L’austérité est-elle encore de rigueur – s i l’on peut dire … – lorsque,dépassant les prévisions, la croissance économique s’affiche en de brillants résultats, proclamés et commentés avec une évidente satisfaction ? La prudence, qui veille à ne pas casser la reprise, reste une vertu jusqu’au moment oü elle deviendrait coupable timidité devant une amélioration unanimement constatée. Combien de temps encore peut-on accepter que l es revenus du capital progressent nettement plus vite que les revenus du travail ? Le mécontentement justifié de diverses catégories de salariés ne va-t-il pas déboucher sur d es mouvements qui porteraient un rude coup à cette croissance que précisé ment l ‘o n entend ménager, protéger, accentuer encore ?
Pour classiques qu ‘elles soient ,pareilles interrogations, exprimées avec retard , maintenant formulées avec de plus en plus d’éclat, perturbent l e gouvernement
et les rangs du Parti socialiste. Délicat exercice d’équilibre : tout en lui demandant instamment de se montrer “plu s social “‘ chacun affirme soutenjr résolument l’action du premier ministre…
L’opposition de droite se garde sur deux fronts : d’on côté, elle se montre compréhensive à l ‘égard des difficultés rencontrées par l es salariés ; de l ‘autre elle s’abstient de contester trop vivement une poli que dont tirent profit les intérêts auxquels elle veut s’identifier. Tout au plus suggère-t-elle que l’on pourrait encore faire un effort pour alléger la fiscalité des entreprises… Et lorsqu’elle invoque la prochaine ouverture du marché unique européen , elle sait que le gouvernement ne peut rester sourd à son invite.
C’est pourtant là que réside la plus grosse difficulté. Car si le franc se porte bien , s i le différentiel d’inflation entre la France et l’Allemagne n ‘a rien d’insupportable, si l es prélèvements obligatoires dans les deux pays tendent à se rapprocher, il reste que la balance commerciale, obstinément déficitaire chez nous, continue de dégager outre-Rhin d’insolents excédents. Peut-on croire un instant q’une prolongation de l’austérité, essentiellement subie par les plus modestes salariés, permettra de combler l’écart entre les deux pays ? Et, à supposer que se produise cet impensable miracle, petit-on oublier que la République fédérale, en dépit de ses enviables performances, compte deux millions de chômeurs et autant de “petits boulots” ?
Affronter la compétition internationale dans l e respect d es conceptions aujourd’hui en honneur peut éventuelle ment permettre de marquer modestement des points sur tel ou tel marché, contre tel ou tel concurrent, mais sans laisser le moindre espoir d’améliorer une situation sociale si gravement détériorée.
La Commission de Bruxelles recense 40 millions de pauvres au sein de la Communauté. Le dualisme économique et social continue de s’accentuer dans chacun des douze pays membres. Et la Communauté avance vers l’échéance de 1992 sans engager devant les opinions européennes le débat qui devrait être prioritaire : la mondialisation de l ‘économie rend-elle inéluctable une détérioration sociale humainement inacceptable, des clivages internes plus marqués ? Quelle démocratie pourrait donc sur vivre dans une “société à deux vitesses” ?
Le néolibéralisme économique est roi , l ‘Europe sociale reste encore clans les limbes, mais la libre circulation des capitaux deviendra réalité dès juillet 1990 . Dans l’industrie, la banque, les compagnjes d’assurances, divers accords pré parent la disparition d es frontières. Seuls les citoyens n e seront pas prêts. Ils ont manifesté leurs inquiétudes en boudant les urnes lors de l’ élection du Parlement européen. En dépit de ce grave avertissement, nul n’a vraiment tenté de leur parler clair.
Dirait-on aux Européens qu’une logique impitoyable impose des sacrifices, que toute grande avancée historique doit être payée d’un prix qui peut être élevé ?
.Pourquoi pas ? Mais alors qu’un tel choix soit fait dans la clarté, et que la répartltion des sacrifices soit ouvertement débattue.
Faute de quoi , l’économisme trop facilement accepté par gouvernants et gouvernés aura fait une victime : l a démocratie. Dans la résignation ou l’indifférence, celle-c i accepterai-t-elle de s’éclipser sans bruit, comme si une tel le disparition pouvait être anodine ?