Science et conscience

Les opposants aux OGM qui détruisent les expérimentations en parcelles sont-ils de nouveaux vandales ? C’est la thèse de Dominique Lecourt et de François Ewald, dans un article du Monde, de septembre 2001. Ils dénoncent même la mise en cause du pacte républicain entre la science et la société, fondement de notre démocratie issue des Lumières, par ceux qui, au nom du principe de précaution, veulent imposer une éthique à la science.
Pierre-Henri Gouyon, généticien et professeur de botanique et d’écologie à l’Université de Paris Orsay et Catherine Larrère, professeur de philosophie à l’Université de Bordeaux ont discuté avec nous de cette opposition entre Science et Société civile.
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Pour Pierre-Henri Gouyon, les généticiens ont une large responsabilité dans la mauvaise image qu’ils donnent de leurs manipulations du vivant. Pour aller plus vite, plus loin dans leurs travaux, ils utiliseraient l’intérêt potentiel des industriels pour les produits du génie génétique, afin d’obtenir argent et gloire. Ils donnent de leurs travaux l’image avantageuse de la science à portée de la maîtrise du vivant. Or, c’est une vision largement fausse. Si à l’échelle moléculaire, il est possible de réussir des bricolages génétiques, lorsqu’on passe aux échelles supérieures (cellules, organismes), les capacités de prévision des résultats deviennent très faibles. Il faut de nombreuses observations -et donc expérimentations- pour prévoir des effets, au contraire de la physique. Il n’existe pas de corpus théorique fondant solidement les avis des scientifiques. En véhiculant l’idée contraire, les scientifiques font même le lit d’idées fausses.

Ainsi, contrairement à ce qu’affirment les scientifiques, on ne sait pas ce qui se passerait si une espèce s’éteint, ni dans un sens, ni dans un autre. Mais on croit aller dans le bon sens en affirmant que c’est grave, et qu’il faut donc protéger. De même affirmera-t-on que la forêt amazonienne produit de l’oxygène, ce qui est en grande partie faux, ou que l’on a “décrypté”, c’est-à-dire rendus lisibles, des génomes, ce qui est complètement faux. Avec un irrationalisme naïf, nombre de biologistes expliquent et croient, que tout ce qu’il font est bien, alors que travaillant à l’échelle de l’ADN, ils sont incapables de penser ce qui peut se passer à l’échelle supérieure.
Et paradoxalement, plus ils tentent de rassurer, plus ils font peur ! Pendant ce temps, aucune étude scientifique sur les risques n’est sérieusement conduite.

Pour Catherine Larrère, en disant mettre à jour le secret de la vie, les biologistes moléculaires fascinent, mais font peur aussi. Alors que la transgénèse, en soi, n’est qu’une technique, un bricolage, et n’est donc pas un mal, l’introduction d’OGM dans un environnement complexe pose problème.

Pour l’éviter, Lecourt et Ewald essayent d’invoquer -à tort semble-t-il- Condorcet contre Rousseau, la Science contre la nature sauvage, en donnant une vision angélique des rapports de la Science et de la République.

Il y aurait une bonne Science, indépendante, dans une république des savants, en accord avec la République des citoyens qui y puise ses connaissances. La séparation de ce qui procède de la Science et de ce qui relève du pouvoir politique s’est certes opérée depuis Galilée. Le pouvoir politique ne s’ingère plus dans le monde de la Science et son indépendance est acquise, par principe. Mais il ne faudrait pas oublier que ce pacte républicain est aussi une contribution à la puissance nationale, militaire ou industrielle, et que l’éthique de l’usage de la Science lui est en partie soumise. Tout accord de ce type est donc révisable. Et ce qui apparaît aujourd’hui, c’est que les sciences ne peuvent plus s’arrêter aux portes des laboratoires. Les gouvernements s’y intéressent, les entreprises aussi, et événement nouveau, les citoyens, les usagers potentiels de ces sciences. Ainsi, des essais dans des champs, certes justifiés en principe pour connaître l’impact des OGM, ne peuvent plus échapper au débat public, comme l’avait fait le nucléaire dans les années cinquante. L’usage du monde avec l’usage de la science signe la fin d’un âge de la science, après Galilée. Si la nécessité de contrôler s’impose, ce n’est pas, loin s’en faut, par simple nécessité éthique, mais par volonté de démocratie participative.

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Dans le débat qui a suivi, les intervenants ont insisté sur la nécessité de ne pas confondre science et technologie dans une techno-science. Bien distinguer ce qui est de la science de ce qui est de la technique est nécessaire, sans pour autant croire qu’elles sont autonomes l’une de l’autre. L’inflation des techniques, supposées bonnes, tend à occulter le débat. Pour ne pas le rouvrir, on multiplie les expertises censées répondre aux inquiétudes. Or il vaut mieux plus de débats, laisser s’affronter les controverses larges, même issues de non scientifiques. Car les scientifiques ont tout intérêt à confronter l’utilité de leur science avec les citoyens, ce qui échappe souvent à leur sagacité, et les citoyens “ordinaires” à connaître ce qu’apportent les sciences. Les discussions sur les savoirs sont utiles à tous.

Synthèse de Bernard Wolfer

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