Dans son discours du 27 novembre, le Président de la République a fait un certain nombre d’annonces et a promis une concertation décentralisée sur la transition énergétique. En fait, c’est un leurre car les décisions clés de la transition énergétique ont déjà été prises et car elle va servir d’écran de fumée pour essayer de faire passer quelques pilules amères.
{{I- La transition énergétique}}
Le discours du Président est clair et décrit bien la stratégie proposée avec deux priorités :
– Diminuer au maximum les émissions de gaz à effet de serre (GES)
– Développer le plus possible les énergies renouvelables
Ce programme général est sain et peut faire l’objet d’un consensus. Quelques zones d’ombre persistent toutefois :
– Les énergies renouvelables ne sont souvent pas aussi propres que certains l’affirment. De plus, les technologies ou les matières premières critiques sont souvent maîtrisées par la Chine ce qui implique une forte dépendance à court terme vis-à-vis de ce pays.
– Le système de production d’énergie dans le monde est de moins en moins efficace (il faut toujours produire plus d’énergie pour une tonne d’équivalent pétrole de consommation finale). Il faut donc faire des propositions fortes dans le domaine de la réduction de la consommation (aussi bien au niveau global qu’individuel). Quel plan de réduction de la consommation d’énergie et comment le financera-t-on ?
– La sortie du nucléaire se fera dès que possible mais le coût des énergies renouvelables et leur intermittence obligeront à différer la date de sortie du nucléaire beaucoup plus que certains ne le souhaitent.
Il est donc clair que le schéma global de la transition énergétique est bien défini et que la concertation sur ce sujet ne portera que sur des aspects secondaires. Son objet pourrait donc n’être que d’accroitre l’acceptabilité de cette transition par des concessions mineures voire de lutter contre le syndrome « Not in my backyard » soit pas d’éolienne près de chez moi.
{{II- La taxation des produits carbonés (TIPCE)}}
Le mouvement des gilets jaunes est né d’une protestation quant au relèvement des taxes sur le gazole voire sur l’essence qui impacte fortement des personnes habitant hors des métropoles.
Pour lutter contre la pollution et favoriser la transition énergétique, il a été décidé de relever fortement les taxes sur le diesel (cette trajectoire fiscale était partagée par de nombreux candidats à l’élection présidentielle de 2017). Nos gouvernants ont pensé qu’il fallait envoyer un signal prix fort aux Français jugés incapables de se désintoxiquer de la voiture ou d’être sensibles à des messages qualitatifs.
Pour le gouvernement, les enjeux sont importants car la TICPE (malgré certaines exonérations) rapporte plus de 30 milliards d’Euros à l’Etat et aux collectivités locales. Seule une très faible partie est consacrée directement à la transition énergétique ; l’essentiel abonde le budget de l’Etat.
Pour mieux comprendre le mouvement des gilets jaunes, il faut revenir sur ce qu’est une taxe (qui est différente d’un impôt même si des abus de langage qualifient la Taxe à la Valeur Ajoutée de taxe alors que c’est un impôt). Une taxe est un prélèvement destiné à faire changer les comportements. Par exemple, on taxe fortement le tabac et l’alcool pour faire diminuer leur consommation car celle-ci génère des coûts importants au niveau de l’assurance santé.
Dans le cas de l’utilisation de l’automobile, on a à la fois :
– Incité pendant des décennies les consommateurs à acquérir des véhicules à moteur diesel
– Supprimé de nombreuses petites lignes de transport en commun réputées non rentables
– Supprimé de nombreux services publics dans les zones périphériques et rurales
– Incité certains à habiter plus loin de le leur lieu de travail (ceci est souvent une conséquence négative du télétravail ; manque de mixité sociale voire de mixité entre logements et bureaux dans de nombreuses zones, ….).
Le problème est donc que l’alternative à la voiture particulière existe dans les centres des métropoles ou dans certaines villes moyennes qui sont bien pourvus en transport en commun. En revanche, en dehors de ces zones, l’alternative n’existe pas et les services publics ou culturels se font plus rares. La taxation devient alors punitive pour des Français qui ne figurent pas parmi les plus aisés.
Cette analyse montre que la transition écologique nécessite de repenser l’organisation de l’espace et des territoires.
On peut donc admettre, tout en étant un écologiste convaincu, que la hausse des taxes sur l’essence n’est pas obligatoire à court terme tant que des alternatives crédibles n’existent pas. En outre, il faut exiger qu’une part supérieure de la TICPE soit fléchée vers des projets liés à la transition écologique.
{{III- Le futur d’EDF}}
La stratégie présentée par le président de la République est considérée par beaucoup comme une victoire d’EDF qui ne se verrait pas imposer une baisse drastique de sa production d’électricité nucléaire. Cette décision est sage à court terme car la situation en Allemagne nous a montré qu’une baisse rapide de la production d’électricité d’origine nucléaire entraînait le recours à de l’électricité produite à partir de charbon avec une forte émission de GES. En outre, les grands électriciens allemands sont dans une situation financière très compliquée !
Toutefois, ces déclarations ont été suivies de ballons d’essai beaucoup moins favorables à EDF et au service public notamment de la part du Ministre en charge de l’énergie et de l’écologie.
Depuis quelques mois, la Commission Européenne exerce une pression croissante sur la France pour qu’elle privatise ses barrages et la production d’électricité hydraulique via une remise en jeu des concessions attribuées à EDF. L’hydraulique est un élément clé de la production d’électricité (environ 12% du total) qui possède de nombreuses vertus :
– Emission très faible de GES
– Renouvelable
– Facilité de stockage d’énergies intermittentes
– Coût de production faible
Une entreprise privée pourrait donc promouvoir cette électricité verte et vertueuse et la vendre un peu plus cher que de l’électricité provenant d’autres sources.
La proposition de Monsieur de Rugy serait donc de casser EDF en deux :
– La production d’énergie nucléaire serait nationalisée et possédée à 100% par l’Etat
– Le reste de la production et les infrastructures seraient regroupés en une ou deux sociétés qui serai(en)t rapidement privatisée(s).
La possession à 100% par l’Etat de la production nucléaire n’est pas forcément une mauvaise nouvelle si cela permet de garantir la sécurité et la sûreté des installations (nous avons vu chez TEPCO au Japon les dérapages qu’une privatisation pouvait engendrer dans ce domaine). Cette situation pourrait aussi permettre la mise en œuvre d’une filière de démantèlement des centrales en fin de vie de niveau mondial.
En revanche, la privatisation du reste de la production et des infrastructures est très critiquable :
– Cession d’actifs publics de grande qualité comme l’hydraulique ou les infrastructures
– Absence de garantie quant à la réalisation d’investissements adéquats en France dans le renouvelable. En France, le pic de consommation d’électricité est vers 19h en hiver ; il est évident que le solaire est inefficace pour satisfaire cette consommation.
– Fort risque d’augmentation des prix pour les consommateurs finaux et problèmes potentiels pour les industriels qui ne pourront plus bénéficier d’une électricité à un coût raisonnable
– Il y aura sans doute une pression sur la société de production nucléaire pour céder toujours plus d’électricité à bas coût aux intervenants privés
– Certains contrats actuels ou anciens de production d’électricité renouvelable bénéficient de subventions publiques parfois fortes (un rabais de près de 10 milliards d’Euros vient d’être obtenu par le gouvernement sur les subventions à verser à des projets signés en 2010-2015). Dans le futur, ces subventions profiteront à des entreprises privées et non à EDF, propriété à 85% de l’Etat Français.
Il faut noter que beaucoup de projets d’énergies renouvelables réalisés par des sociétés Françaises le sont hors de France.
En cas de privatisation, on risque donc d’être confronté à 3 scénarios :
– L’insécurité d’approvisionnement avec des pénuries lors des pics de consommation
– Une forte hausse des prix
– Le recours massif à des énergies fossiles comme en Allemagne (certains expliquent déjà que le solaire n’est viable que couplé à des centrales à gaz !).
La privatisation d’EDF est donc inutile voire dangereuse sur le plan de la transition énergétique ou de l’amélioration du service au consommateur. Elle ne serait guère utile qu’à quelques grandes banques d’affaires ou grands cabinets d’avocats qui encaisseraient quelques dizaine de millions d’Euros de commissions et d’honoraires. Elle pourrait aussi faire plaisir à certains soutiens du gouvernement qui, après s’être offert le scalp des cheminots, seraient heureux d’affaiblir la position des électriciens. Toutefois, l’irruption anarchique des gilets jaunes et la difficulté de dialoguer avec eux montrent que les corps intermédiaires sont utiles à la société.
{{IV- Conclusion}}
Le phénomène des gilets jaunes est parti du rejet d’une augmentation punitive des taxes sur l’essence et le gazole qui impacte très négativement les habitants des zones périurbaines et rurales. En réalité, cette hausse n’a été que la goutte d’eau qui fait déborder le vase : le mal-être est beaucoup plus profond et une concertation sur la transition énergétique avec une éventuelle hausse de 50€ par an du chèque énergie est vouée à l’échec (la baisse actuelle significative du prix du baril donc d l’essence n’a pas calmé les esprits). Elle servira peut-être au gouvernement à gagner un peu de temps.
En outre, cette pseudo-concertation pourrait aussi servir d’écran de fumée à des projets moins avouables concernant le futur d’EDF. Il ne faudra pas s’étonner si le vote en faveur des Européistes s’affaiblit avec une Commission qui pousse à toujours plus de privatisation des fleurons de notre économie comme les barrages.
Si le gouvernement veut résoudre les vrais problèmes des Français, il faudra un travail en profondeur sur :
– L’aménagement du territoire (le plan en faveur de l’industrie est très positif) et la déconcentration
– Le maintien des services publics éventuellement sous des formes renouvelées (par exemple via des guichets mobiles ou via la revitalisation de petites lignes SNCF comme cela a été fait pour la ligne de Saint-Dié à Strasbourg) et le fin de la fracture numérique
– La transition agricole (par exemple, il serait urgent que l’Etat paye rapidement les subventions dues aux producteurs désirant passer au bio). Le report de la loi Alimentation n’est pas forcément une bonne chose
– Une remise à plat de la fiscalité avec par exemple une certaine progressivité de la CSG. Le gouvernement actuel a suivi un adage classique de ce domaine : « il vaut mieux faire payer les pauvres (taxe sur l’essence) que les riches (ISF) car ils sont beaucoup plus nombreux ». Il a donc donné beaucoup à peu de Français au détriment de beaucoup de Français qui ne peuvent plus boucler leurs fins de mois.
Il est évident que toutes ces mesures déjà coûteuses ne sont qu’une goutte d’eau par rapport aux efforts nécessaires pour mettre en œuvre la transition écologique au niveau mondial.