura lieu efficacement que si elle se situe dans un mouvement ascendant et non descendant des appareils vers la société.
En second lieu, rien n’est pire que de proclamer une césure a priori entre une gauche de gouvernement ou des gestion et une autre de résistance et de protestation. C’est une infernale source de dérive des deux côtés. La gauche de gestion oublie la transformation sociale quand elle se coupe de celle de résistance, la gauche protestataire devient stérile quand elle se coupe de celle de gestion. Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas aujourd’hui un débat fondamental entre gauche social-libérale et gauche anti-libérale ( au sens économique du terme).
De la même façon rien de plus stérile que de poser aujourd’hui les lignes de clivage entre réformistes et révolutionnaires.
Dans le même temps, la pire façon d’aborder aujourd’hui la recomposition de la gauche c’est de le faire par le biais organisationnel.
L’idée de l’UMP de la gauche en vue de s’adapter au bipartisme voulu par la droite est aujourd’hui vouée à l’échec et ne peut que conforter les conservatismes d’appareils.
La seule question qui vaille est : quel projet collectif construire aujourd’hui pour la gauche ? Cette question il faut la poser en tentant d’instaurer un type nouveau de relations entre citoyens, associations, mouvements, syndicats, partis pour une élaboration collective.
Trouver cette voie est une des clés de l’avenir, car il serait parfaitement illusoire de croire qu’une nouvelle fois l’alternance viendra d’elle même après que les électeurs aient été déçus de la droite. La droite face à une gauche sans projet peut fort bien construire une hégémonie durable.

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