Victor Hugo,un intellectuel engagé

Victor Hugo,un intellectuel engagé

par Jean Chesneaux
vice-président du Cercle Condorcet de Paris et Professeur émérite à l’Université Paris-VI

Maître-écrivain d’exception, également à l’aise dans le théâtre, l’élégie délicate, le roman populaire, la poésie épique, Hugo fut tout autant un ” intellectuel engagé “. Il en est peut-être la figure la plus achevée de toute notre histoire moderne, dans ce rôle qu’ont aussi illustré Voltaire, Zola ou Sartre. Son œuvre et son action se soutenaient mutuellement, se fondaient presque. Ruy Blas et sa verve, les paladins des la Légende des siècles et leurs exploits chevaleresques, Jean Valjean et ses sombres défis étaient comme physiquement à ses côtés dans les combats politiques qu’il menait. Et réciproquement, le souffle de ses convictions venait nourrir et donner vie à ses créations littéraires de poète, de dramaturge, de romancier.

Il y a plus. Né en 1802, cet homme de convictions, cet homme de combats ne s’est révélé à lui-même et à la nation que dans son âge mûr, à travers la crise de la seconde République (1849-1851) et le coup de force de Napoléon III. C’est-à-dire la quarantaine, bientôt la cinquantaine venues, soit l’âge ou tant d’intellectuels, et encore à notre époque (des noms ! ce serait si facile …) préfèrent se ranger, s’assagir, s’excuser gauchement de leurs outrances de jeunesse, sinon tourner casaque. Hugo avait fait le chemin inverse, et il s’en est expliqué dans son Choses vues : ” J’étais tout simplement un libéral, un démocrate. Rien de plus… Mais depuis deux ans, quand j’ai vu la République prise en traître, saisie par ses ennemis, jetée à terre…quand j’ai vue son sang couler à flots …alors moi je me suis approché d’elle au moment ou tant d’autres s’en éloignaient. Je me suis mis à genoux devant elle et je lui ai dit : tu es la vérité ! Maintenant, je combats pour elle ” (1).

Lui qui dans les années 1840 s’était si bien accommodé du conformisme louis-phillipard, y compris un fauteuil précoce à l’Académie française et un siège à la très-docile Chambre de Pairs, va se retrouver recherché par la police et proscrit en 1851, donnant asile dans sa maison à des Communards traqués en mai 1871 puis faisant campagne pour l’amnistie, et finissant salué par un peuple immense lors de ses funérailles.

Victor Hugo fut un homme de convictions politiques.

Il a fait campagne pour l’abolition de la peine de mort et prononça au Sénat, ou il siégea à partir de 1876, un discours resté classique en faveur de cette abolition. Il a protesté contre l’esclavage, encore en vigueur à à son époque en Afrique comme en Amérique. Il a combattu de régime en régime, et pas seulement sous Napoléon III, la censure frappant la liberté de la presse et aussi la création théâtrale (alors étroitement surveillée). Il présida à Paris au Congrès international de la Paix en 1849, et en 1869 le Congrès de Lausanne pour la Paix et la Liberté. Quittant en juillet 1870 son exil de Guernesey, il planta dans son jardin de Hauteville House le gland d’un chêne des Etats-Unis d’Europe. Autant d’idées, autant de causes auxquelles il apportait le concours de sa voix puissante et de son œuvre déjà célèbre dans toute l’Europe.

Victor Hugo fut un homme de combats politiques.

Que surviennent deux crises majeures, celle qui débouche sur le Second Empire et celle qui suit sa chute, et il ne se contente pas de ” témoigner “. Il s’engage dans l’action politique quotidienne aux côtés des chefs républicains de l’extrême-gauche. En 1850-1851, il est un des membres actifs du ” Comité de résistance “, il est présent sur les barricades, il ne gagne Bruxelles que de justesse. En 1870-1872, il est de ceux qui tentent – sans succès – d’empêcher la droite conservatrice de s’installer dans le vide laissé par l’échec de Napoléon III.

Devenu homme d’action, il ne néglige pas les ressources de sa plume acérée. Il est impitoyable contre Napoléon ” le petit ” et ses ministres (Histoire d’un crime, Les Châtiments ). Il fustige non moins férocement les politiciens bourgeois tels Thiers : ” force gestes pour dissimuler la petitesse par le mouvement…dans la conversation, cette espèce particulière d’étincelles qui éblouit les myopes…du parlage, de l’impertinence, des expédients, qualités que prisent les gens médiocres…à portée de mains, une foule de théories de toute sorte, c’est-à-dire des échelles pour monter à tout ” (2).

Hugo est encore des nôtres, par son regard étendu aux dimensions du monde. Le recueil de ses Actes et Paroles, qu’il prit soin de publier de son vivant (3) est comme un récapitulatif minutieux de toutes les grandes crises politiques de son temps. Il rend hommage à l’anti-esclavagiste américain John Brown, pendu par les Sudistes à la veille de la Guerre de Sécession. Il condamne comme ” brigandage ” l’expédition franco-anglaise de Chine et le saccage du Palais d’Eté de Pékin en 1860. Il appuie en 1866 les insurgés grecs de Crête, île restée alors sous domination turque. Il soutient les républicains garibaldiens d’Italie. Il intervient auprès du Tsar Alexandre III en faveur des révolutionnaires russes. Il agit en citoyen du monde.

Le ” Père Hugo ” n’était ni débonnaire, ni circonspect, ni conciliateur…

NOTES :
1- Choses vues, édition Gallimard-Folio, Tome II, pp. 265-266.
2- Choses vues, Tome I, pp. 772-773. En fait, cette charge contre la médiocrité visait conjointement le politique Thiers et le peintre Horace Vernet et l’auteur de théâtre Eugène Scribe.
3- Actes et paroles ont été réédités en trois volumes, dans la série Gallimard-Folio.

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